lundi 29 mars 2010

Un film dont vous êtes le héros

Je viens de terminer Heavy Rain sur Playstation 3 et je dois dire que c'est un des jeux les plus inventifs que j'ai vu depuis longtemps.

Il s'agit d'une histoire d'enquête-meurtre-mystère où le joueur incarne les quatre personnages principaux tour-à-tour. Ce qui en fait un jeu carrément révolutionnaire est le fait qu'il n'y a à peu près rien qui ne soit directement relié à l'histoire... Je veux dire par là que ça n'est pas un jeu où on doit vaincre vague après vague de méchants qui veulent notre peau. Pas de points de vie, d'équipement, de niveau, d'expérience ou de caractéristique... Comment ça marche, alors?

L'histoire se déroule comme un film interactif. Lorsqu'on passe à proximité d'éléments du décor avec lequel on peut interagir, ou si l'action nous demande d'accomplir quelque chose, on voit apparaître la commande à l'écran (généralement un bouton, parfois une combinaison de boutons, un coup de manette à donner, etc.). Ces principes en apparence simple changent toute l'expérience du jeu... Par exemple, durant un combat, on peut voir apparaître X (référant au bouton marqué du même signe) avec un compteur qui disparaît vite... On doit appuyer sur X pour éviter le coup qui s'en vient dans notre direction. O apparaît: on appuie sur O pour donner un coup de poing. L'adversaire nous lance une bouteille par la tête alors qu'on nous signale qu'il faut se baisser. Vite! Un coup de manette vers le bas! Lorsqu'il y a des dialogues, on voit les options flotter autour de la tête des personnages avec le bouton correspondant. On peut donc décider de la "personnalité" de nos protagonistes.

Ça peut sembler banal comparativement aux combos des jeux axés sur le combat, mais c'est là que vient jouer l'élément supplémentaire... Chaque personnage vit mais peut mourir, et à moins de tricher en rechargeant le jeu, chaque scène n'arrive qu'une fois... Et on doit vivre avec les conséquences jusqu'à la fin de l'histoire.

Il paraît qu'il y a 22 scènes finales possibles selon la manière dont les 4 personnages s'en sortent... Évidemment, mourir met un point final à la contribution de ce personnage-là... Et ceux qui n'ont pas résolu l'enquête sont laissés derrière pour la scène finale.

Le tout donne un rapport complètement différent à l'expérience de jeu... Plutôt que passer à travers des millions de méchants aussi remplaçables qu'ils sont monstrueux, chaque confrontation compte vraiment. Sans compter certaines situations problématiques qui ne sont pas des combats mais qui ne sont pas moins stressants, de véritables situations de vie ou de mort pour un personnage... On en vient à ne plus vouloir cligner des yeux de peur de manquer une manoeuvre cruciale. La musique, l'image et l'intrigue sont excellents, ce qui donne vraiment envie de s'y plonger complètement.

Sur le plan négatif, on ne peut pas dire que les contrôles soient les meilleurs... Il est arrivé que la police mette le grappin sur mon personnage simplement parce que je ne réussissais pas à le diriger correctement dans sa fuite... Certains verront aussi des épisodes triviaux dans l'histoire. Qui peut dire avoir joué à un jeu où on devait se raser, attacher un noeud de cravate, changer la couche d'un bébé... Personnellement, je trouve que ce dernier point n'enlève rien à l'expérience... c'est même cocasse. Mais si les cut scenes vous sont pénibles, vous voudrez mourir avant peu!

Le jeu prend 10-12h à traverser, beaucoup moins que d'autres. Mais l'histoire nous accroche et le système du jeu nous donne l'impression de décider de la scénarisation en temps réel d'un film... Un tour de force qui ne manquera pas de faire des petits.

