dimanche 22 mai 2016

Le Noeud Gordin, épisode 421 : Trouver Martin, 1re partie

Daniel arriva le premier, accompagné de trois invités. Pénélope connaissait déjà Timothée et Karl Tobin; ce dernier lui présenta son neveu Mike, un beau garçon à la bouille sympathique. « Je vois la ressemblance », lança-t-elle à la blague. Mike sourit poliment; Karl, pas du tout.
Elle n’eut pas le temps de leur offrir le café : la porte sonna à nouveau. C’était un homme dans la vingtaine, improbable mélange d’une baby face vissée sur un corps de brute. Il avait les paupières lourdes et les yeux rouges d’un fumeur de marijuana. « Salut », dit-elle, amicale. « Moi, c’est Pénélope. » Il bafouilla une réponse, le regard fuyant. « Pardon?
— Moi, c’est Djo », dit-il, à peine plus clairement.
En plus d’avoir le cerveau embrouillé, il était clairement intimidé par Pénélope. Il ne pouvait pas empêcher son regard de glisser vers ses seins. Il ne devait pas souvent approcher de femmes comme elle…
Elle poursuivit comme si rien n’était : « Ah oui? Pour Joseph? Jonathan?
— Djo pour Djosevik », dit Mike Tobin. « C’est son nom de famille. Demande-lui son prénom! »
Les deux Tobin attendaient sa réponse en se marrant déjà. Djo murmura trois nouvelles syllabes inintelligibles.
« Je n’ai pas bien entendu… 
— C’est parce qu’il s’appelle Ferdinand », lança Karl en s’esclaffant.
« Je déteste mon nom. Z’êtes cons, les gars. »
La porte sonna à nouveau, coupant court à la conversation. Les nouveaux venus entrèrent à leur tour en se présentant à leur hôtesse. Vinh. Sophie. Gigi. Gary. Il n’y avait plus de place pour asseoir tout ce monde.
« Bon, on y est tous », déclara Karl. « On commence-tu? »
Pénélope aurait bien voulu savoir commencer quoi, au juste. Daniel se leva, commandant l’attention du groupe. « Tim? L’objet chéri, s’il-te-plaît. »
Timothée déposa une photo jaunie, craquelée et cornée sur la table à manger, devant Daniel. Pénélope y discerna un jeune homme moustachu tenant deux bambins sur ses genoux, un petit garçon et une petite fille blondinets. Les trois souriaient à la caméra. On aurait dit une photo de vacances vieille de vingt ou trente ans.
Daniel se tourna ensuite vers elle. « Babe, irais-tu chercher mon matériel dans la chambre? »
Pénélope jeta un regard paniqué à la ronde. Qu’est-ce que Daniel était en train de fabriquer? « Est-ce que je peux te parler un instant?
— Oui, bien entendu.
— En privé? » Elle n’attendit pas sa réponse pour passer à la chambre à coucher. Daniel la rejoignit un instant plus tard. « What the fuck?
— Qu’est-ce qu’il y a?
— Ne me dis pas que tous ces gens-là sont des initiés! »
Daniel semblait sincèrement surpris de son objection. « C’est plus complexe… Ni blanc, ni noir. Ni gris, en fait. Quelque chose d’autre…
— Es-tu high?
— Non, non! Bien sûr que non…
— Tu agis étrangement…
— Le temps que j’ai passé au Terminus m’a ouvert les yeux…
— De là à violer les cinq principes… » Qu’est-ce qui avait conduit Daniel à relativiser les règles dont il s’était fait le gardien jusque-là? À moins que ce ne soit pas lui. « Comment s’appelle ma mère?
— Tu parles d’une question…
— Allez, réponds et on n’en parle plus.
— Marie Rachelle Leca. Pourquoi?
— Qu’est-ce que je portais à la fin de notre premier rendez-vous?
— Rien d’autre que des escarpins. Turquoise.
— C’est donc bien toi…
— Et tu trouves que c’est moi qui agis étrangement?
— Quand même, réaliser un procédé devant tous ces gens… Ce n’est pas toi.
— Les cinq principes veillent à préserver le secret de notre art. Or, pour eux, la… » Il grimaça. « La magie fait partie de leur quotidien. Ils sont pratiquement des initiés… D’une autre tradition que la nôtre.
— Ce qui devrait nécessiter une intervention rigoureuse, pas une démonstration publique!
— Si seulement tu pouvais comprendre… » Il frappa sa paume du poing. « Mais oui! Tu peux comprendre! Tu sais comment les trois sont connectés par leur esprit?
— Oui…
Nous devrions faire la même chose, toi et moi!! Ce serait fantastique… »
Le pire : il était sérieux. Pénélope croyait connaître Daniel autant qu’il se connaissait lui-même. Ses manières et ses idées du moment – effusives, exaltées, imprudentes – faisaient de lui un autre homme.
« Fais-moi confiance », dit-il. Il agrippa son matériel et alla rejoindre les autres. De retour dans la cuisine, elle surprit Sophie et Vinh en train de fouiller dans son réfrigérateur. Ferdinand avait profité de la pause pour s’allumer un joint et enfumer l’appartement.
Fais-moi confiance… Combien de fois Daniel lui avait dit ces mots? Jusqu’ici, elle avait toujours eu raison de l’écouter. Aujourd’hui, elle n’était plus si certaine. Il était responsable de cette… invasion de leur nid commun. Il contrevenait aux cinq principes. Il n’était pas lui-même…
Elle resta en retrait pendant qu’il déballait ses affaires. Elle assista avec un malaise croissant à la réalisation du procédé qui allait guider tout ce beau monde jusqu’au propriétaire de la photo.

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