dimanche 28 août 2011

Le Noeud Gordien, épisode 185 : Les disciples, 8e partie

Au prix de quelques difficultés – principalement en raison de la guerre qui ébranlait le monde – Vasyl réussit à trouver les matières premières nécessaires. Son père put donc entreprendre le premier jalon du processus qui culminerait dans la réalisation du Grand Œuvre. Vasyl avait emménagé chez lui pour gérer à sa place les nuisances de la vie courante capables de le distraire, mais surtout pour en apprendre autant que possible sur le Grand Œuvre en prévision du jour où son tour viendrait.
On disait qu’un maître au sommet de son art pouvait nécessiter douze ou quinze ans avant de compléter cette première étape. Les matières premières devaient – entre autres – être brûlées au creuset, sublimées à l’athanor, distillées à l’alambic, épurées à l’eau essentielle… Chaque étape du processus devait être reprise maintes et maintes fois, en suivant des instructions précises et complexes. Le soufre, le mercure, les sels et les cristaux pouvaient ainsi graduellement transcender leur nature matérielle pour s’imprégner du raffinement spirituel de l’alchimiste.
Les sots et les ignares croyaient depuis toujours que la mythique pierre philosophale représentait l’aboutissement de la démarche; dans les faits, sa confection n’était qu’un préalable, un catalyseur indispensable pour la réussite des étapes subséquentes.
Depuis le jour où ils avaient senti frémir le réel, Vasyl et son père avaient découvert que leurs formules secrètes pouvaient être réalisées plus facilement; comme ils l’avaient espéré, la confection du catalyseur n’avait pas fait exception. En effet, il avait suffi de quelques répétitions du processus pour produire quelques grains de la substance finale qui, normalement, n’aurait dû apparaître qu’après plusieurs années de travail assidu. En seulement quinze semaines, Grégoire en avait recueilli assez pour façonner sa pierre philosophale comme telle.
Un jour, alors qu’il aurait dû se concentrer sur cette phase cruciale, Grégoire entra en trombe dans le cabinet couvert de livres où Vasyl avait pris l’habitude de travailler. Voyant le visage animé du vieil homme, il déposa sa plume.
« Qu’y a-t-il donc?
— N’as-tu donc rien ressenti?
— Je suis désolé : j’ignore à quoi vous référez.
— J’ai ressenti un phénomène nouveau… »
— À l’instant?
— Oui; je le ressens encore.
— Vraiment! » Vasyl se leva, fébrile à son tour. « Votre maîtrise vous fait sans doute percevoir des choses qui sont encore hors de ma portée! Je vous en prie : décrivez-moi vos sensations. »
Grégoire ferma les yeux. « C’est comme si une chaleur m’habitait, une chaleur qui réchauffe non pas ma peau, mais mon âme… Je puis même pointer la direction d’où elle provient… 
— Et d’où vient-elle? » Grégoire indiqua le sud-ouest. « Venez avec moi, mon père : peut-être pourrez vous aussi voir ce que vous ressentez… »
Vasyl ne s’était guère trompé : lorsque Grégoire put voir l’horizon dans la direction qu’il avait pointée, il figea comme s’il avait croisé le regard d’une Gorgone.
 « Que voyez-vous donc pour réagir ainsi?
— Je vois une colonne de feu qui joint le ciel et la terre, plus grande que la tour Eiffel… C’est… Je… J’ai marché sur les cinq continents, j’ai voyagé du Tibet à la Terre de feu, de l’Islande à l’Indochine mais… Ceci est la plus belle chose que j’aie vue de toute ma vie. » 