dimanche 28 mars 2010

Le Noeud Gordien, épisode 113 : Félicia en cinq temps, 2e partie

Six ans plus tôt…
Mélanie Tremblay attendait son taxi, un peu secouée par le party qu’elle laissait derrière.
Payer un taxi jusqu’à chez elle aurait été au-dessus de ses moyens, mais ce quartier richard n’était pas pensé pour la piétaille. L’arrêt d'autobus le plus près restait trop loin pour qu’elle y marche; le taxi devenait donc une nécessité.
C’était son nouveau chum Vincent qui l’avait invitée à cette fête en lui assurant qu’elle serait la plus extravagante de sa vie. Il avait tenu sa promesse. L’événement avait lieu dans une maison sur trois étages, grande à s’y perdre. Qui vivait là? Même Vincent l’ignorait. Probablement des parents millionnaires qui ignoraient que leur maison avait été prise d’assaut par des dizaines de jeunes en dérape, les amis et les amis des amis de leur « enfant ».
Il avait fallu cinq minutes à Mélanie pour qu’elle comprenne qu’elle n’était pas à sa place. Dès son entrée, Vincent lui avait mis un gin tonique entre les mains et ils avaient entrepris une tournée de la maison. Avant qu’elle ne l’ait terminée, elle avait pu voir un gars en string; deux types en train de lutter qui bousculèrent une table en faisant tomber les bouteilles qu’elle supportait comme autant de dominos; un petit groupe se passer une pipe de verre translucide qui produisait une fumée dense et blanche qui les laissait ricanant et les yeux étrangement vitreux; deux filles posant pour une troisième en mettant en relief leur décolleté en se collant poitrine contre poitrine… Partout des corps allaient et venaient, dansant, suant, riant, buvant. Partout sur son chemin, Vincent serrait des mains, saluait des connaissances de loin, faisait la bise ici et là… Il avait manifestement de bonnes raisons d’être ici. La seule de Mélanie, c’était lui. Elle se sentait définitivement intruse dans cet univers un peu trop… festif à son goût.
Son verre bu, elle avait réussi à convaincre Vincent qu’il serait préférable qu’elle s’en aille. Elle ressentait un malaise qu’elle s’expliquait mal en attendant son taxi. Les murs de la maison ne pouvaient contenir la musique qui jouait à tue-tête; l’allée entière vibrait à chaque coup de basse. Elle vit enfin le taxi s’engager dans l’allée fleurie qui séparait la maison de la rue. Machinalement, elle tendit la main vers son sac pour réaliser qu’elle l’avait oublié à l’intérieur, distraite par sa retraite précipitée. Flûte! Il n’avait pas grand-chose à voler dedans, mais elle avait besoin de ces quelques dollars pour le taxi et l’autobus. Elle sauta sur ses pieds et retourna dans la maison. En retraçant mentalement ses pas, elle conclut qu’elle l’avait probablement perdu au deuxième étage, moins animé que le premier; c’était là qu’elle avait bu son verre. Elle avait aussi visité la salle de bain avant de redescendre pour quitter.
Elle courut jusque-là mais se buta contre une porte verrouillée. Quelqu’un occupait la pièce – probablement plus d’une personne, à en croire les sons étouffés qu’elle pouvait discerner. Elle était trop embarrassée pour cogner; elle décida plutôt d’examiner le reste de l’étage en surveillant d’un œil le moment où cette porte s’ouvrirait.
Elle trouva des gens en train de boire, de fumer et de rire dans une première pièce, mais pas de sac.
Elle figea en entrant dans la seconde pièce, une sorte de salon ou de salle de jeu. Elle entrevit son sac par terre mais l’oublia immédiatement. Une table de billard en occupait le centre, mais c’était le tableau qui s’offrait à elle sur le grand divan de cuir qui la stupéfia.
