vendredi 8 mai 2020

Projet en cours: la Trilogie des goujats!

Bonjour tout le monde! Comme vous le savez, j’ai créé ce blog pour publier le Nœud Gordien, le roman-feuilleton que vous avez suivi pendant dix ans et 500 épisodes (!!!).

Qu'en est-il de votre écrivain du dimanche favori maintenant que ce projet est bouclé? Ces jours-ci, je suis un écrivain... Sept jours sur sept. Je travaille sur une trilogie de romans, qui explorent les écueils de la masculinité d'aujourd’hui à travers le regard de trois amis que j’appelle «mes trois tarés».

J'ai déjà complété Misogyne, le premier volet, que je m'apprête à soumettre à des éditeurs. Cet été, je planche sur le deuxième : Obsédé. Si l'écriture est un plaisir plutôt solitaire, j’ai décidé de partager avec vous des bribes de mon travail sur ma page Facebook au cours des prochaines semaines.

Je vous invite à m'y retrouver!

dimanche 10 décembre 2017

La fin d'une époque!

Il y a plus de dix ans, l'idée d'écrire un roman-feuilleton m'a pris, des publications en petites bouchées, faciles à écrire en marge de mon doctorat, faciles à lire pour quiconque le souhaitait. À l'origine, je disais à moitié à la blague que ce serait amusant de me rendre à 500 épisodes...
Dix ans plus tard, j'y suis parvenu. Beau temps mauvais temps, que je sois en vacances ou dans un "rush", chaque dimanche, j'étais là pour partager le chapitre suivant. Une à trois pages dans mon document Word. Jamais une ligne de plus, jamais une ligne de moins.
À l'origine, j'avais quelques idées floues et distantes de destinations éventuelles pour le récit. C'est toutefois dans le feu de l'action, en me basant sur ce qui avait déjà été posé, que j'ai décidé - la plupart du temps la semaine même - ce qui suivrait. Cet été, pour la première fois, j'ai foncé en avant: je ne pouvais plus me permettre d'inventer à mesure, il fallait que je donne à l'histoire un fin à la hauteur de ce qui avait été installé. J'ai été délicieusement obsédé par tout cela pendant des semaines, mais je pense avoir livré une finale qui laissera croire à ceux qui n'ont pas lu ce paragraphe que tout était planifié depuis le jour 1.
Ces "petites bouchées" se sont accumulées: l'histoire complète fait 435486 mots, plus de deux millions de caractères... Une bonne brique!
La prochaine étape sera de réviser le texte afin de le faire publier. Vu que dix ans se sont écoulées entre le début et la fin, j'ai gagné en expérience, de sorte que, même si je veux garder l'histoire intacte, je sais qu'il y a place à l'amélioration, surtout pour le premier tiers... Alors si vous hésitez encore à vous lancer dans une longue lecture à l'écran, restez à l'écoute! Je m'efforcerai de conquérir la publication papier.
Est-ce que d'autres projets suivront celui-ci? C'est absolument certain que oui. Mais les prochains ne se feront pas en mode feuilleton. 😉
L'écrivain du dimanche vous souhaite une excellente journée... La mienne s'annonce déjà bien!