Vasyl, lui, ne voyait rien d’anormal. « Est-elle loin d’ici?
— Difficile à dire…
— Je vous y conduis? » Le vieil homme se contenta de faire oui de la tête en fixant l’horizon, les yeux mouillés et la gorge serrée. Lorsque Vasyl revint pour le conduire à la voiture, il n’avait pas bougé d’un pouce.
En suivant les indications de son père, Vasyl l’amena jusqu’à un boisé touffu en bordure du bourg de Sviatoshyn, après quoi ils durent abandonner leur véhicule pour continuer à pied. Ils avancèrent lentement, le fils aidant le père à enjamber les racines et à contourner les fourrés.
« Ne sens-tu pas cette chaleur? Ne vois-tu pas cette lumière dorée? Nous approchons de sa source…
— Non; à mes yeux, il s’agit d’un bois des plus ordinaires. Je… 
— Grigory Sergueïevitch Solovyov. Approchez, je vous en prie. »
Une trouée s’ouvrait quelques pas plus loin, au centre de laquelle se tenait l’homme qui avait parlé. Quoique dans la force de l’âge, ses cheveux étaient tout blancs. Il regardait dans leur direction avec des yeux pétillants qui ne clignaient jamais; son sourire large et invariant apparaissait plus qu’un peu fou.
En s’approchant, Vasyl remarqua que l’entièreté de la clairière était tracée de symboles hermétiques; il n’en reconnaissait qu’une infime fraction, mais un coup d’œil suffit pour qu’il comprenne que même son père n’était qu’un apprenti comparé à celui qui les avait tracés.
Dès que Vasyl posa le pied dans la clairière, ses jambes cessèrent de lui obéir. Il tomba sur le côté, paralysé mais conscient.
« Je vous promets qu’il n’arrivera rien à votre fils», dit l’homme à Grégoire qui ne semblait pas même avoir remarqué la chute de Vasyl : il continuait à s’approcher lentement de l’homme, fasciné comme un phalène devant une flamme nue.
 « Je suis Romuald Harré, pour vous servir », dit l’homme à Grégoire. « Nous sommes frères, vous et moi. Approchez! Ensemble, aujourd’hui, nous ferons quelque chose de beau. Quelque chose de grand… »
Grégoire allait ouvrir la bouche, mais Harré répondit à la question avant qu’il ne la pose. « Oui, c’est moi qui suis derrière ce que vous appelez le phénomène… Et ça n’est pas fini : j’ai besoin de vous pour aller encore plus loin… »
Grégoire arriva au centre du cercle; subjugué, il prit les mains que Harré lui tendaient.
Ils se tinrent ainsi sans mouvoir pendant de longues minutes de silence; la forêt elle-même paraissait avoir tu ses bruissements. Puis Grégoire poussa un cri d’extase et de surprise mélangées avant que son corps explose en une fine bruine rouge et grise qui se maintint en suspension une seconde pour ensuite se disperser au vent.
Vasyl assista impuissant à la pulvérisation de son père, incapable de hurler l’horreur qui l’habitait tout entier. 
Harré essuya ses mains sur ses pantalons. Son sourire n’avait pas diminué d’un iota. « Son corps et son esprit persistent, quoique différemment : ils font dorénavant un avec l’essence du monde. Sens-tu l’énergie qui se met déjà en mouvement? »
Vasyl ne ressentait rien d’autre qu’une terreur profonde.
Harré haussa les épaules. « Peu importe. » Il trotta jusqu’à Vasyl. Il le retourna sur le dos avant de saisir et serrer son cou à deux mains.
Ta promesse! Tu avais promis qu’il ne m’arriverait rien!
« C’est vrai. Mais crois-moi : tu souffriras moins ainsi », murmura Harré, pendant qu’un voile noir tombait sur la vie de Vasyl Grigoryevitch Solovyov. 