Une fille était étalée sur le divan, sa robe d’été blanche remontée jusqu’à la taille, ses petites culottes étirée entre ses genoux écartés. Elle était plus jeune que Mélanie, vingt ans tout au plus. Un homme lui embrassait le cou, la main entre ses cuisses. Elle semblait parfaitement saoule; ses sourcils froncés et ses mouvements, quoique rendus mollassons par l’ivresse, laissaient croire qu’elle voulait se soustraire aux attentions de l’homme – sans grand succès.
Cet homme n’était nul autre que Vincent.
Il me trompe fut la première pensée qui vint à l’esprit de Mélanie, encore stupéfiée.
En violant une fille saoule fut la deuxième. La stupéfaction fit place à l’indignation.
Alors que je viens de tourner le dos! L’indignation devint colère à un point tel que toute pensée articulée fut soufflée de son esprit. Le sentiment d’être trahie et bafouée vint remuer des émotions refoulées depuis toujours par la petite fille modèle, studieuse et travaillante. Un monstre d’impulsivité et de violence occupa le vide laissé par sa raison en grève. Sans qu’elle ne lui demande consciemment, sa main empoigna une queue de billard. Elle décrivit un arc de cercle pour s’abattre dans le dos de Vincent, à moitié grimpé sur la fille.
Il bondit sur ses pieds et fit volte-face en gémissant. Ce fut à son tour d’être pétrifié de surprise. Mélanie tenta de lui asséner un autre coup, mais il interposa sa main qui encaissa le coup destiné à son visage. La queue glissa des mains de Mélanie. « OW! », fit-il. « T’ES MALADE! »
Il tenta de lui agripper le poignet avec sa main encore intacte, mais Mélanie fut plus rapide. Elle lui décrocha un direct sur l’arrête du nez. Vincent se couvrit le visage des deux mains en tentant vainement d’empêcher son sang de couler. Paniqué par sa blessure, il se mit à courir vers la salle de bain.
Essoufflée, Mélanie sentit le monstre regagner sa prison alors qu’elle retrouvait ses esprits. Son cœur battait si fort qu’elle n’entendait plus la musique au premier. Je n’arrive pas à croire que je viens de faire ça!
Étonnamment, la pensée n’était pas accompagnée de gêne ou de regrets, mais plutôt d’un sentiment d’exaltation et de bien-être profond qui lui donnait une impression d’irréalité. Était-ce cette adrénaline dont elle avait si souvent entendu parler?
La fille essayait de dire quelque chose. Mélanie sortit de sa rêverie pour s’approcher d’elle.
« Ma… de… Malade… »
Horrifiée, Mélanie comprit. Elle accourut à l’autre bout de la pièce pour saisir une poubelle métallique. Elle eut tout juste le temps de la placer devant la tête de la jeune fille pour y accueillir le jet de vomissure. Galvanisée par les spasmes qui l’habitaient tout entière, la fille réussit à se redresser à quatre pattes pour achever le moment désagréable. Mélanie, le nez plissé, tenait ses cheveux blonds pour éviter qu’ils se salissent.
Il fallut à la fille une minute pour se ressaisir : l’estomac vide, elle regagnait l’usage de son corps et de son esprit. Elle fit à Mélanie ce sourire fragile propre aux malades. « Merci… »
Mélanie ne dit rien. Elle continuait à penser à son moment de colère et de violence, mais surtout aux séquelles étrangement positives de son effusion : un sentiment de justice accomplie, mais aussi de délivrance, de détente… de vraie liberté.
« Je m’appelle Félicia », dit la fille en blanc en lui tendant la main timidement.
— Moi c’est Mélanie… 
— Je t’en dois une… Merci de l’avoir tassé…
— Ça m’a fait plaisir… vraiment plaisir…
— Maudits gars cons!
— C’était mon chum! »
Félicia écarquilla les yeux, surprise. Son mascara avait coulé. Elle avait l’air d’un raton-laveur étonné. Mélanie pouffa d’un rire nerveux mais sincère qui gagna Félicia. Les deux éclatèrent de ce rire qu’ont les gens rendus complices par une adversité partagée.
« Moi, je ne reste pas une minute de plus ici. On partage un taxi? » 