Le Nœud Gordien, Épisode 500 : Le prochain chapitre

On aurait pu croire que La magie révélée allait annoncer le début d’une période de lumières pour l’humanité, la rencontre longtemps attendue entre la science et le surnaturel. Malheureusement, on observa, dans un premier temps du moins, l’effet contraire.
Sollicités de toute part, les Maîtres de l’Agora refusèrent d’abord de partager à tout vent leur savoir ancestral. Ils firent toutefois volte-face après avoir appris que le clan du Terminus, qui ne partageait pas leurs scrupules, enseignait à quiconque jurait d’obéir aux règles de leur communauté. L’application de ce critère était facilitée par le fait que les Quatre pouvaient vérifier à même l’esprit des candidats leur sincérité réelle…
Les Seize de l’Agora répliquèrent en publiant Magie 101, le tout premier traité de magie authentique, cosigné par Édouard Gauss et Alexandre Legrand. Même si l’accès à la magie s’avérait d’une facilité déconcertante – surtout en comparaison avec ce que les vétérans avaient toujours connus –, la discipline requise pour atteindre l’acuité découragea tout de même la majeure partie des autodidactes, et une proportion importante des novices.
Simultanément, on assista à la montée en flèche de l’obscurantisme et du charlatanisme. La révélation de la magie fit croire à certains, par amalgame, que tout le reste devait forcément être vrai aussi : les OVNIs, le Yéti et les Illuminatis, autant que le monstre du Loch Ness. On disait : si une conspiration de magiciens a pu exister pendant toutes ces années, qui sait ce qu’on nous cache encore? Les astrologues et les cartomanciens s’enrichirent comme jamais aux dépends des plus crédules.
Pire encore, de véritables initiés choisirent éventuellement d’appliquer leurs connaissances pour assouvir leurs bas instincts. Est-ce surprenant qu’on ait nommé les premières années post-révélation la décennie parano? Le risque de tomber sous le joug d’un magicien mal intentionné étant bien réel, en qui pouvait-t-on avoir confiance? La question était d’autant plus pressante que personne ne pouvait plus être entièrement certain de l’authenticité de ses propres pensées…
Le vent tourna après la commercialisation de l’invention la plus célèbre d’Alice Gauss : le kit de détection de la magie. Aussi facile d’usage qu’un papier tournesol, il pouvait détecter si quelqu’un avait été l’objet d’un procédé, allant jusqu’à révéler la signature du praticien responsable, aussi unique qu’une empreinte digitale. Commercialisé par le géant LCA – Legrand Chimie et Alchimie –, le kit contribua à dissiper la méfiance envers les magiciens.
La transition ne se fit pas sans heurts. C’est grâce à ce kit que l’influence envahissante des Cinq du Terminus fut mise au jour – le cinquième étant le fils d’Aizalyasni Tam, cet étrange enfant qui n’avait jamais développé de conscience propre, habité par celle qu’il partageait avec ses quatre parents… Leur communauté, qu’on qualifiait de culte depuis longtemps, s’était infiltrée partout dans la société, jusqu’aux échelons les plus élevés du pouvoir politique, du crime organisé, des médias… Forcés de répondre aux accusations fusant de toute part, les fidèles des Cinq furent l’objet d’une chasse aux sorcières – la première de l’histoire à reposer sur des assises objectives. Cette révélation ébranla profondément le tissu social et inspira une série d’ajustement aux codes civils et criminels. Une fois la poussière retombée, sécurisée par sa capacité à mieux baliser l’usage de la magie, l’humanité fut fin prête à explorer son potentiel.
Depuis toujours, la recherche théorique dans le domaine avait été limitée par le nombre d’initiés capables d’y contribuer. La communauté grandissante des praticiens acquit vite la masse critique pour établir la radiesthésie comme champ de recherche scientifique en bonne et due forme. Au carrefour de la physique, de la biologie et de la psychologie, il avait pour objet la capacité de l’esprit humain à agir sur le monde matériel, via l’usage de connexions symboliques. La nouvelle discipline fut consacrée lorsque Félicia Lytvyn reçut le prix Nobel de physique pour ses travaux démontrant expérimentalement l’existence de champs, analogues à ceux décrits par la thermodynamique quantique, réagissant à certaines formes d’activité mentale.
Malgré la controverse qu’ils suscitèrent – notamment en raison des allégations, jamais démontrées, que ses recherches avaient été financées par plus de cent millions de dollars issus de l’organisation criminelle de son père –, les travaux de Lytvyn s’avérèrent d’une importance capitale. Ils confirmaient, hors de tout doute, que la vie humaine était plus qu’un épiphénomène, une simple évolution aléatoire dans un cosmos indifférent. Qu’on l’appelle esprit, conscience ou âme, l’essence de l’humanité avait une existence réelle, au même titre que la matière ou l’énergie.
Les futurologues du début du XXIe siècle avaient annoncé l’avènement inévitable de la singularité, le point tournant qui changerait à jamais la nature même de la race humaine. On avait présumé qu’elle arriverait par l’entremise de l’intelligence artificielle et de la nanotechnologie… Personne n’avait pu prévoir que la magie allait en devenir partie prenante. En brouillant les frontières entre la vie et la mort, entre l’humain et l’Univers, entre soi et l’autre, elle propulsa l’espèce vers la prochaine étape de son évolution.
Un mystère fascinant de cette période-pivot ne fut toutefois jamais complètement résolu… Qu’est-ce qui avait conduit Romuald Harré, un fils de paysan guatémaltèque, à entreprendre, par des moyens discutables, le grand projet qui avait tout changé?
Le fait que les humains aient pu découvrir par eux-mêmes les symboles et les connexions permettant les procédés magiques, laissait croire que le chemin vers l’Œuvre suprême se trouvait depuis toujours caché dans la nature même du réel, attendant un initié assez génial – ou assez fou – pour le suivre jusqu'au bout.
C’était une hypothèse tenable; au fond, comme se plaisait à souligner l’une des pionnières qui avait pavé la voie à cette révolution : tout est tout.

