Partout dans
le monde, la vie dans la rue est reconnue pour sa dureté. Elle était doublement
dure pour les villes qui, comme La
Cité , devaient aussi composer avec la rudesse de l’hiver. Le
blizzard avait soufflé pendant presque trois jours avant de s’éteindre. Le
proverbial calme après la tempête s’était avéré glacial; l’absence de vent
conférait au décor un air d’immobilité, comme si tout retenait son souffle en
attendant la fonte.
Garnotte entra
dans La détente comme une bouffée de froidure. Il était petit et trapu; sa
barbe était couverte de frimas, vestiges cristallisés de sa respiration. Il
portait couches sur couches de vêtements chauds mais son visage n’était pas
moins tout rouge. En cette journée sibérienne, c’était son tour d’être vigie
pour les Sons of a Gun. « Il y a
encore des ti-clins qui font leur show dans la rue… ».
Les ti-clins
en question étaient des membres des Rottens, l’un des gangs les plus actifs
dans la guerre contre les motards. Après la mort de Lev Lytvyn – et en raison
de l’approche moins monopolistique de son successeur – les gangs étaient
apparus comme les champignons après la pluie. Les groupes criminels des villes
avoisinantes avaient implanté des cellules dans La Cité ; plusieurs « entrepreneurs »
locaux s’étaient aussi lancés en affaire afin de gagner leur part du gâteau – par la force au besoin.
Il était
communément admis que les Rottens se distinguaient des autres gangs de rue :
ils étaient plus organisés, mieux armés que la plupart. Surtout, ils
recrutaient agressivement les jeunes de La Cité ; à ce rythme, ils deviendraient sous peu
l’un des poids lourds du monde interlope.
Leur show était quant à lui une parade
en voiture sur l’avenue De L’Irlande en arborant fièrement leurs couleurs,
rouge sur fond noir. C’était une incursion en règle au cœur du territoire des Sons of a Gun, une provocation
explicite.
Lorsque les
Rottens repassèrent, ils étaient attendus : six motards les attendaient
sur ce qui avait été la terrasse du bar. Ils entendirent la voiture longtemps
avant de la voir : les vibrations de la musique que ses passagers
écoutaient à tue-tête les annonçaient à des mètres à la ronde. Lorsqu’ils
arrivèrent à la hauteur de La détente, les motards ouvrirent leurs vestes pour
leur montrer des revolvers, des carabines, mais surtout deux pistolets
mitrailleurs et même un fusil d’assaut que tenait le gigantesque Jésus Crisse
dans son long manteau de cuir.
Le show était fini : les Rottens
accélérèrent immédiatement. Les motards s’amusèrent de les voir déraper sur
l’asphalte mal déneigée. Ils tournèrent à gauche sur la 23e rue Est
et retournèrent à toute vitesse vers leur territoire.
« On
rentre? » demanda un motard en soufflant dans ses mains.
« Ouais »,
dit Garnotte. « Je vais finir mon temps dehors. Restez prêts au cas où. »
D’un ton
grave, Jésus dit : « Va falloir leur montrer c’est quoi un
territoire…
— « Okay.
On appelle Goudron. On va voir ».
Le chef
débarqua à La détente quelques minutes plus tard.
« Pas
une semaine sans qu’ils viennent nous niaiser chez nous », résuma Jésus. S’ils
ne faisaient rien, leur réputation s’en trouvaient diminuée, mais une fusillade
devant leur local équivalait à inviter la police chez eux. Tous les Sons of a gun comprenaient le caractère
délicat de leur situation.
« Là,
c’est à notre tour », répondit Goudron. « Mais ils vont voir que nous
autres, on ne niaise pas. Cette semaine, les gars ont trouvé une de leurs
places… À les voir entrer et sortir, c’est probablement là qu’ils gardent leur
coke pour tout le quartier.
— Je l’ai vue
leur place », répondit un des gars. « C’est une vraie
forteresse!
— Pas de
problème. Si c’est dur d’entrer, on va les faire sortir… Appelez Katzko. Il ne
voudra pas manquer ça… Il faut que ça se fasse tout de suite! Allez! On
bouge! »
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