dimanche 28 octobre 2012

Comment résoudre tous vos problèmes technologiques. Ou presque.


En cas de problème de nature technologique, faire chacune de ces étapes. 

1. Assurez-vous que les fils sont tous connectés. Si le problème touche spécifiquement quelque chose (une souris, un écran, un clavier, une imprimante, un scanner), déconnectez le fil et le reconnectez-le. 

Vérifiez que 1. a été bien fait. Sérieusement.

2. Fermez l'appareil. Pour l'ordinateur, éteindre complètement (shut down). Attendre trente secondes avant de redémarrer. 
Pour les iMachins, d'abord essayez de fermer le programme (appuyez 2 fois sur le bouton rond; appuyez sur l'icône du programme (dans la ligne qui vient d'apparaître), puis cliquez sur le rond rouge. S'il y a un X dans le rond, ne cliquez pas et soyez plus attentif! Si ça ne marche pas, essayez de le fermer (appuyez 5 secondes sur le bouton SUR LE CÔTÉ, puis confirmez Éteindre à l'écran), attendez 30 secondes et appuyez sur le bouton rond 5 secondes pour redémarrer. 

Si jamais Internet était en panne soudaine, débranchez le modem et le router (le cas échéant). Attendez 30 secondes. Connectez les deux appareils. Internet va revenir quelques minutes plus tard si c'était le problème. 

Vérifiez que 2. a été bien fait. Non mais, pour vrai, là.

3. Formulez le problème en remplaçant les mots en majuscules: Lorsque je suis dans [PROGRAMME] sur [APPAREIL] et que j'essaie de faire [ACTION SOUHAITÉE], c'est [CE QUI SE PASSE] lorsque [CIRCONSTANCES SPÉCIFIQUES]. 

4. Faites une recherche Google là-dessus, au cas où ce serait un problème connu ou fréquent. Si on vous l'offre sans que vous l'ayez demandé, n'installez pas de programmes pour nettoyer votre registre ou vous protéger des programmes malveillants. 

Ne touchez rien que vous ne comprenez pas; notez toujours les changements de paramètres effectués pour revenir en arrière si ça ne change rien. 