samedi 27 mars 2010

Retour des archives

Les archives du Noeud Gordien sont à nouveau accessibles via le lien à droite de votre écran. Merci pour votre patience!

jeudi 25 mars 2010

À propos du talent

"Everyone has talent. What’s rare is to follow talent to the difficult places it leads." - Wayne Belonoha, Wing Chun Compendim, vol. 2
[Traduction approximative: "Tout le monde a du talent. Ce qui est plus rare, c'est de suivre le talent jusqu'aux endroits difficiles où son développement nous conduit"]

lundi 22 mars 2010

Le doute et l'écriture

Le doute fait partie du processus d'écriture.
"Est-ce que c'est bon?"
"Pis là?"
"Est-ce que ça peut être mieux?"
"Mieux, je veux bien mais... Comment?"
Le fait que ce soit un travail essentiellement solitaire redouble les occasions de douter. Heureusement que j'ai mon Noeud en parallèle qui me donne en retour... ;)

Mais je me dis que le doute n'est pas une mauvaise chose. Si je ne doute pas assez tôt et assez fort, c'est permettre aux éditeurs de le faire doublement, non?

dimanche 21 mars 2010

Le Noeud Gordien, épisode 112 : Félicia en cinq temps, 1re partie

Sept ans plus tôt…
C’était aujourd’hui que Félicia devenait légalement une adulte : dix-huit ans… Outre le droit de vote, les acquis associés à la majorité ne présentaient pas grande nouveauté pour quelqu’un qui dansait ses nuits dans les raves à quatorze ans et qui, à seize, préférait s’endormir ivre qu’à jeun…  C’était cependant un jalon important sur le plan symbolique. Elle se savait mature pour son âge, maintenant, plus personne ne pouvait la considérer comme une vulgaire petite fille.
La manifestation la plus tangible de son nouveau statut : aujourd’hui, elle mettait la main sur l’héritage laissé par sa mère. Fini le temps où elle devait se rabattre sur les cartes de crédit fournies et payées par son père! Fini le temps où il pouvait s’en servir comme un levier pour la contraindre à se comporter conformément à ses attentes!
Elle prévoyait souligner l’occasion par une virée aux proportions épiques. À cet effet, elle cachait dans son sac à main assez de drogue pour lui permettre de fêter en ne s’arrêtant que lorsqu’elle le choisirait – pas une seconde avant. Mais cette lancée devrait attendre : il lui fallait avant tout rejoindre sa famille dans le salon privé d’un chic restaurant du Centre.
Elle arriva trente minutes après l’heure où elle s’était annoncée. À son entrée, elle eut tout juste le temps de remarquer une montagne de cadeaux entassés sur une table au fond avant de recevoir un tsunami d’applaudissements et de vivats. Elle se sentit rougir malgré elle, doublement embarrassée de son embarras… Pas le moment de réagir comme une petite fille!
Ses « copines » s’élancèrent les premières en poussant des cris hystériques… Des cousines de son âge ou des amies d’enfance avec qui elle avait traversé la petite école ou le secondaire; on présumait que leur complicité d’antan demeurait d’actualité. Félicia les connaissait trop bien pour les aimer. Elles étaient cordiales, chaleureuses et polies comme des filles bien élevées, mais Félicia savait qu’il suffisait que l’une donne le moindre prétexte aux autres pour qu’elles lancent le moulin à potins alimenté par les propos les plus vicieux… Félicia n’était pas naïve au point de se croire exempte de ce traitement.
Sasha fut la dernière du groupe à venir l’embrasser. Sasha, l’exception qui confirme la règle… Sa cousine préférée était la moins superficielle et la plus intelligente du lot … Un peu nerd, mais au moins elle était vraie. Les autres devenaient plus tolérables du simple fait que Sasha était du nombre.
Plus posés, ses tantes et son oncle Leonid – le père de Sasha – vinrent ensuite lui offrir leurs vœux et les autres platitudes de circonstance : « Ta mère aurait été si fière de te voir! 
— Dire que c’est la p’tite Félicia qui jouait à la poupée avec ma fille!
— Élégante comme d’habitude!
— Tu n’as pas un petit ami à nous présenter? »
Il ne restait ensuite que les invités les plus périphériques à saluer… Une vieille amie de sa mère, son tuteur, le professeur de piano qu’elle ne voyait plus depuis deux mois… Will Szasz s’avança en dernier même s’il aurait tout aussi bien pu se joindre aux membres de sa famille tant il faisait partie du décor. Petite fille, il la faisait sauter sur ses genoux; durant la phase punkette de son adolescence, il lui refilait des cigarettes et des billets de spectacles… Mais aujourd’hui, son regard semblait éclairé d’une lueur toute nouvelle. Il l’embrassa sur la joue et lui donna une étreinte affectueuse qu’il prolongea jusqu’à l’inconfortable. Il lui prit ensuite le visage des deux mains pour lui souhaiter la plus belle année de toute sa vie. Pour la première fois Félicia ressentit un malaise à l’idée d’être officiellement une adulte.
Le vieil oncle Leonid vint poser une main lourde sur l’épaule de Szasz. Il lui souffla quelques mots à l’oreille avec un sourire froid. Sans être certaine, Félicia eut l’impression que le murmure était une menace. En tout cas, Szasz retourna immédiatement à sa place, le visage écarlate.
En la conduisant à la place d’honneur, Leonid lui dit : « Ton père s’excuse de ne pas pouvoir être ici, mais… »
Félicia n’entendit pas le reste de la phrase. Elle n’avait pas remarqué l’absence de son père jusqu’ici, la réalisation la happa dans une aire vide et froide au plus profond d’elle-même, un lieu tristement familier. Ravalant sa tristesse, elle répondit à son oncle sur un ton agréable que ça n’était pas grave, qu’elle était une grande fille maintenant.
Elle se disait déjà, quelle importance que tous ces salamalecs? La vraie fête commence cette nuit! Et à ce genre de fêtes, son père ne serait jamais invité. 

