Depuis qu’elle s’était
installée dans la Petite-Méditerranée avec Daniel, Pénélope Vasquez prenait un
réel plaisir à traîner dans les rues, à profiter des cafés et des terrasses, à
faire du lèche-vitrine… La vie du quartier était si particulière qu’on aurait
presque pu croire à une autre ville que La Cité. Les crises économiques qui
avaient ébranlé le reste de la ville avaient de toute évidence épargné le coin;
si les affiches À vendre ou À louer étaient visibles ici et là, c’était
sans commune mesure avec la désaffectation du Centre ou de l’Est.
Au premier contact,
Pénélope avait eu l’impression que la Petite-Méditerranée était le dernier îlot
d’un temps révolu. Pas de magasins grandes surfaces et peu de franchises des
géants de l’alimentation dans le coin; plutôt, on y trouvait des commerces de
taille modeste, souvent gérées par des familles, encore capable d’oser un
rapport personnel avec une clientèle qu’on devinait établie depuis des lustres.
Les commis s’enquéraient de la santé des clients, les épiciers se permettaient
des petites taquineries taillées sur mesure pour chacun… Plus encore, les gens
se saluaient dans la rue, se hélaient d’un balcon à l’autre… Bref, ici, les
gens du voisinage se connaissaient bien.
Dans la vie presque
nomade de Pénélope, dans son monde où Daniel était presque la seule constante,
il faisait bon de se retrouver dans ce voisinage de gens enracinés. Le quartier
ravivait ses souvenirs d’enfance, à une époque où elle connaissait tout le
monde dans sa rue – et où tout le monde connaissait la petite Vasquez –, une
époque où elle jouait dans les ruelles à l’ombre des cordes à linge
perpétuellement chargées… Une plus simple, sans souci, sans danger.
Vouloir s’intégrer
dans une communauté tissée serrée n’était pas une chose facile, mais sa beauté
irréelle lui ouvrait bien des portes. La plupart des hommes, des petits garçons
aux vieillards, s’assuraient qu’elle soit traitée comme une princesse. On lui
tenait la porte, les épiciers avaient toujours quelque chose à lui faire
goûter, des passants la complimentaient avec déférence. Elle n’était pas à
l’abri des sifflets et autres éructations machistes que d’autres, moins
délicats, lui lançaient dans la rue, mais elle avait appris depuis longtemps à
l’assimiler au brouhaha constant des villes, ces bruits de fond qu’on entend
toujours sans jamais s’en soucier.
Par ailleurs, son look
hyperféminin ne détonnait pas du tout dans le quartier. En fait, une certaine frange
des femmes du quartier – de tout âge, de l’adolescence à l’âge d’or – valorisait
autant qu’elle la mise en exergue du corps et des apparats féminins. Une sorte
de sororité implicite existait entre elles, dont Pénélope était devenue membre
d’office. Toute solidarité disparaissait toutefois dès qu’un homme s’y trouvait
mêlé. Il suffisait qu’un mari, un amoureux, un fils parfois, lui fasse une
œillade trop soutenue ou entame une conversation sur un ton trop chaleureux pour
que la femme à ses côtés la déclare ennemie. En fait, ces petites intrigues lui
plaisaient plutôt. Même si elle ne se sentait aucunement menacée par ces autres
femmes, lorsque Daniel attirait leur attention – ce qui était tout de même
fréquent – elle jouait le jeu en foudroyant ses « rivales » du
regard, ou en tirant Daniel contre elle d’un geste territorial… À Rome, on fait
comme les Romaines!
Bref, ce quartier
était vivant. Elle était prête à ce qu’elle devienne le sien.
Elle avait déniché un
logement cinq pièces à l’ameublement coquet pour s’installer avec Daniel. Il
était modeste mais confortable, mille fois mieux qu’une chambre du QG ou de l’hôtel
où ils avaient logé jusque-là. En marge de ses projets plus sérieux, elle se
plaisait à décorer son petit nid, à le rendre toujours plus accueillant et
chaleureux.
Elle était
confortablement installée sur son sofa à lire un article savant sur l’interpénétration
entre la célébrité sur les réseaux sociaux et la culture populaire lorsqu’elle
reçut un texto de Daniel. Il disait : j’arrive
bientôt, avec des invités.
Elle répondit : ok. Qui? Sa question resta sans réponse.
Le message, laconique,
soulagea quelque peu ses inquiétudes. Daniel était en mission auprès des gens
du Terminus; elle partageait son optimisme quant à la possibilité de rapprocher
leur clan et celui des Seize, mais elle n’était pas assez naïve pour croire l’opération
– au cœur de la zone radiesthésique – sans risque.
À défaut de savoir à
qui elle aurait affaire, elle s’habilla et rangea leur appartement, en prenant
soin de dissimuler toute trace de leurs pratiques occultes.
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