5. Si rien ne marche... Contactez votre ami qui en connaît plus que vous. Et lisez ceci, au cas où. :) 

Le Noeud Gordien, épisode 244 : Accès, 1re partie

En s’envolant vers Casablanca, Félicia était convaincue qu’elle ne reviendrait pas de sitôt à Tanger. Maintenant que son avion décrivait un arc de cercle au-dessus de l’embouchure de la Méditerranée, elle se surprit à ressentir la nostalgie de son temps passé avec Kuhn. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander… Les choses auraient-elles été différentes si elle était demeurée auprès de lui? Serait-il encore vivant? Ou au contraire, serait-elle morte elle aussi?
Elle ressassait ces questions depuis le jour de son retour dans La Cité où les Maîtres lui avaient appris la mort de leur aîné. Elle avait longtemps remis à plus tard la possibilité de revenir à Tanger pour trouver des réponses. Son cul-de-sac théorique avait fini de la convaincre.
Elle prévoyait interroger l’impression laissée derrière par Kuhn comme elle l’avait fait pour son père, puis Karl Tobin. L’expérience était des plus pénibles, mais les résultats en valaient la chandelle. Avec un peu de chance, elle trouverait quelque indice pour retracer Tricane – elle n’aurait alors plus besoin du procédé sur lequel elle bûchait.
Elle fut surprise de trouver la porte d’entrée verrouillée. Elle se souvenait très bien d’avoir entendu Mandeville dire qu’elle n’était jamais fermée… Mais c’était avant qu’on assassine Kuhn. Il était concevable que quelqu’un – probablement Mandeville, toujours précautionneuse – ait pensé à restreindre l’accès par des moyens plus conventionnels, en prévision du jour où le procédé qui dissimulait la maison faillirait. L’intention était bonne, mais Félicia avait encore besoin d’entrer…
À tout hasard, elle souleva le paillasson et passa la main sur les rebords avoisinants sans trouver une clé capable de lui faciliter la vie. Alors qu’elle farfouillait, elle remarqua par les minces fentes des rideaux que la disposition intérieure avait changé depuis son départ. Tous les meubles avaient été rassemblés au centre de la pièce avant d’être recouverts d’une toile blanche. Des outils, des sacs et des bidons traînaient un peu partout; le papier peint du mur opposé à la fenêtre avait été à moitié gratté. Quelqu’un avait entrepris de refaire la décoration… Qui?
Il lui restait une solution à tenter avant de recourir à l’effraction. Félicia retourna devant l’entrée et sonna à la porte. Après un long silence, elle crut entendre un mouvement à l’intérieur. Elle sonna à nouveau.
Ça n’est qu’à ce moment qu’elle pensa que c’était peut-être Tricane qui avait élu domicile sur place, et par le fait même, s’était emparée de la salle des archives… Elle tendit l’oreille et retint son souffle, prête à décharger sa préparation paralysante au moindre signe menaçant.
Elle entendit le bruit caractéristique d’une serrure, puis d’une porte qui s’ouvrent…
…pour révéler un homme dans la jeune quarantaine, vêtu d’un simple jean et d’un T-shirt maculé de taches de peinture. Sa posture laissait croire qu’il était tout aussi prêt que Félicia à réagir à une confrontation, sans toutefois vouloir la provoquer.
« Yes? », demanda-t-il avec une prononciation toute française, c’est-à-dire en ignorant complètement les inflexions propres à l’anglais.
« Je suis… Heu, j’étais une amie de… De monsieur… j’étais venue ici avant que… Enfin… C’est parce que… L’ancien…
— Cessez de tourner autour du pot », trancha l’homme en décidant sagement de laisser l’anglais de côté. « Après tout, vous avez trouvé cette porte. »
C’est vrai : ni elle ni lui n’auraient pu trouver la maison sans y avoir été invités. « Je m’appelle Félicia », dit-elle. « J’ai étudié avec Kuhn plus tôt cette année.
— Berthold Latour », dit-il en lui tendant la main. « Enchanté de faire votre connaissance. » Félicia avait évidemment entendu parler de lui : c’était l’un des Seize. Malgré son ton avenant, il demeurait circonspect, sans aucune chaleur.
« L’honneur est pour moi », répondit-elle néanmoins, en toute sincérité.
« Kuhn est mort », dit-il d’un ton neutre.
— Je le sais. C’est très triste.
— Si vous le savez, qu’est-ce que vous venez faire ici?
— Je voulais consulter la salle des archives », dit-elle. C’était vrai, quoique pas toute la vérité.
« J’ai bien peur que cela ne soit pas possible.
— Mais pourquoi? 
— Parce que je revendique Tanger. Considérez-vous avertie : vous êtes sur mon territoire. »

dimanche 21 octobre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 243 : Visites