dimanche 14 mars 2010

Le Noeud Gordien Épisode 111 : Les questions de Tobin, 2e partie

Gordon éclata d’un rire franc. « De toutes les questions, je ne m’attendais pas à celle-là!
— Non? À quoi d’abord?
— Je ne sais pas… D’où viennent nos traditions, depuis quand existent-elles, quelle est la nature précise de ce que nous pouvons accomplir et quoi encore…
— Bof, j’ai jamais été fort fort sur la théorie…
— Je vais quand même devoir vous entretenir sur le sujet avant d’en arriver à la pratique… 
— Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas? » Le verre de Tobin était encore vide. Ses paroles prenaient un ton plus sec, son débit laissait poindre l’impulsivité de celui pour qui l’alcool assouplit les inhibitions.
Gordon savait bien qu’il ne s’adressait pas à un érudit, mais il ne s’était pas attendu à une attitude à ce point anti-intellectuelle. Il allait devoir vulgariser la suite sans quoi Tobin ne comprendrait probablement pas l’essentiel de son propos. Tricane avait ses raisons, sans doute, et c’était à elle seule de désigner son apprenti. Karl Tobin devait avoir un certain potentiel qu’il ne voyait pas encore, mais le choix de Tricane le rendait de plus en perplexe.
 « Si vous êtes ici, c’est que Tricane s’est assurée que vous ne pouviez pas discuter de vos apprentissages avec des non-initiés. Est-ce exact? »
Tobin fit oui de la tête.
« Elle vous a recouvert de caractères étranges, à partir d’une encre de son cru. Avez-vous testé l’efficacité de l’opération?
— Oui, c’est elle qui m’a demandé de le faire. Et ça marche!
— À votre avis, quel est le lien entre de l’encre-maison, les caractères précis qu’elle a dessinés sur vous et votre blocage? » Gordon n’attendit pas que Karl réponde. « En apparence, il n’y en a aucun. Et pourtant, ça marche, comme vous dites. C’est parce que ces symboles, tracés de la bonne façon, avec le bon matériel et dans le bon état d’esprit, ces symboles donc peuvent devenir porteurs d’un pouvoir qui, lui, n’a rien de symbolique.
— Oui, c’est clair. Mais encore?
Mais encore? Je vous fais part de l’information la plus cruciale de l’histoire de l’humanité et tout ce que vous trouvez à dire c’est mais encore?
— Wooh, une minute! J’ai manqué quelque chose, là! C’est quoi, cette information? »
Gordon marqua une pause. Il était de plus en plus agacé par la désinvolture de son invité.
« Si l’esprit humain est capable de découvrir les connexions occultes qui existent entre des choses aussi disparates que des préparations d’herbe et des symboles… Et si nous qui les connaissons pouvons les utiliser pour agir sur le monde et les gens en faisant fi des lois auxquelles le reste du monde est soumis – causalité, contingence, et cætera – cela ne peut vouloir dire qu’une chose… L’univers a un sens, et l’humanité y occupe une place toute spéciale! »
Karl fixait Gordon avec un regard franchement bovin.
Gordon soupira. Il doutait que Karl réussisse un jour à laisser derrière lui le blanc de son initiation. « C’est assez de théorie pour aujourd’hui. Tricane s’occupera de vous enseigner les premiers exercices pratiques. »
Karl se leva en s’appuyant sur sa béquille. Il serra la main de Gordon et prit son congé. Une fois seul, Gordon dit à voix haute : « Tu veux de la pratique, hein? Tu vas être servi! Quel con! »
Il se laissa choir dans son fauteuil et finit son verre d’une traite. Qu’est-ce qui lui avait pris de le désigner comme pion pour la Joute? En faisant tinter sa bague d’or blanc sur son verre vide, Gordon en vint à se dire que certains pions étaient tout désignés pour être sacrifiés.

samedi 13 mars 2010

Étranges Oscars

Je ne peux pas croire que The Hurt Locker ait battu Avatar ET Inglourious Basterds. Suis-je le seul à avoir trouvé ce film dull et insignifiant?