dimanche 21 août 2011

Le Noeud Gordien, épisode 184 : Les disciples, 7e partie

L’événement frappa alors que Grégoire préparait ce philtre qui avait si souvent changé sa vie.
Ses doigts crochus par l’arthrite avaient perdu de leur précision des belles années, lorsqu’il épatait la galerie avec ses trucs de prestidigitateur; pour ce genre d’entreprise cependant, une âme entraînée, disciplinée par des décennies de pratique diligente s’avérait autrement plus précieuse.
Il en était au tiers de sa préparation lorsqu’il perçut que quelque chose avait changé, un changement à la fois subtil mais capital. Il interrompit son travail au premier moment qui ne risquait pas de gâcher le processus. Il fit préparer une voiture pour qu’on l’amène en ville.
Son cocher le conduisit d’abord au bureau du télégraphe. Il rédigea un message encodé à l’intention de ses puissants alliés. On lui rappela inutilement que la Grande Guerre rendait les communications difficiles et Kiev se trouvait loin de toutes les autres capitales d’Europe. Grégoire ne s’attendait pas à ce que tous lui répondent, mais au moins un pourrait lui dire si le phénomène avait pu être ressenti à Paris, Londres ou Moscou.
Il se fit ensuite conduire à la maison de son fils Vasyl. Comme toujours, ses petits-enfants l’accueillirent avec force cris et des étreintes; comme toujours, il fit apparaître des sucreries pour les plus jeunes et des pièces de monnaie aux plus vieux. L’absence de l’aîné – parti combattre sur le front de l’Est – emplissait son cœur de tristesse mais de fierté aussi…
Lorsque Vasyl arriva à son tour, Grégoire comprit immédiatement à son expression qu’il avait lui aussi ressenti le phénomène et qu’il était impatient d’en discuter.
« Tu l’as senti aussi, n’est-ce pas? », demanda Grégoire dès qu’ils se trouvèrent derrière des portes closes.
« Oui… La seule chose qui m’ait empêché d’accourir à votre rencontre était la certitude que vous feriez pareil! »
Grégoire donna une tapa affectueusement l’épaule de son fils avant de l’encourager à poursuivre. « C’était comme si l’éther dans lequel baigne le monde avait frémi un instant…
— Comme si une eau jusque-là stagnante venait d’être dérangée par un corps plongé subitement!
— Je n’aurais pas mieux dit, mon père. Mais quelque chose d’autre s’est produit… 
— Quoi donc? »
Vasyl réfléchit un instant. « Cela fait maintenant quatorze ans que j’ai été introduit aux mystères des Disciples.
— C’est juste.
— Je vous disais qu’il y a cinq ou six mois, j’ai finalement réussi à atteindre cet état particulier que nous cultivons et qui rend possible nos réalisations…
— Oui, oui, tu me l’as dit…
— Il me faut généralement des heures et des heures de préparation et de concentration pour y parvenir; même lorsque j’y parviens, la moindre distraction me le fait perdre… Mais…
— Mais quoi? »
— Depuis cet… événement, je suis constamment dans cet état! », dit Vasyl, radieux.
Il avait fallu à Grégoire trente-cinq ans pour que cet état de grâce lui soit constamment accessible. Que Vasyl ait effectué un impossible bond le même jour où le phénomène étrange s’était fait sentir ne pouvait être une coïncidence.
« Tire ma chaise, veux-tu? Place-la devant la fenêtre, face au sud.
— Avec plaisir, mon père. Que comptez-vous faire?
— Je vais voir si les choses ont changé pour moi aussi… » Il s’assit dans le fauteuil et inspira profondément trois fois. « Ne me dérange sous aucun prétexte. » Il ferma les yeux et plongea en lui-même.
Ce qu’il découvrit lui coupa le souffle. La méditation ne demandait plus aucun effort; il se sentait habité d’une énergie rayonnante, d’une sérénité parfaite… Il portait en son sein l’univers entier; il lui suffisait maintenant de regarder en lui pour tout comprendre, tout réaliser…
Tout.
Il ouvrit les yeux pour découvrir que son fils n’était plus dans la pièce. Sa montre lui dit qu’il était passé neuf heures, mais c’était impossible : la lumière du jour inondait toute la pièce… Sa montre était-elle arrêtée? Il se leva en gémissant. Ses jambes étaient engourdies.
Vasyl ne devait pas se trouver loin, car cette seule activité l’avertit que son père avait fini sa méditation. « Oh, j’ai craint qu’il ne vous soit arrivé quelque chose, mais j’ai respecté votre volonté de ne pas être dérangé…
— Combien de temps ai-je…
— Toute la soirée, toute la nuit, toute la matinée… »
Il disait vrai : la lumière provenait effectivement de l’est. Il n’aurait jamais pensé avoir médité si longtemps. Malgré tout ce temps passé, Grégoire n’avait ni faim ni sommeil.
Il avait cru ne jamais être en mesure d’accomplir le Grand Œuvre. Il savait maintenant que le temps était venu de tenter sa chance. 

