dimanche 9 octobre 2016

Le Nœud Gordien, épisode 441 : La séductrice, 2e partie

Szasz ne fumait pas souvent, et c’était encore plus rare qu’il se retrouvait high au volant. L’expérience aurait été amusante s’il n’avait pas été contraint à devenir hypervigilant dès qu’il devait tenter quelque manœuvre. Au prix de quelques maladresses sans conséquences, il arriva au Matsuta. Il lui fallut quand même une dizaine de tentatives pour se stationner convenablement.
Dès qu’il passa le seuil, il se retrouva enrobé par l’atmosphère. Des lumières tamisée éclairaient des draperies violettes; une musique électronique douce mais insistante chatouillait ses oreilles. Szasz n’était pas du tout mélomane, et d’habitude, toutes les déclinaisons de techno l’agaçaient. Il fallait admettre que ce soir, la mélodie vibrait en harmonie avec son cerveau affecté.
Le gars au bar le salua. « Monsieur Szasz, vous allez bien?
— Très bien, merci. Charles, c’est ça?
— Eliott, monsieur. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ce soir?
— Je cherche une fille… Asiatique, cheveux très longs, grande comme ça…
— Elle est dans la section arrière. Est-ce que je peux vous offrir quelque chose à boire?
— Bonne idée. » En temps normal, il aurait demandé une bière ou une bouteille de vodka. Il avait envie de quelque chose d’inhabituel pour rincer sa bouche sèche. « Surprends-moi », répondit-il en déposant un billet sur bar.
Il l’aperçut, assise à une table haute tout au fond. Elle n’était pas seule.
Deux gars lui faisaient la conversation. La musique couvrait leurs échanges, mais ils avaient l’air de bien se marrer. Il suffisait d’un coup d’œil pour voir que Megan leur plaisait bien.
Szasz s’approcha de la table lentement, délibérément, en bombant le torse. L’imposition de sa présence souffla un vent froid sur la conversation. L’un des garçons lui jeta un regard interloqué; l’autre ne cacha pas son hostilité.
« Salut, Megan, dit Szasz.
— Tu le connais? », demanda le gars le moins accueillant, un rouquin au visage pâle constellé de taches de rousseur.
« Allez prendre une marche, les boys », dit Szasz sans laisser le temps à Megan de répondre.
Le rouquin se dressa comme un coq. « T’as pas le droit de nous dire quoi faire.
— Savez-vous qui je suis?
— Aucune idée, bonhomme. Je sais juste que… »
Son ami lui posa la main sur l’épaule et lui souffla quelques mots à l’oreille. Y’en a un qui est moins con que l’autre, se dit Szasz. Le roux hésita un instant, puis il comprit à son tour que Szasz ne bluffait pas. Les deux garçons battirent en retraite et Szasz prit leur place. Megan n’avait pas dit un mot de tout l’échange, se contentant de jouer avec la paille de son verre.
C’était peut-être le pot qui le rendait sentimental, mais… Il la trouvait particulièrement belle. Son petit corps bien roulé était enserré dans une petite robe bleu électrique. C’était vraiment un beau morceau. Dommage qu’elle ne l’attire plus... Et encore plus dommage qu’il n’ait pas pu profiter de cette denrée périssable pendant que c’était le temps. Meilleure avant dix-neuf ans
Le barman arriva avec un cocktail bleuté dans lequel flottait une spirale de zeste d’orange. « Ouais, c’est surprenant. Bien joué, Charles.
— Eliott, monsieur. » Il s’éloigna.
Szasz scruta Megan de la tête aux pieds. Il remarqua ses mèches blanches qui rehaussaient son aura exotique. « Toujours aussi belle.
— Toujours aussi subtil… »
Szasz ricana. « Tu ne me parlais pas de même, dans l’temps… 
— Dans l’temps, tu me payais pour être, et je cite, un bibelot de luxe.
— Et les bibelots, ça ne réplique pas, c’est vrai. » Pour tout dire, la nouvelle attitude de Megan lui plaisait.
« Je suis contente de te voir, Will », dit-elle avec un sourire charmant.
« Moi aussi. Ça fait un bout… Qu’est-ce que tu deviens?
— Une fois sortie de l’hôpital, j’ai voulu refaire ma vie… Je me suis trouvé une vraie job, je suis retournée à l’école… Ça n’a pas duré. Je me suis fait de nouveaux amis qui m’ont fait découvrir de nouveaux talents.
— Quel genre de talent? »
Megan haussa les épaules. « Faudrait que je te montre. En tout cas, ça m’a… transformée.
— Intrigant. » Szasz goûta au cocktail. C’était un étrange mélange de saveurs qui, contre toute attente, fonctionnaient à la perfection. « Alors. Tu voulais me voir?
— Oui. » Elle quitta sa chaise, contourna la table, et avec aplomb, grimpa sur les genoux de Szasz, les bras autour de son cou. « Je ne t’ai pas remercié pour tout ce que tu as fait pour moi, après l’accident…
— C’est rien, c’est rien… » L’élan de Megan le rendait mal à l’aise. Ne comprenait-elle pas qu’il ne la désirait plus du tout? Il essaya de la repousser doucement, mais elle ne releva pas le signal. Au contraire, elle pressa ses seins contre lui avec insistance. D’un geste qui se voulait sensuel, elle approcha ses lèvres de l’oreille de Szasz.
« Il fallait que je t’avoue… J’ai menti », chuchota-t-elle tout doucement. « Quand tu m’as engagée, je t’ai montré des fausses cartes. »
Szasz la repoussa, avec plus d’insistance cette fois. « Qu’est-ce que tu dis? »
Elle le regarda avec tant d’intensité que le monde disparut, ne laissant dans l’univers que ses beaux yeux noirs… « J’avais seize ans et demi. Maintenant, j’en ai dix-huit. »
Le cœur de Szasz s’emballa, sa gorge se noua, sa queue s’anima d’une érection prodigieuse. Il rêvait. Il allait se réveiller, c’était certain.
Megan caressa la barbe de Szasz et déposa un délicieux baiser sur ses lèvres. « Merci encore, Will. » Elle se releva. 
« Où est-ce que tu t’en vas?
— J’ai dit ce que j’avais à te dire, lança-t-elle en s’éloignant.
— Tu ne vas pas me laisser comme ça!
— Je ne travaille plus pour toi.
— Dis-moi ton prix. N’importe quoi.
— Désolée : je ne fais plus ça…
— Megan! Reviens! »
Le puissant Szasz se retrouva à trotter derrière une adolescente indifférente, comme un chiot piteux à la recherche d’attention. En ce moment, il aurait été prêt à tout pour l’avoir auprès de lui, peu importe le prix, peu importe les compromis… Il lui aurait versé la rançon d’un roi seulement pour qu’elle se rassoie sur ses genoux, qu’il sente à nouveau son joli corps de dix-huit ans contre le sien…
Il était sous le charme. Et c’était fantastique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire