dimanche 23 avril 2017

Le Noeud Gordien, épisode 467 : Au pied du mur

Derrière eux, le son du moteur devint plus aigu : leur assaillant passait en vitesse supérieure.
Tobin continua sa lancée vers le cul-de-sac, mais à la dernière seconde, il tira le frein à main, donna un coup de volant à gauche et écrasa la pédale des freins. La voiture fit un quart de tour en parfaite dérape contrôlée, pendant que Félicia s’agrippait à son siège comme une bouée de sauvetage.
Sans ralentir, Tobin s’engagea le petit parc qui longeait la rue en l’attaquant par la pelouse, devant les yeux incrédules des promeneurs qui s’y trouvaient. La moto sport qui les suivait était moins adaptée aux cahots du parc que leur 4x4; ils gagnèrent de l’avance pendant que l’autre qui se voyait forcé de zigzaguer par les sentiers gravelés en esquivant des piétons ici et là.
À la sortie du parc, Tobin braqua à droite... Vers le Centre-Sud. Son fiasco du Terminus avait enlevé à Félicia toute envie de se retrouver dans la zone radiesthésique. « Merde, Karl! Dans le Cercle, j’peux rien faire! 
— Je sais », grinça-t-il entre ses dents. Mais il maintint le cap.
Un nouveau barrage de béton les força à tourner à gauche. Ce boulevard s’avéra plus achalandé que les rues adjacentes, quoique comparé à la marée humaine du Centre, le flot apparaissait plutôt stagnant. Des gens flânaient en petits attroupements; ici, un vendeur de drogue, sa cour et ses clients; là, un groupe de punks à chiens se passant un litre de bière bon marché…
Aucun autre véhicule ne circulait sur la rue. Deux pâtés de maison plus loin, Tobin donna un nouveau coup de volant. La voiture fit un quart de tour en crissant des pneus; Félicia eut cette sensation qui lui faisait détester les manèges de foires. La jeep grimpa sur la chaîne de trottoir; Tobin la rangea à angle droit par rapport à la rue, le parechoc collé aux briques d’un immeuble. Un passant coupé par la manœuvre se lança dans une tempête d’insultes à la santé mentale du conducteur.
Félicia aurait voulu demander à Karl quel était son plan, ou même s’il en avait un, mais l’homme ne lui en laissa pas le temps. « Donne-moi ça », dit-il en arrachant l’arme de ses mains. « Mets-toi à l’abri. Grouille! »
Ils sortirent de la voiture; le grossier piéton eut le sifflet coupé à la vue du pistolet. Il s’enfuit à toute vitesse, imité par les flâneurs qui flairaient la fusillade imminente.
Tobin s’installa au coin de son véhicule, pointant en direction du vrombissement de la moto qui montait en crescendo. Lorsqu’elle tourna le coin, Tobin ferma un œil et visa. Il tira une, deux, trois fois. Les déflagrations, amplifiées par les façades du boulevard, réussirent à étourdir Félicia, sans pour autant décourager l’assaillant. Celui-ci donna un coup de volant et monta à son tour sur le trottoir pour frôler les murs, forçant du coup Tobin à choisir entre sa couverture et sa ligne de mire.
Tobin choisit de rester à couvert, son arme tenue à la verticale. Il ne restait qu’à espérer que, lorsque se présenterait l’occasion de tenter sa chance, il fasse mouche.
Félicia ne savait plus quoi faire, où se mettre… Elle s’était rarement sentie aussi menacée et impuissante, comme une tortue sur le dos au milieu d’une autoroute.
Il lui restait un mince espoir : que le tueur s’approche assez pour qu’elle puisse l’affecter avec son procédé-taser… Mais dans le Cercle, elle risquait un contrecoup. Si seulement elle avait eu avec elle ses plaquettes… À moins que
Un éclair de douleur la traversa lorsqu’elle frappa l’asphalte du poing à deux reprises. Elle toucha d’un doigt tremblant ses jointures saignantes et, animée par l’énergie du désespoir, elle dessina tant bien que mal le caractère qui rendait possible son truc-soupape. Les traits sont trop irréguliers J’ai besoin de plus de temps pour
Une rafale de mitraillette la força à se planquer contre la carrosserie. La voiture au complet vibrait sous les impacts répétés. Tobin rajusta sa pogne sur son arme et bondit dès que la rafale se tut. Il tira à nouveau, mais après quelques coups, les détonations cessèrent… Son arme s’était enrayée. Le motard comprit la situation, et ne tarda pas à réagir. En trois foulées, il était rendu de leur côté.
Le tueur mit Karl en joue. Félicia serra les dents. On est faits, pensa-t-elle. Elle n’aurait même pas le luxe de savoir qui les avait attaqués, ou pourquoi.
Tobin lança son pistolet inutile au visage du motard. Par réflexe, il eut un mouvement qui retarda l’exécution d’une seconde. Une seconde qui fit toute la différence.
Tobin éleva les mains et une étincelle apparut entre elles. Il tourna ensuite les paumes vers l’ennemi. L’étincelle se transforma en un geyser d’énergie chatoyante qui l’enveloppa complètement. L’instant d’après, les couleurs étaient disparues – le motard avec elles.
Le silence soudain était alourdi par l’acouphène dans les oreilles de Félicia, écho des nombreux coups qui avaient été tirés. Sa main écorchée pulsait au rythme de son cœur. Abasourdie, elle peinait à comprendre ce qui venait de se produire.
« J’aurais préféré que tu ne voies pas ça », dit Tobin. Il jeta un regard à la ronde; plusieurs flâneurs avaient été témoins de la scène. « Eux non plus, d’ailleurs. Allez : on fout le camp. »

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