FIN

dimanche 3 décembre 2017

Le Nœud Gordien, épisode 499 : Dénouement

« Je ne suis toujours pas certain que ce soit une bonne idée », dit Édouard à Félicia pendant qu’elle verrouillait la porte de sa maison.
« Les funérailles, ce n’est pas seulement pour honorer la mémoire d’un disparu, rétorqua-t-elle. C’est surtout pour permettre aux survivants de se retrouver entre eux.
— Félicia… C’est ma faute. C’est moi qui ai pressé sur la gâchette. C’est ridicule!
— C’était un cas de légitime défense. Après tout, ils t’ont tué juste après. Littéralement tué! N’importe qui à ta place aurait fait pareil. »
Il espérait que la commission d’enquête mise sur pied par la mairesse, prévue pour la mi-septembre, reconnaisse elle aussi cette interprétation. Il se comptait chanceux d’avoir pour témoin Claude Sutton, dont la parole risquait de peser encore plus que la sienne. Il soupira et embrassa la joue de Félicia. « Tu as raison. Comme toujours. Allons-y… »
Le service avait lieu dans une maison funéraire cossue de l’Ouest. Par on ne sait quel moyen, les médias avaient eu vent que quelque chose s’y passait. Tout le monde connaissait maintenant l’existence des initiés; l’opinion publique jugeait qu’ils incarnaient une menace souterraine, bien pire que les changements climatiques ou l’immigration. Même les franges plus pondérées de la population exigeaient des réponses. Les Seize n’étaient pas naïfs : de la même manière que tirer sur un fil peut défaire un tricot, en répondant aux questions de la populace, d’autres questions seraient soulevées en cascade, jusqu’à mettre au jour les crimes que certains avaient commis, et toutes ces irrégularités dont aucun initié n’était innocent.
Tendu comme la corde d’un arc, Édouard traversa la haie des journalistes, Félicia à son bras. Beaucoup de visages connus, certains anciens collègues… La plupart des questions lui étaient destinées, à propos de la magie révélée, de l’irruption de Gordon, du fait de mieux en mieux établi que tous ceux qui lui avaient obéi avaient été consommateurs d’Orgasmik. Et ils n’avaient pas oublié que son frère Philippe était le créateur présumé de l’O, ce qui donnait au tout des airs de conspiration… Il fit la sourde oreille : la vraie source de sa nervosité se trouvait à l’intérieur.
Pendant qu’il préparait l’émission, il avait souvent craint les représailles de ceux qu’il devait trahir. La révélation de son lien surnaturel avec Ozzy avait toutefois pris des allures de peccadille, éclipsée par l’intervention spectaculaire de Gordon et l’Œuvre de Harré. Il fut soulagé, à son entrée, de lire dans le visage des autres qu’on l’accueillait encore comme un pair.
Félicia et Édouard saluèrent Arie Van Haecht, dont le fauteuil roulant avait été positionné non loin de l’entrée. Il avait repris du mieux depuis qu’on l’avait libéré de sa compulsion pour s’occuper de ses deux frères. Ceux-ci devenaient de plus en plus fonctionnels, mais leur mémoire demeurait désespérément embrouillée. « Nous allons bientôt retourner à Rotterdam et aménager dans la maison de notre père, annonça-t-il d’entrée de jeu. Avec un peu de chance, l’environnement familier va accélérer leur récupération. À propos, j’ai reçu des nouvelles d’Adam…
— Ah oui?, dit Félicia, plus par politesse que par intérêt réel.
— Il dit qu’il aura complété le Grand Œuvre d’ici Noël… Il est le premier surpris d’avoir autant avancé… 
— Tu lui transmettras nos félicitations », conclut Édouard.
Le couple rejoignit ensuite Olson, Stengers et Polkinghorne. Les trois hommes se trouvaient au milieu d’une conversation animée. Olson les accueillit avec une question : « Avez-vous vécu des manifestations synchrones depuis ce jour-là? »
Ce jour-là… Le jour où tout avait changé, ce moment-pivot marqueur d’un avant et d’un après incommensurables. Ce jour où Édouard avait péri, et était revenu à la vie; ce jour où Olson était sorti de sa catatonie, non seulement en bonne santé, mais libéré de cet engrenage cassé qui lui avait empoisonné l’existence.
« Non, pas de manifestation, dit Félicia. Et vous? 
— C’est ce dont nous discutions, répondit Polkinghorne. On dirait qu’elles ont cessé. Comme si le destin avait atteint son aboutissement. Comme si l’Univers nous avait guidés jusqu’à ce jour-là. Et maintenant que nous sommes arrivés à destination, il n’a plus besoin de nous envoyer de signaux. »
Stengers se lança dans une description des changements qu’il avait perçus dans sa pratique depuis ce jour-là. Il avait l’impression que le monde ne résistait presque plus aux effets de ses procédés, rendant caduques certaines complexités. « Je vous prédis que, d’ici quelques années, notre pratique se résumera à de simples trucs. Les rituels longs et laborieux seront bientôt une affaire du passé! »
Pénélope se joignit à leur petit groupe en roulant des yeux. « Je ne sais pas quelle mouche a piqué Avramopoulos », chuchota-t-elle en arrivant. Elle réussissait à rendre glamour sa robe noire, pourtant des plus modestes. « Avant, c’est à peine s’il reconnaissait mon existence; maintenant, il ne me lâche plus. » Elle lança un regard à la sauvette dans sa direction. Il avait acculé Mandeville dans un coin, et, à en juger par son expression, il s’était mis en mode charme. « Je crois que le départ de Derek l’a affecté plus qu’il ne veut l’admettre.
— Bien fait pour lui, dit Félicia. Je n’ai jamais compris ce que Derek lui trouvait en premier lieu. » Personne ne connaissait les détails de leur rupture. Les spéculations allaient de bon train; Avramopoulos, fidèle à son habitude, esquivait les questions et déniait l’existence du moindre problème. 
Édouard laissa les autres papoter pour s’approcher du cercueil où reposait Gordon, l’air paisible, les mains croisées sur le ventre, l’anneau de sa panoplie brillant à son doigt. Le thanatologue avait recomposé son visage troué par le feu de Saint-Elme.
Édouard avait côtoyé cet homme, mais l’avait-il vraiment connu? En raison de son apparition dans le cadre de La magie révélée, tout le monde présumait qu’il s’était retrouvé sous le joug de Harré. L’opinion unanime le dépeignait comme une victime, et non comme un collabo. Mais Édouard ne pouvait négliger à quel point son attitude avait changé, bien avant la petite Joute fatidique… Il ne connaîtrait sans doute jamais le fond de cette histoire.
Il se recueillit en silence. Légitime défense ou pas, Édouard se sentait profondément coupable de sa mort.

