dimanche 1 mars 2015

Le Nœud Gordien, épisode 359 : Mouillés

Daniel Olson et Pénélope Vasquez étaient trempés jusqu’aux os, marinés par des heures sous cette pluie glacée qui n’avait en rien diminué d’intensité depuis le grand rituel. La porte du 5450, boulevard La Rochelle s’ouvrit pour les accueillir avant même qu’ils ne l’aient touchée. Asjen Van Haecht était de garde. Pénélope trotta jusqu’à l’intérieur; Olson, quant à lui, avança à un rythme de promenade. La pluie avait déjà gagné en s’infiltrant partout; il n’était plus utile de la combattre. Et de toute manière, les Français ne disaient-ils pas : on n’est mouillé qu’hors de l’eau?
« Il pleut encore, hein? », demanda Asjen.
Plutôt que lui répondre, Olson demanda : « Qui est en haut?
— Ben, y’a mon père, Aart, Avramopoulos, Latour, Mandeville…
— Gordon n’est pas encore revenu?
— Pas que je sache. Ah, y’a aussi Derek.
Derek?
— Ben, le type à la guitare indienne.
— C’est un sitar », dit Olson sur un ton didactique. « Et ce type, c’est Derek Virkkunen.
— Et alors? C’est qu’un simple initié… »
Oh, et toi tu es meilleur parce que ton papa t’a donné ton épée? Une image absurde lui vint à l’esprit : la statue de la Liberté soutenant que le David de Michel-Ange n’a aucune valeur parce qu’il n’est pas aussi vert qu’elle…
Olson retira son manteau et le tendit à Asjen, tout dégoulinant. La pluie avait mouillé le T-shirt qu’il portait en-dessous jusqu’à son nombril. Un signe discret à Pénélope lui suggéra de faire pareil. Le jeune homme se retrouva les bras chargés de tissus ruisselants d’eau froide, sans nulle part où les accrocher.
« Qu’est-ce que je dois faire avec ça, moi?
— Tu trouveras bien. Après tout, tu n’es plus un simple initié… », répondit Olson d’un ton sec en se détournant. « Ne quitte le rez-de-chaussée sous aucun prétexte. »
Un coup d’œil en direction de Pénélope une fois dans l’ascenseur suffit à dissiper son irritation. Son chemisier mouillé était plaqué contra sa peau; il ne couvrait plus grand chose… Plus excitant encore, Pénélope le dévorait des yeux avec une avidité non dissimulée. L’étincelle jaillit de leur désir réciproque; il la plaqua au fond  de la cage d’ascenseur en l’embrassant goulument.
Ce n’est qu’une dizaine de minutes plus tard qu’il appuya sur le bouton du troisième. Les deux étaient toujours aussi mouillés, mais à tout le moins, ils n’avaient plus froid…
Le son du sitar les accueillit au laboratoire. Avramopoulos et Latour prenaient le thé à quelques pas de Virkkunen, assis sur des coussins, pieds nus, absorbé par sa musique. Musicien virtuose en plus du reste… Tout ce talent chez un même homme? Humbling.
Ils s’approchèrent du petit groupe.
Latour le salua avant de les examiner des pieds à la tête. « La pluie a-t-elle cessé? »
Olson haussa le sourcil.
« Vous voyez bien que oui », répondit Pénélope en essorant sa queue de cheval. « Vous devriez aller profiter du soleil, vous aussi. 
— Bon, bon », dit Avramopoulos. « Assez de plaisanteries. Qu’avez-vous appris?
Virkkunen posa une main sur ses cordes pour faire taire le sitar.
Pénélope expliqua : « De manière générale, la quantité d’énergie radiesthésique est stabilisée à un niveau comparable à celui de Kiev, La Plata, bref des autres Cercles… Rien ne nous laisse croire que les fluctuations que nous avons observées durant le rituel persistent encore.
— Pourquoi elle fait la gueule, si les nouvelles sont bonnes? », demanda Avramopoulos à Olson. Celui-ci resta tourné vers Pénélope, comme s’il n’avait rien entendu. Il connaissait bien le petit jeu misogyne du vieux Maître…
« Nous avons aussi découvert que le tracé de la zone à risque a changé », continua-t-elle.
« Changé comment?
— Nous nous attendions à ce qu’elle rétrécisse, qu’elle retourne à la normale…
— Attendez », dit Olson. « Je vais chercher la carte de la ville. »
Lorsqu’il revint en tirant le tableau à roulette où la carte avait été fixée, Latour était en grande conversation avec Pénélope. « …je suis fortement intéressé à apprendre votre procédé pour jauger quantitativement l’activité radiesthésique environnante…
— Une faveur pour un secret…
— Oui, oui. Bien sûr. Et si vous n’avez rien en tête pour l’instant, je vous en devrai une. »
Pénélope chercha le regard d’Olson. Un mouvement imperceptible par les autres lui confirma la réponse à sa question muette : cette faveur est pour toi. Cet échange permettrait à Pénélope de lier des liens personnels avec Latour qui ne pourraient que jouer en sa faveur dans le futur. Un pas de plus vers les ligues majeures
Olson dessina sur la carte la zone radiesthésique telle qu’ils l’avaient patiemment observée sur le terrain. Une nouvelle section s’était rajoutée à l’ancienne. Ensemble, elles avaient la forme d’un 8 géant.
« Mais qu’est-ce que c’est que cette forme? », s’exclama Avramopoulos. « On parle d’un cercle ou non?
— À moins que ce soient deux cercles qui s’interpénètrent », dit Virkkunen. Tous se tournèrent vers lui.
« Oui, oui, c’est évident », dit Avramopoulos. « Quand on y pense…
— Le rituel n’aurait pas pu avoir cet effet », dit Latour. « C’est à n’y rien comprendre… Un nouveau Cercle? Qui aurait pu…
— L’anathème! », s’exclama Avramopoulos. « Ce ne peut être qu’elle! 
— Gordon s’en est… occupé », rappela Latour.
« Moi, je pense que Gordon nous cache quelque chose », rétorqua Avramopoulos. « D’ailleurs, où est-il? Ne devait-il pas arriver en même temps que vous pour faire son rapport? Déjà, vous étiez un peu en retard… »
C’était une nouvelle étrangeté : Olson connaissait Gordon comme l’incarnation de la ponctualité…

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