Une fois de plus, l’anneau de Gordon lui montrait le chemin.
En plus d’avoir rendu possible l’existence de son impressionnant Nœud, le bijou avait quelques autres utilités pratiques. L’une d’elles était toute simple : Gordon pouvait facilement deviner où l’une de ses connaissances se trouvait en suivant la direction du fil éthéré qui le reliait à lui. Ce n’était ni automatique, ni toujours précis, mais souvent, cet indicateur suffisait. C’est ainsi qu’il put savoir quand Avramopoulos retourna au chevet de Gauss sans avoir à le filer. C’était pour lui le moment d’agir – et peut-être franchir une nouvelle étape dans la réalisation de son plan.
Une fois à l’hôpital, il se dirigea d’un pas vif jusqu’à la chambre de Gauss, trépidant derrière sa façade assurée, les mains moites et les doigts gelés par la nervosité.
La chambre de Gauss se trouvait dans une section retirée de l’aile nord. Le troisième étage, loin de la cohue des admissions ou de l’urgence, baignait dans une atmosphère feutrée. Même les infirmiers et le personnel d’entretien semblaient soucieux d’étouffer jusqu’au bruit de leurs pas.
Gordon poussa la porte et trouva Avramopoulos assis au bord de sa chaise, le menton appuyé sur ses jointures comme le Penseur de Rodin. Il accueillit Gordon en disant : « Si tu es venu te moquer de moi, je te le dis tout de suite : je ne suis pas du tout d’humeur. » Gordon affecta l’indifférence tout en savourant l’inconfort de son maître.
Gauss semblait dormir d’un sommeil paisible, pour peu qu’on choisisse d’ignorer la tuyauterie qui l’envahissait, scellée à sa bouche par une croûte jaunâtre, sans doute un symptôme écœurant du mal qui l’avait pris.
« Sais-tu quoi faire pour le guérir? »
Avramopoulos haussa les épaules. « Tant qu’il est ici, je ne peux pas l’examiner. Tant que je ne l’aurai pas examiné, je n’en sais rien. 
— Pourquoi tu ne le fais pas sortir, alors?
— Tu le sais très bien. »
Oh oui, Gordon le savait.  Habitué de s’appuyer sur le pouvoir de sa statuette, Avramopoulos ne disposait pas d’autre moyen de parvenir à ses fins tout en maintenant la discrétion exigée par les principes de la grande trêve. Il pourrait sans doute développer un procédé approprié, mais dans combien de temps? « Pas de statue, pas de salut, hein?
— Je te l’ai dit, je ne suis pas d’humeur », répéta-t-il. Comme si tu te souciais de l’humeur des gens dont tu te moques, pensa Gordon pendant qu’Avramopoulos continuait : « Je l’ai retrouvée une fois, je la retrouverai encore. C’est une question de temps. »
Gordon ignorait à quoi exactement il faisait allusion. Il dit : « Si tu veux que je t’aide, tu n’as qu’à me le demander. »
Avramopoulos fronça les sourcils. « M’aider comment?
— Tiens : imagine que je trouve ta statuette avant toi… »
Avramopoulos bondit hors de sa chaise. « Je savais que c’était toi! »
Gordon posa son doigt sur ses lèvres puis pointa Gauss comme pour dire Calme-toi! Le jeune-vieux hésita un instant puis se renfrogna, les bras croisés et des dagues dans les yeux. Il attendait toujours une réponse.
« Je te jure que je n’ai pas posé la main sur elle. En ce moment, je ne pourrais dire où elle se trouve. »
Avramopoulos dévisagea Gordon un instant avant de se détendre. Il avait toujours été très apte à détecter les mensonges de Gordon, à un point tel que celui-ci soupçonnait l’usage d’un truc. Gordon avait toutefois vite appris que le Maître n’était pas aussi doué pour reconnaître comme telles les omissions qui se cachaient derrière des paroles par ailleurs véridiques.
Gordon allait poursuivre lorsque la porte de la chambre s’ouvrit.
« Vous êtes qui, vous autres? Qu’est-ce que vous faites ici? »
Avramopoulos, interloqué, semblait se poser la même question à propos de la nouvelle venue. Gordon, lui, la reconnaissait. C’était l’ex-femme de Gauss.
« Vas-y », dit-il en allemand à Avramopoulos d’un ton qu’il voulait condescendant. « Je m’occupe d’elle. »
Avramopoulos sortit, bouillant de frustration. Gordon n’avait pas réussi à jouer ses cartes comme il l’espérait, mais ça n’était que partie remise. À défaut d’avoir obtenu son secret, il ressortait au moins avec la satisfaction de son déplaisir.
« Alors? », demanda Geneviève.
« Entrez, entrez, je vous en prie », lui dit Gordon avec un sourire chaleureux.
Il pouvait voir qu’elle usait fréquemment du composite O; la suite des choses ne serait qu’une formalité. 

dimanche 14 octobre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 242 : Cul-de-sac