dimanche 7 mars 2010

Le Noeud Gordien épisode 110 : Les questions de Tobin, 1re partie

Gordon redonna son verre à Karl après l’avoir rempli. « J’imagine que ça n’était pas la seule question que vous vouliez me poser…
— Non. Mon problème, c’est plutôt par où commencer…
— Allez-y. Je n’ai pas l’intention de ne répondre qu’à une seule question… »
Tobin haussa les sourcils. Il supposait que Gordon allait changer de sujet ou se défiler comme Tricane. Il se détendit un peu – d’autant plus que les vapeurs d’alcool commençaient à s’insinuer dans ses muscles pour y dénouer ses tensions.
Il lui posa la même question qu’à Tricane… « Pourquoi moi?
— Tricane ne vous l’a pas dit?
— Ben, elle m’a dit que c’était parce que je savais tenir ma parole.
— Et c’est tout?
— C’est ce qu’elle m'a dit.
— Il est vrai que c’est une condition sine qua non pour en venir à prendre part à nos traditions… Dans tous les cas, ça n’est pas à moi de me prononcer sur ses intentions. Il lui appartient de vous en parler lorsqu’elle jugera le moment venu.
— Oh. » Déception.
« Vous devez savoir que nous limitons sévèrement le nombre des initiés. Tricane a récemment complété une étape importante de sa formation; elle a demandé qu’on vous initie sans délai, durant la même cérémonie où elle allait recevoir le symbole de son grade.
— La cérémonie dans l’église?
— Celle-là même. Je peux vous dire qu’elle tenait absolument à vous. Mais vous savez, les raisons de Tricane ne sont pas toujours claires…
— Ah. » Tobin réfléchit silencieusement pendant de longues secondes. Gordon le fixait avec un regard pétillant, presque malicieux.
Tobin s’avança sur son siège. Sur le ton de la confidence, il demanda : « En fait, qu’est-ce qu’elle a, Tricane? »
Sur le même ton, Gordon répondit : « C’est une belle illustration de ce que je vous disais tout à l’heure à propos de l’usage du pouvoir et des conséquences à long terme… Tricane n’est pas née ainsi, elle l’est devenue suite aux manœuvres de l’un de mes pairs.
— Hein? Qu’est-ce que tu veux dire?
— Quoi?
— Tu as plusieurs pères? C’est quoi ça?!
— Non, non, P-A-I-R-S. Les autres comme moi.
— Oh. Et c’est ça qui l’a fuckée de même?
— Oui.
— Ça va peut-être sembler niaiseux mais…
— Mais?
— Est-ce qu’elle peut voir le futur? » Karl se souvenait trop bien… Le sang comme une rivière… Prémonition, coïncidence?
« C’est là tout le drame de Tricane, Karl… Oui, il lui arrive effectivement de connaître des choses qui ne se sont pas encore produites, mais sa clairvoyance a un prix : elle paye de sa capacité à focaliser sur le moment présent, sur elle-même…
— Ce qui veut dire…?
— J’ignore si vous pourrez comprendre mes explications, mais son état normal en est un de non-moi; son sens d’elle-même est en mille miettes… Je ne peux pas imaginer comment elle voit le monde, mais je suppose que c’est comme lorsque vous rêvez… Irréel, illogique, inconstant. Son esprit est fractionné entre ici et ailleurs, entre son passé et son futur et aujourd’hui…
— J’ai remarqué qu’elle allait mieux depuis quelques semaines…
— Effectivement. Depuis notre, hum, association, elle dépend de moi pour garder un contact avec ici et maintenant… avec elle-même.
— C’est son médicament qui fait ça?
— Oui. Maintenant, elle sait comment le produire elle-même. Je pense qu’elle prend un congé de toutes ces visions et tous ces délires avec lesquels elle vit depuis des années… Même si c’est au prix de son talent unique. Je connais assez Tricane pour savoir qu’elle reviendra éventuellement à ma posologie… »
Tobin était assez fasciné par les réponses de Gordon pour ne pas s’arrêter au dernier mot dont il ignorait le sens.
« Alors, Karl, ça répond à vos questions?
— Oui, enfin! J’en ai encore une autre…
— Je vous en prie!
— Quand est-ce qu’on commence ma formation? » 

mardi 2 mars 2010

Noeudgordien.com en transition

Quelques mots pour dire que je suis en train de faire des tests pour la page d'archives du Noeud Gordien. Il est fort possible qu'elle soit inaccessible pendant quelque temps.

Désolé pour le désagrément!