dimanche 14 août 2011

Le Noeud Gordien, épisode 183 : Les disciples, 6e partie

Le cœur de Narcisse bondit lorsqu’on annonça enfin l’arrivée de son vieil ami. Leur dernière rencontre remontait à près de deux ans auparavant; ils correspondaient fréquemment, mais leurs lettres ne pouvaient traiter de ce qui intéressait le plus… Narcisse accueillit Jean-Baptiste en l’embrassant sur les deux joues avant de le conduire à la salle de séjour adjacente. Une théière fumante les attendait déjà.
« Quel plaisir de te revoir, vieux frère! », dit Narcisse en s’asseyant, inquiet de constater que l’apparence de Jean-Baptiste s’était encore détériorée. Il avait le teint bileux, le dos voûté; il tenait à la main un mouchoir pour étouffer ses fréquentes quintes de toux.
« Comment va la famille? 
— Ah, tu sais : les femmes… La mienne ne cesse de me casser les oreilles avec telle ou telle mode en soutenant qu’elle est la dernière à ne pas avoir adoptée… Sa dernière lubie est de fréquenter Mme Fawcett et ses suffragettes… »
Jean-Baptiste ne cachait pas son amusement, quoique son sourire fut déformé par un accès de toux. « Dommage que nous gardions notre arme secrète pour des projets de plus grande envergure; je suis convaincu qu’elle amènerait beaucoup de quiétude dans ton ménage!
— J’ai même appris l’hypnose dans l’espoir de museler son enthousiasme », répondit Narcisse le plus sérieusement du monde. « Mais elle ne peut passer une minute sans qu’une idée traverse sa petite tête et divertisse son attention, détruisant mon effort… »
Jean-Baptiste jeta un coup d’œil à la grande toile qui agrémentait la salle de séjour. Elle représentait M. Hill et sa jeune épouse; elle avait été réalisée en 1889, l’année de leur mariage. « Elle ne semble pas bien méchante », dit Jean-Baptiste en la pointant avec un sourire renouvelé. Il avait rencontré Mme Hill assez souvent pour savoir parfaitement que onze ans plus tard, elle n’avait plus rien en commun avec la créature virginale qui apparaissait sur le tableau.
Narcisse poussa un soupir avant d’ajouter : « Avoir su qu’une femme vieillissait d’un an chaque année!
— Qui l’eût cru! 
— C’est bon de te revoir », répéta Narcisse. « Et toi? Comment vont tes affaires? 
— Les choses ne se sont pas passées comme nous l’espérions.
— Ne t’en fais pas : il est évident que nous ne pourrons pas répéter chaque fois le succès que nous avons eu à orchestrer l’alliance entre la France et la Russie… Mais avec du temps et un peu de chance, nous saurons nous instiller dans la Triple Alliance comme nous l’avons fait ici… Nous…
— Je me suis mal exprimé… » Jean-Baptiste s’avança pour chuchoter, comme s’il craignait qu’on ne l’entende.  « Ce n’est pas par quelque malchance que nous avons échoué à Vienne, mais plutôt par l’intervention d’un individu… »
Narcisse bondit sur ses pieds si soudainement que Jean-Baptiste sursauta. « Schachter? Herman Schachter? Lui as-tu parlé? Lui as-tu demandé ce que je voulais savoir?
— Non, non, pas Schachter… Un diplomate attaché au roi Georges de Grèce… Un certain Avramopoulos…
— Un autre des Seize?
— Je crois bien que non… Schachter n’était intéressé qu’à faire respecter ces cinq principes que nous observions déjà…
— Et lui, comment s’est-il fait connaître?
— C’était pendant une soirée à laquelle j’assistais avec nos alliés Russes; durant tout le repas, il m’a lorgné avec un sourire amusé. Il n’était accompagné que d’un entourage restreint; je l’ai donc approché afin de lui demander ce qu’il trouvait si amusant.
— Et?
— Il a agréé mes salutations avant de me dire plutôt sèchement qu’il savait qui nous étions et ce que nous faisions…
