dimanche 1 mai 2016

Le Noeud Gordien, épisode 418 : La preuve, 1re partie

C’était l’une des premières journées réellement estivales. La lumière crue du jour était éblouissante; le vent tiède laissait entrevoir les promesses de la belle saison. Enfin.
Randall James s’était endormi sur la véranda, à l’ombre des grands pins qui séparait son terrain de celui du voisin. La vibration de son téléphone le ramena du côté de l’éveil. Il ouvrit les yeux pour voir qu’un oiseau picorait les restes de son déjeuner. L’opportuniste s’envola avec un morceau de croute au premier mouvement.
« Randall? C’est Judy. » La directrice générale de sa fondation. Son ton d’ordinaire jovial était hésitant; elle paraissait embarrassée.
« Qu’est-ce qui se passe? »
Elle inspira profondément, puis bafouilla quelque chose. .
« Je n’ai pas compris, peux-tu répéter?
— Le défi a été relevé. »
Il était trop tard pour le poisson d’avril, et Judy n’était pas le genre de femme à s’amuser aux dépends des autres. À sa connaissance, il n’y avait qu’un seul dossier ouvert en ce moment : celui du reporter de La Cité. « C’est impossible.
— Et pourtant…
— Qui supervisait le protocole?
— Bernie. » Bernard Simmons était l’un des illusionnistes les plus prometteurs de sa génération et il connaissait tous les trucs du métier – il en avait lui-même développé quelques-uns. Randall doutait qu’il ait pu se faire jeter de la poudre aux yeux. « Vous avez fait combien d’essais?
— Dix-sept, avec des délais variables entre chacun. À chaque fois, il a pointé exactement dans la direction de son oiseau. Il a obtenu la note parfaite. »
Pourtant, il devait bien y avoir un truc… Randall était reconnaissant que l’âge ait, jusqu’ici, épargné son cœur : il battait comme s’il voulait s’échapper de son torse. Une sueur froide coulait dans le creux de son dos. « Dis-moi qu’il est encore en ville…
— Oui, oui. Il nous a assuré qu’il se prêterait à tous les essais supplémentaires, avec d’autres protocoles si nous le désirons. »
Lorsqu’il avait entendu parler du reporter pour la première fois, Randall l’avait classé comme Fool parce qu’il déléguait l’élaboration du protocole scientifique à l’équipe de la Fondation. Un escroc, au contraire, aurait veillé à mettre en place une occasion de tricherie qui ne soit pas remarquée par le camp des examinateurs. Ce zigoto aurait été arrogant de présumer pouvoir tromper l’œil inquisiteur des sceptiques de la Fondation… S’il n’avait pas réussi à le faire.
Randall frotta sa nuque. Elle était trempée. Que deviendrait l’œuvre de sa vie si ce type parvenait à convaincre le monde entier que les sceptiques les plus célèbres avaient tort? Les masses n’avaient jamais attendu de preuve pour croire, bien entendu; il entrevoyait toutefois que tous les believers se raccrocheraient à ce résultat comme une preuve confirmant que tout le reste était du domaine du possible… Et, ironie suprême, que c’est du discours des sceptiques dont il fallait douter.
« Attendez-moi pour la prochaine ronde de tests. Matthew est au travail : je prends un taxi. Je pars tout de suite. Je tiens à rencontrer ce monsieur…
— Gauss.
— Ouais. À tout de suite. »
Pendant sa préparation et le trajet subséquent, Randall James ne cessa pas un instant de penser à ce qui se cachait derrière ce succès apparent, ce truc capable de berner Bernie Simmons.

Bien qu’il eût gagné en jouant selon les règles que Randall avait lui-même posées, il lui était tout simplement impossible de considérer que ce monsieur Gauss puisse réellement détenir quelque capacité surnaturelle.

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