Daniel Olson et
Pénélope Vasquez étaient trempés jusqu’aux os, marinés par des heures sous
cette pluie glacée qui n’avait en rien diminué d’intensité depuis le grand
rituel. La porte du 5450, boulevard La Rochelle s’ouvrit pour les accueillir
avant même qu’ils ne l’aient touchée. Asjen Van Haecht était de garde. Pénélope
trotta jusqu’à l’intérieur; Olson, quant à lui, avança à un rythme de
promenade. La pluie avait déjà gagné en s’infiltrant partout; il n’était plus
utile de la combattre. Et de toute manière, les Français ne disaient-ils
pas : on n’est mouillé qu’hors de
l’eau?
« Il pleut
encore, hein? », demanda Asjen.
Plutôt que lui répondre,
Olson demanda : « Qui est en haut?
— Ben, y’a mon père,
Aart, Avramopoulos, Latour, Mandeville…
— Gordon n’est pas
encore revenu?
— Pas que je sache.
Ah, y’a aussi Derek.
— Derek?
— Ben, le type à la
guitare indienne.
— C’est un
sitar », dit Olson sur un ton didactique. « Et ce type, c’est Derek Virkkunen.
— Et alors? C’est
qu’un simple initié… »
Oh, et toi tu es meilleur parce que ton papa t’a donné ton épée?
Une image absurde lui vint à l’esprit : la statue de la Liberté soutenant
que le David de Michel-Ange n’a aucune valeur parce qu’il n’est pas aussi vert
qu’elle…
Olson retira son
manteau et le tendit à Asjen, tout dégoulinant. La pluie avait mouillé le
T-shirt qu’il portait en-dessous jusqu’à son nombril. Un signe discret à
Pénélope lui suggéra de faire pareil. Le jeune homme se retrouva les bras
chargés de tissus ruisselants d’eau froide, sans nulle part où les accrocher.
« Qu’est-ce que
je dois faire avec ça, moi?
— Tu trouveras bien.
Après tout, tu n’es plus un simple initié… », répondit Olson d’un ton sec en
se détournant. « Ne quitte le rez-de-chaussée sous aucun prétexte. »
Un coup d’œil en
direction de Pénélope une fois dans l’ascenseur suffit à dissiper son
irritation. Son chemisier mouillé était plaqué contra sa peau; il ne couvrait
plus grand chose… Plus excitant encore, Pénélope le dévorait des yeux avec une
avidité non dissimulée. L’étincelle jaillit de leur désir réciproque; il la
plaqua au fond de la cage d’ascenseur en
l’embrassant goulument.
Ce n’est qu’une dizaine
de minutes plus tard qu’il appuya sur le bouton du troisième. Les deux étaient toujours
aussi mouillés, mais à tout le moins, ils n’avaient plus froid…
Le son du sitar les
accueillit au laboratoire. Avramopoulos et Latour prenaient le thé à quelques
pas de Virkkunen, assis sur des coussins, pieds nus, absorbé par sa musique. Musicien virtuose en plus du reste… Tout ce
talent chez un même homme? Humbling.
Ils s’approchèrent du
petit groupe.
Latour le salua avant
de les examiner des pieds à la tête. « La pluie a-t-elle cessé? »
Olson haussa le
sourcil.
« Vous voyez bien
que oui », répondit Pénélope en essorant sa queue de cheval. « Vous
devriez aller profiter du soleil, vous aussi.
— Bon, bon », dit
Avramopoulos. « Assez de plaisanteries. Qu’avez-vous appris?
Virkkunen posa une
main sur ses cordes pour faire taire le sitar.
Pénélope
expliqua : « De manière générale, la quantité d’énergie
radiesthésique est stabilisée à un niveau comparable à celui de Kiev, La Plata,
bref des autres Cercles… Rien ne nous laisse croire que les fluctuations que
nous avons observées durant le rituel persistent encore.
— Pourquoi elle fait
la gueule, si les nouvelles sont bonnes? », demanda Avramopoulos à Olson.
Celui-ci resta tourné vers Pénélope, comme s’il n’avait rien entendu. Il connaissait
bien le petit jeu misogyne du vieux Maître…
« Nous avons
aussi découvert que le tracé de la zone à risque a changé »,
continua-t-elle.
« Changé comment?
— Nous nous attendions
à ce qu’elle rétrécisse, qu’elle retourne à la normale…
— Attendez », dit
Olson. « Je vais chercher la carte de la ville. »
Lorsqu’il revint en
tirant le tableau à roulette où la carte avait été fixée, Latour était en
grande conversation avec Pénélope. « …je suis fortement intéressé à
apprendre votre procédé pour jauger quantitativement l’activité radiesthésique
environnante…
— Une faveur pour un
secret…
— Oui, oui. Bien sûr. Et
si vous n’avez rien en tête pour l’instant, je vous en devrai une. »
Pénélope chercha le
regard d’Olson. Un mouvement imperceptible par les autres lui confirma la
réponse à sa question muette : cette
faveur est pour toi. Cet échange permettrait à Pénélope de lier des liens
personnels avec Latour qui ne pourraient que jouer en sa faveur dans le futur. Un pas de plus vers les ligues majeures…
Olson dessina sur la
carte la zone radiesthésique telle qu’ils l’avaient patiemment observée sur le
terrain. Une nouvelle section s’était rajoutée à l’ancienne. Ensemble, elles
avaient la forme d’un 8 géant.
« Mais qu’est-ce
que c’est que cette forme? », s’exclama Avramopoulos. « On parle d’un
cercle ou non?
— À moins que ce
soient deux cercles qui s’interpénètrent », dit Virkkunen. Tous se
tournèrent vers lui.
« Oui, oui, c’est
évident », dit Avramopoulos. « Quand on y pense…
— Le rituel n’aurait
pas pu avoir cet effet », dit Latour. « C’est à n’y rien
comprendre… Un nouveau Cercle? Qui aurait pu…
— L’anathème! »,
s’exclama Avramopoulos. « Ce ne peut être qu’elle!
— Gordon s’en est…
occupé », rappela Latour.
« Moi, je pense
que Gordon nous cache quelque chose », rétorqua Avramopoulos. « D’ailleurs,
où est-il? Ne devait-il pas arriver en même temps que vous pour faire son
rapport? Déjà, vous étiez un peu en retard… »
C’était une nouvelle
étrangeté : Olson connaissait Gordon comme l’incarnation de la ponctualité…
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