— C’est une allusion qui ne dit rien sur ses connaissances réelles…
— C’est justement ce que j’ai pensé; pour en savoir davantage, j’ai tenté de lui faire ingérer notre philtre pour obtenir des réponses…
— De deux choses l’une : soit tu as vérifié qu’il n’avait pas d’importance, soit tu as pu lui tirer quelque secret…
— La bonne réponse est une troisième possibilité que je n’avais guère crue possible…
— Quoi donc?
— Les circonstances m’apparaissaient parfaitement alignées : j’avais versé les gouttes dans sa coupe à l’abri des regards, j’avais réussi à l’amener à l’écart pour mieux l’interroger… Lorsqu’il but, il me regarda droit dans les yeux; après qu’il eut fini de boire, j’observai qu’il ne présentait pas la somnolence habituelle. Il me regardait plutôt avec ce même sourire détestable. Il me dit : votre potion ne m’affectera pas, pas plus que ceux qui sont sous ma protection.
— Vraiment!
— Je pris peur; je l’avais approché avec la confiance du chasseur armé de son fusil, voilà que le fauve m’apprenait qu’il était chargé à blanc. Je m’enfuis immédiatement; le lendemain, je prenais le train qui m’amena jusqu’ici. »
Narcisse se laissa tomber lourdement dans sa chaise. « Sommes-nous condamnés à toujours entrevoir les traces de gens mieux instruits que nous ne le sommes? Alors que nous courrions l’Espagne il y a presque vingt-cinq ans…
— Déjà vingt-cinq ans!
— …les Disciples nous apparaissaient des luminaires de savoir hermétique, alors qu’ils disposaient tout juste d’assez de connaissances pour reproduire le philtre que nous leur avions fourni… Nous avons certes progressés dans notre compréhension, mais que savent ces mystérieux Seize que Schachter représente? Que sait ce Grec capable de voir si facilement notre jeu? Qu’est-ce que Khuzaymah aurait pu nous apprendre si nous l’avions trouvé plutôt que joindre ses soi-disant disciples, qui ne l’ont pas plus connu que nous?  
— Je pense qu’Aguilar a réellement étudié avec lui… Tout ce que nous savons, nous lui devons.
— Est-ce vrai qu’il a entrepris le Grand Œuvre?
— C’est ce qu’on dit. Voilà six ans que je ne l’ai pas vu… »
Narcisse alla à la fenêtre. Il regarda la pluie clapoter sur le balcon pendant un long moment de silence troublé seulement par la respiration âpre de Jean-Baptiste et le trafic londonien en contrebas. « Si nous voulons le réaliser aussi avant de mourir, il nous faudra trouver un meilleur maître que le nôtre…
— Que veux-tu dire? »
Narcisse haussa les épaules. « Je veux dire qu’à mes yeux, le projet politique des Disciples est moins important que la science hermétique qui le rend possible. Nous connaissons maintenant deux véritables maîtres… Il faudrait les persuader de partager leurs secrets… Ou sinon les obliger à le faire. »
La porte de la salle de séjour s’ouvrit brusquement; Narcisse s’attendait à ce que Mme Hill vienne offrir ses salutations à Jean-Baptiste. C’était bien elle, mais pour un tout autre motif. Ses yeux étaient paniqués et larmoyants d’une tristesse qu’elle ne contenait qu’à peine; elle tenait à la main une lettre décachetée.
« Je suis désolée de faire ainsi irruption », dit-elle en anglais en saluant Jean-Baptiste d’un mouvement. « Mais le courrier d’Amérique vient d’arriver…
— Et? 
— Une lettre de votre tante. Votre père est décédé. Mes condoléances… »
Narcisse reçut la surprise sans émoi réel; le moment inévitable approchait depuis si longtemps… Sa seule véritable tristesse : il devait suspendre encore la poursuite de ses véritables ambitions, mais à tout le moins il savait qu’il y reviendrait avec la fortune fabuleuse dont il était l’héritier. 