Le cercueil fut fermé et amené au cimetière adjacent. Latour s’était fait inhumer à Paris, comme il l’avait indiqué dans son testament; les frères Van Haecht parlaient quant à eux de faire construire un monument à leur père, à défaut de pouvoir lui offrir une sépulture. Gordon, dont on ne connaissait pas les dernières volontés, allait être mis en terre dans sa ville d’adoption, le dernier repos d’un homme sans racines.
La procession funèbre se fit sous un ciel gris qui promettait une averse. Le groupe avait décliné les services d’un aumônier pour cette partie du cérémonial; chacun se replia sur ses propres pensées pendant la mise en terre. Ozzy en profita pour venir se poser l’épaule d’Édouard sans crailler, contrairement à son habitude. Avait-il compris la solennité du moment?
Le silence introspectif fut brisé par Avramopoulos. Une fois le cercueil abaissé, il sortit une flasque de la poche de son veston. « Gordon aimait humer l’odeur du scotch, plus encore que le boire », dit-il en levant le contenant vers le ciel. « À ta santé, vieux frère. » Il la vida ensuite dans la fosse.
Au même moment, une goutte tomba sur la joue d’Édouard. Puis une autre, et une autre encore, jusqu’à ce que le doux bruissement de l’averse sur l’herbe se fasse entendre dans toutes les directions.
« Non, non, non, dit Félicia. Ça ne convient pas du tout. Gordon mérite mieux. » Devant le regard interloqué des autres, elle s’accroupit et étala un peu de la terre qui allait bientôt combler la fosse. Du bout du doigt, elle traça quatre symboles, puis elle pointa le dernier. « Visualisez celui-là », dit-elle. Elle retourna aux côtés d’Édouard et glissa une main un peu sablonneuse dans la sienne. Elle prit celle de Polkinghorne, à sa gauche, qui prit celle d’Avramopoulos, qui prit celle d’Arie… Édouard tendit à sienne à Olson, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le cercle soit complété. Les yeux fermés, ils se concentrèrent sur le symbole tracé par Félicia…
…jusqu’à ce qu’ils ressentent sur leur peau la douce chaleur du soleil. Ils ouvrirent les yeux : un arc-en-ciel décorait la grisaille de l’horizon.