Derrière eux, le son
du moteur devint plus aigu : leur assaillant passait en vitesse
supérieure.
Tobin continua sa lancée
vers le cul-de-sac, mais à la dernière seconde, il tira le frein à main, donna
un coup de volant à gauche et écrasa la pédale des freins. La voiture fit un
quart de tour en parfaite dérape contrôlée, pendant que Félicia s’agrippait à
son siège comme une bouée de sauvetage.
Sans ralentir, Tobin
s’engagea le petit parc qui longeait la rue en l’attaquant par la pelouse,
devant les yeux incrédules des promeneurs qui s’y trouvaient. La moto sport qui
les suivait était moins adaptée aux cahots du parc que leur 4x4; ils gagnèrent
de l’avance pendant que l’autre qui se voyait forcé de zigzaguer par les
sentiers gravelés en esquivant des piétons ici et là.
À la sortie du parc,
Tobin braqua à droite... Vers le Centre-Sud. Son fiasco du Terminus avait
enlevé à Félicia toute envie de se retrouver dans la zone radiesthésique. « Merde,
Karl! Dans le Cercle, j’peux rien faire!
— Je sais », grinça-t-il
entre ses dents. Mais il maintint le cap.
Un nouveau barrage de
béton les força à tourner à gauche. Ce boulevard s’avéra plus achalandé que les
rues adjacentes, quoique comparé à la marée humaine du Centre, le flot apparaissait
plutôt stagnant. Des gens flânaient en petits attroupements; ici, un vendeur de
drogue, sa cour et ses clients; là, un groupe de punks à chiens se passant un
litre de bière bon marché…
Aucun autre véhicule
ne circulait sur la rue. Deux pâtés de maison plus loin, Tobin donna un nouveau
coup de volant. La voiture fit un quart de tour en crissant des pneus; Félicia
eut cette sensation qui lui faisait détester les manèges de foires. La jeep
grimpa sur la chaîne de trottoir; Tobin la rangea à angle droit par rapport à
la rue, le parechoc collé aux briques d’un immeuble. Un passant coupé par la manœuvre
se lança dans une tempête d’insultes à la santé mentale du conducteur.
Félicia aurait voulu demander
à Karl quel était son plan, ou même s’il en avait un, mais l’homme ne lui en
laissa pas le temps. « Donne-moi ça », dit-il en arrachant l’arme de
ses mains. « Mets-toi à l’abri. Grouille! »
Ils sortirent de la
voiture; le grossier piéton eut le sifflet coupé à la vue du pistolet. Il s’enfuit
à toute vitesse, imité par les flâneurs qui flairaient la fusillade imminente.
Tobin s’installa au
coin de son véhicule, pointant en direction du vrombissement de la moto qui
montait en crescendo. Lorsqu’elle tourna le coin, Tobin ferma un œil et visa.
Il tira une, deux, trois fois. Les déflagrations, amplifiées par les façades du
boulevard, réussirent à étourdir Félicia, sans pour autant décourager l’assaillant.
Celui-ci donna un coup de volant et monta à son tour sur le trottoir pour
frôler les murs, forçant du coup Tobin à choisir entre sa couverture et sa
ligne de mire.
Tobin choisit de
rester à couvert, son arme tenue à la verticale. Il ne restait qu’à espérer
que, lorsque se présenterait l’occasion de tenter sa chance, il fasse mouche.
Félicia ne savait plus
quoi faire, où se mettre… Elle s’était rarement sentie aussi menacée et
impuissante, comme une tortue sur le dos au milieu d’une autoroute.
Il lui restait un
mince espoir : que le tueur s’approche assez pour qu’elle puisse l’affecter
avec son procédé-taser… Mais dans le Cercle, elle risquait un contrecoup. Si
seulement elle avait eu avec elle ses plaquettes… À moins que…
Un éclair de douleur
la traversa lorsqu’elle frappa l’asphalte du poing à deux reprises. Elle toucha
d’un doigt tremblant ses jointures saignantes et, animée par l’énergie du
désespoir, elle dessina tant bien que mal le caractère qui rendait possible son
truc-soupape. Les traits sont trop
irréguliers… J’ai besoin de plus de
temps pour…
Une rafale de
mitraillette la força à se planquer contre la carrosserie. La voiture au
complet vibrait sous les impacts répétés. Tobin rajusta sa pogne sur son arme
et bondit dès que la rafale se tut. Il tira à nouveau, mais après quelques
coups, les détonations cessèrent… Son arme s’était enrayée. Le motard comprit
la situation, et ne tarda pas à réagir. En trois foulées, il était rendu de
leur côté.
Le tueur mit Karl en
joue. Félicia serra les dents. On est
faits, pensa-t-elle. Elle n’aurait même pas le luxe de savoir qui les avait
attaqués, ou pourquoi.
Tobin lança son
pistolet inutile au visage du motard. Par réflexe, il eut un mouvement qui
retarda l’exécution d’une seconde. Une seconde qui fit toute la différence.
Tobin éleva les mains
et une étincelle apparut entre elles. Il tourna ensuite les paumes vers l’ennemi.
L’étincelle se transforma en un geyser d’énergie chatoyante qui l’enveloppa
complètement. L’instant d’après, les couleurs étaient disparues – le motard
avec elles.
Le silence soudain était
alourdi par l’acouphène dans les oreilles de Félicia, écho des nombreux coups
qui avaient été tirés. Sa main écorchée pulsait au rythme de son cœur. Abasourdie,
elle peinait à comprendre ce qui venait de se produire.
« J’aurais
préféré que tu ne voies pas ça », dit Tobin. Il jeta un regard à la ronde;
plusieurs flâneurs avaient été témoins de la scène. « Eux non plus, d’ailleurs.
Allez : on fout le camp. »
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