samedi 13 août 2011

Du sexe là où il n'y en a pas

J'assistais un jour à une conférence de sensibilisation au suicide. Le conférencier entrait dans la partie "homosexualité" de sa présentation... C'est-à-dire qu'il expliquait à l'auditoire comment, pour beaucoup d'adolescents, homosexualité rimait avec insulte et harcèlement de leurs pairs... C'était à l'époque de la sortie remarquée de Daniel Pinard sur le sujet. Jusque là, pas de problème.
Le conférencier, en décrivant comment la question de l'homosexualité était traitée auprès de ses enfants, a lâché: "Chez nous, on sait que Tintin et le capitaine Haddock, vous savez... deux hommes adultes qui vivent ensemble..." [clin d'oeil]
Le commentaire m'avait stupéfié. Tintin n'est pas particulièrement intéressé par les femmes, apparemment (il y a un total de zéro situation romantique dans ses histoires), mais de là à dire qu'il est gay?
J'assistais à cette conférence en tant qu'enseignant, alors je n'ai pas confronté le conférencier... quoique je regrette ne pas l'avoir fait. Alors qu'il dénonçait l'étiquetage sexuel chez les adolescent, voilà qu'il incluait une relation entre gars certes intime mais non sexuée comme un indice d'homosexualité... Paradoxal, n'est-ce pas?
Apparemment, le conférencier n'est pas le seul à faire ce genre de bond logique... Certains verraient des *des marionettes de Sesame Street* comme homosexuelles!
Ah, misère. Et pourquoi pas voir Passe-Partout comme un ménage à trois? Les Schtroumphs, à cent contre une, adeptes de gangbang?
Est-ce nécessaire, utile, intéressant de projeter une sexualité partout?
Est-ce que se préoccuper d'enjeux sociaux donne le droit de les projeter sur des choses qui ne les impliquent pas à priori?




mardi 9 août 2011

Une grosse étape de faite!

Hier, j'ai tapé les trois lettres les plus satisfaisantes à écrire dans un livre: FIN en bas d'une page, en grosses lettres majuscules!

Eh oui, Mythologies est maintenant entièrement sur papier! J'ai fait le décompte des quatre parties cumulées; Mythologies fait pour l'instant 273 pages à interligne et demi. Au tout début, je calculais qu'il ferait autour de 180 pages; lorsque je disais dans mon bilan de l'an dernier qu'il ne restait qu'une trentaine de pages à écrire, c'était en fait une soixantaine... Je dois me méfier de mes estimations, le résultat final reste toujours surprenant!

Est-ce que ceci signifie que l'ouvrage est prêt à la publication? Oh non, loin de là. Je ne suis encore qu'à quelques pas au-delà du premier jet. L'histoire est complète, la trame ne risque pas de changer dramatiquement, mais il y a un gros travail de peaufinage à effectuer... Organiser les idées pour qu'elles coulent comme si un autre arrangement était impensable, s'assurer que chaque mot, chaque virgule soit à sa place... Bref, je ne suis pas sorti du bois. Mais je pense que le travail qui m'attend est d'une toute autre nature que celui que j'ai déjà effectué... Écrire une histoire, c'est tirer du néant quelque chose qui n'existait pas auparavant tandis qu'améliorer un texte qu'on a entre les mains, c'est autre chose... J'ai d'ailleurs déjà travaillé la première partie jusqu'à un niveau capable de me satisfaire; l'idée de faire pareil pour les trois autres me stimule à sa façon.

Merci à ceux et celles qui m'ont appuyé dans ma démarche... Petit à petit, je continue à m'approcher d'une oeuvre achevée, que je pourrai présenter au monde avec fierté (si vous voulez lire mon work-in-progress, mon offre tient toujours...)! En attendant, le Noeud Gordien continue!

