C’était l’une des
premières journées réellement estivales. La lumière crue du jour était éblouissante;
le vent tiède laissait entrevoir les promesses de la belle saison. Enfin.
Randall James s’était
endormi sur la véranda, à l’ombre des grands pins qui séparait son terrain de
celui du voisin. La vibration de son téléphone le ramena du côté de l’éveil. Il
ouvrit les yeux pour voir qu’un oiseau picorait les restes de son déjeuner. L’opportuniste
s’envola avec un morceau de croute au premier mouvement.
« Randall? C’est
Judy. » La directrice générale de sa fondation. Son ton d’ordinaire jovial
était hésitant; elle paraissait embarrassée.
« Qu’est-ce qui
se passe? »
Elle inspira
profondément, puis bafouilla quelque chose. .
« Je n’ai pas
compris, peux-tu répéter?
— Le défi a été
relevé. »
Il était trop tard
pour le poisson d’avril, et Judy n’était pas le genre de femme à s’amuser aux
dépends des autres. À sa connaissance, il n’y avait qu’un seul dossier ouvert
en ce moment : celui du reporter de La Cité. « C’est impossible.
— Et pourtant…
— Qui supervisait le
protocole?
— Bernie. »
Bernard Simmons était l’un des illusionnistes les plus prometteurs de sa
génération et il connaissait tous les trucs du métier – il en avait lui-même
développé quelques-uns. Randall doutait qu’il ait pu se faire jeter de la
poudre aux yeux. « Vous avez fait combien d’essais?
— Dix-sept, avec des
délais variables entre chacun. À chaque fois, il a pointé exactement dans la
direction de son oiseau. Il a obtenu la note parfaite. »
Pourtant, il devait bien
y avoir un truc… Randall était reconnaissant que l’âge ait, jusqu’ici, épargné
son cœur : il battait comme s’il voulait s’échapper de son torse. Une
sueur froide coulait dans le creux de son dos. « Dis-moi qu’il est encore
en ville…
— Oui, oui. Il nous a
assuré qu’il se prêterait à tous les essais supplémentaires, avec d’autres
protocoles si nous le désirons. »
Lorsqu’il avait
entendu parler du reporter pour la première fois, Randall l’avait classé comme Fool parce qu’il déléguait l’élaboration
du protocole scientifique à l’équipe de la Fondation. Un escroc, au contraire,
aurait veillé à mettre en place une occasion de tricherie qui ne soit pas remarquée
par le camp des examinateurs. Ce zigoto aurait été arrogant de présumer pouvoir
tromper l’œil inquisiteur des sceptiques de la Fondation… S’il n’avait pas
réussi à le faire.
Randall frotta sa
nuque. Elle était trempée. Que deviendrait l’œuvre de sa vie si ce type
parvenait à convaincre le monde entier que les sceptiques les plus célèbres
avaient tort? Les masses n’avaient jamais attendu de preuve pour croire, bien
entendu; il entrevoyait toutefois que tous les believers se raccrocheraient à ce résultat comme une preuve
confirmant que tout le reste était du domaine du possible… Et, ironie suprême,
que c’est du discours des sceptiques dont il fallait douter.
« Attendez-moi
pour la prochaine ronde de tests. Matthew est au travail : je prends un
taxi. Je pars tout de suite. Je tiens à rencontrer ce monsieur…
— Gauss.
— Ouais. À tout de
suite. »
Pendant sa préparation
et le trajet subséquent, Randall James ne cessa pas un instant de penser à ce
qui se cachait derrière ce succès apparent, ce truc capable de berner Bernie
Simmons.
Bien qu’il eût gagné
en jouant selon les règles que Randall avait lui-même posées, il lui était tout
simplement impossible de considérer que ce monsieur Gauss puisse réellement
détenir quelque capacité surnaturelle.
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