dimanche 7 août 2011

Le Noeud Gordien, épisode 182 : Les disciples, 5e partie

Narcisse, Grégoire et Jean-Baptiste avaient élu domicile dans une pension située au cœur des rues labyrinthiques du vieux quartier juste au nord de la Cathédrale de Séville; leur hôte était un vieil homme plus qu’à moitié sourd qui passait ses journées à surveiller la grille à l’entrée de sa propriété. Ses trois seuls pensionnaires pouvaient profiter à loisir de sa cour intérieure toute verte et fleurie. « C’est ici que le jardin d’Eden est resté caché toutes ces années », avait blagué Narcisse en découvrant cet espace harmonieux qu’on ne pouvait imaginer de l’autre côté des murs blancs. Jean-Baptiste, pessimiste, s’était bien dit que si le Paradis sur Terre se trouvait là, on ne tarderait pas à les en chasser…
Les nouvelles pistes trouvées par Narcisse s’avérèrent à peine plus intéressantes que les culs-de-sacs explorés précédemment. L’information glanée à l’église les mena chez des fous, des Juifs, des Gitans et des ermites, mais jamais chez des mages ou des alchimistes…
Après toutes ces semaines passées dans le sud de l’Espagne, les voyageurs avaient compris la sagesse locale qui voulait qu’on se repose plutôt qu’on travaille durant les heures les plus chaudes. Grégoire et Narcisse avaient pris l’habitude de somnoler une heure ou deux pendant que Jean-Baptiste lisait et écrivait sa nombreuse correspondance.
Les dernières lettres lui avaient appris que le scandale qu’ils avaient laissé derrière commençait à tiédir enfin… La femme dont ils avaient obtenu les faveurs par l’entremise de la fiole avait été jugée complice par son mari qui l’avait envoyée au couvent. Ce dernier souffrait d’une longue et pénible maladie que d’aucuns reliaient à cette affaire… Il négligeait son métier et paraissait vieilli de vingt ans en autant de semaines. Jean-Baptiste enviait Grégoire et Narcisse d’avoir pu laisser cet incident derrière eux; quant à lui, la honte et la culpabilité n’avaient guère cessé de lui tenailler les entrailles. Les deux autres, Narcisse surtout, continuaient d’espérer réussir leur quête; Jean-Baptiste considérait depuis quelque temps déjà cette aventure andalouse comme un prétexte plutôt que comme un projet. Comme il pouvait s’ennuyer de Paris! Il ne croyait plus qu’il soit possible de trouver Khuzaymah – ou d’autres mages par ailleurs.
Il n’avait pas tort : avant que les trois compères ne puissent le trouver, on les trouva plutôt.
Six hommes cagoulés surgirent dans leur pension au moment de la sieste, silencieux comme des chats; ils maîtrisèrent Jean-Baptiste avant même qu’il n’ait pu alarmer ses compagnons endormis. Il regarda, impuissant, les complices de ceux qui le tenaient immobile réveiller Narcisse, puis Grégoire. Les assaillants ne semblaient pas armés autrement que de couteaux; Jean-Baptiste savait que Narcisse possédait dans ses affaires deux révolvers de fabrication américaine, mais comme ils n’avaient pas deviné qu’on les menacerait, les armes étaient demeurées dans leur coffret au fond de sa malle… Surpris dans leur sommeil, les deux autres n’eurent guère plus de chance que Jean-Baptiste.
Un septième homme masqué qui s’était tenu en retrait s’avança alors. Avec un français fortement accentué – l’accent ressemblait à l’espagnol malgré un je-ne-sais-quoi qui l’en distanciait – il leur dit : « Ne savez-vous pas qu’en ruant dans tous les sens, vous risquiez de marcher sur le nid de guêpes? 
— Qui êtes-vous? Que voulez-vous?
— Je n’ai ni l’obligation ni l’intention de répondre à vos questions, monsieur Hill.
— Je ne… ah! » Narcisse reçut un coup de pied derrière la jambe; les mains solides qui le tenaient le forcèrent à la génuflexion. Narcisse se tut sans insister davantage.
« Qui cherchez-vous avec autant de ferveur?
— Khuzaymah », cracha Jean-Baptiste sans hésiter. Il n’avait jamais eu tant peur qu’en ce moment même. Ses compagnons lui jetèrent une expression de désapprobation, mais le nom sembla avoir un effet sur les intrus; ils approchèrent leur tête pour converser à voix basse.
« Qui vous a appris ce nom? » Narcisse et Grégoire fusillèrent Jean-Baptiste du regard, mais il ne put museler sa terreur. Il ouvrit la bouche pour tout révéler mais Narcisse le coupa avant qu’il n’ait dit un mot.
« Nous avons contribué jadis à rendre service à Khuzaymah », dit Narcisse.
« …quoique nous ne l’ayons jamais rencontré en personne », s’empressa d’ajouter Grégoire en appuyant ses mots. Jean-Baptiste paniquait derrière une façade qu’il espérait calme… Et si les cagoulards connaissaient Khuzaymah? Et s’ils étaient capables de flairer le mensonge?
Les assaillants échangèrent encore quelques mots à voix basse avant de demander : « Pouvez-vous le prouver?
— Oui, nous le pouvons! », s’exclama Grégoire sans cacher son soulagement. Il produisit la fiole pour la tendre au porte-parole. Jean-Baptiste sentit les mains qui le tenaient relâcher légèrement leur emprise. Le porte-parole la déboucha pour humer prudemment son contenu.
« Ils disent vrai », déclara-t-il avec son drôle d’accent, manifestement ravi. « Ils ont connu le Maître ».
« Mais qui êtes-vous? », redemanda Narcisse.
Le porte-parole enleva sa cagoule. « Je suis Dario Aguilar y Virgen, pour vous servir. » Il désigna ses complices avant d’ajouter, sur un ton solennel : « Nous sommes les disciples de Khuzaymah. Nous le… cherchions également, mais cette fiole suffira peut-être… » Il empocha le contenant presque vide; Grégoire se raidit. « Vous nous offrez un secret, peut-être involontairement; consolez-vous en sachant qu’il suffira à racheter vos trois vies. » L’homme signala à sa troupe de se retirer.
« Un instant! », objecta Narcisse.
« Quoi?
— Je… Nous sommes apparemment engagés dans la même quête… Peut-être pourrions-nous vous venir en aide?  »
Dario Aguilar y Virgen eut un moment de réflexion avant de dire, souriant : « Vous avez peut-être raison. Sachez toutefois que pour nous, retrouver le Maître est davantage un moyen qu’une fin. Tenez-vous cois, nous vous retrouverons lorsque le temps viendra… D’ici là, rappelez-vous avec quelle facilité nous avons pu tenir vos vies entre nos mains… Nous pourrions recommencer n’importe quand. »  

lundi 1 août 2011

Objectif pour le mois d'août?

Le plan originel était de finir la troisième partie de Mythologies pour la fin juin, la 4e partie pour la fin juillet, et consacrer le mois d'août à réviser et peaufiner le tout. J'étais bien content de pouvoir annoncer avoir réussi mes objectifs pour juin, mais malheureusement, la prochaine échéance vient de passer sans que la 4e partie de Mythologies ait été complétée. Les contraintes de la vie réelle y sont pour quelque chose, évidemment, mais il y a aussi Le Noeud Gordien qui, semaine aprèe semaine, monopolise plusieurs sessions d'écriture... Notez bien que je ne m'en plains pas, ça reste fort satisfaisant de voir ces deux projets si différents avancer côte à côte! Cela dit, je n'ai pas chômé jusqu'à présent: j'en suis aux dernières scènes de Mythologies avant la conclusion; je suis à peu près certain de pouvoir mettre le point final à mon histoire d'ici une semaine ou deux. Mais même si un premier jet solide est sur papier, ne croyez pas que ce soit fini pour autant... À ce propos, j'ai eu la chance récemment de tomber sur une série de sites qui offrent des conseils aux auteurs et aspirants écrivains (j'en partagerai sans doute certains avec vous au fil des prochaines semanines). Un des thèmes principaux qui ressort de presque toutes les sources renvoie à l'idée de peaufinage... Comme disait l'une d'elles, polish it until it gleams, ou autrement dit: polissez votre travail jusqu'à ce qu'il soit brillant!. Ce sera l'étape suivante. Des quatre parties, la première m'apparaît déjà achevée. La seconde partie est assez avancée quoique je ne puisse prétendre être arrivé à destination. Et tout reste à faire pour resserrer les troisième et quatrième parties... Mon trimestre d'automne risque d'être au moins aussi chargé que le précédent; les chances sont bonnes que je ne puisse pas avancer davantage dans le peaufinage... Donc: si jamais quelqu'un parmi les lecteurs et les lectrices de ce blog serait intéressé à jeter un oeil à Mythologies - soit la première moitié plus achevée ou la totalité en sachant que les choses risquent de s'améliorer -, il suffit de me faire signe à la fin de l'été!