Félicia Lytvyn avait été soulagée de revenir dans sa maison d’enfance à son retour de Tanger, sans plus ressentir le besoin de la décorer qu’auparavant. Elle avait bien ajouté quelques meubles à sa grande maison, mais ceux-ci ne réussissaient qu’à accentuer à quel point le reste demeurait vide.
Elle avait acheté un poêle et un réfrigérateur – le second s’était avéré beaucoup plus utile que le premier qui, jusqu’à présent, servait surtout à chauffer de l’eau. Elle avait ensuite choisi une table de parterre en résine de synthèse avec chaises assorties. Elle les sortait ou rentrait, selon ses besoins, mais avec le mois d’août qui tirait à sa fin, l’ensemble était en passe de devenir son mobilier de cuisine permanent. Elle avait récemment décidé qu’elle n’en pouvait plus de dormir sur un matelas gonflable. Elle s’était acheté un grand, grand lit, un édredon et des oreillers de plume. Il ne manquait plus qu’on les lui livre.
Elle s’était finalement procuré un accessoire fort utile : un grand tableau blanc effaçable monté sur pied sur lequel elle pouvait travailler à résoudre cette impasse qui la torturait.
« Non », dit-elle en observant la surface presque couverte de gribouillis. « Non, non, non. » Elle raya ce qu’elle venait d’écrire puis poussa en soupir avant de mouiller une guenille et tout effacer. C’était la troisième fois qu’elle recommençait aujourd’hui seulement.
Elle était presque certaine que Polkinghorne ou Mandeville aurait pu lui expliquer ce qu’elle ne comprenait pas encore, lui faire voir ce qui lui échappait. Mais elle ne pourrait leur demander de solution sans leur parler de son problème. C’était son problème. Elle était déterminée à le résoudre par ses propres moyens.
Ce qu’elle tentait n’était pas aussi simple qu’on aurait pu le croire. Elle voulait découvrir qui avait osé détruire l’une de ses possessions les plus précieuses au monde, le réceptacle qui lui avait permis de saisir l’essence de Frank Batakovic avant qu’elle ne s’éteigne. Elle avait accompli l’impossible à en croire ses maîtres; ceux-ci n’avaient toujours pas réussi à reproduire son exploit. Que lui restait-il maintenant? Une cloche en mille morceaux, des cendres humaines mêlées aux moutons de poussière accumulés durant son absence… Mais surtout, l’impossibilité d’étudier ce dispositif qu’elle-même ne comprenait pas complètement. L’impossibilité d’établir un contact avec Frank. L’impossibilité de franchir la frontière entre la vie et la mort…
Félicia ne pouvait s’empêcher de penser que Tricane se trouvait derrière tout ça. Si elle voyait juste, son procédé pourrait la conduire jusqu’à elle. Qu’il s’agisse de Tricane ou pas, le vandale avaient commis une erreur : Félicia avait trouvé quelques gouttes de sang séché sur le sol de la cave, de même que sur des morceaux de la cloche fracassée. Le sang pouvait être un ingrédient puissant pour renforcer une formule, mais il perdait beaucoup de son pouvoir avec le temps, comme si la connexion s’amenuisait une fois qu’il était séparé de celui l’ayant versé. C’était là l’essence du problème auquel elle était confrontée. L’enjeu était de trouver un moyen de s’en servir comme fil d’Ariane malgré le temps et la distance. Pour l’instant, ses meilleures solutions impliquaient une préparation de plusieurs années. Il fallait faire mieux…

Elle noircit le tableau blanc deux fois de plus, sans toutefois réussir à avancer davantage. Elle commençait à croire qu’elle ne pourrait pas débloquer toute seule. Mais il lui restait encore une solution avant de demander à l’aide… 
Elle appela Polkinghorne. Il répondit assez vite pour qu’elle suppose qu’il tenait déjà son téléphone. « C’est moi », dit-elle. « Tu es occupé? 
— J’aimerais n’être qu’occupé », dit-il après un petit rire forcé. « Mais je crains qu’acquiescer à cette affirmation serait verser dans l’euphémisme.
— Qu’est-ce qui se passe? », demanda-t-elle, craignant le pire.
« Avramopoulos. Il a perdu sa statuette. 
— Perdu ou fait voler?
— Le vol serait plus plausible que la perte.
— Tricane? »
Il échappa un nouveau rire sans joie. « Qui d’autre? Et je trouve cette possibilité bien inquiétante. 
— Écoute, je vais quitter la ville quelques jours, d’accord?
— Je ne crois pas avoir beaucoup de temps pour des leçons dans un futur rapproché », répondit-il. « Où comptes-tu aller?  
— Je retourne à Tanger. Je te rappelle à mon retour.
— D’accord. Félicia?
— Oui?
— Sois prudente. 
— Promis. Toi aussi… » 

dimanche 7 octobre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 241 : Urgences, 4e partie

La malchance continua pour Hoshmand : de retour au Centre, les taxis qu’il croisa étaient presque tous occupés. L’exception ne paraissait pas avoir de passager, mais elle ne ralentit pas plus malgré ses gesticulations frénétiques. Il crut que sa démarche claudicante avait peut-être fait croire au chauffeur qu’il était fin saoul, ou bien un cas lourd de santé mentale. Maintenant que Gauss avait été pris en charge, il aurait été inutile de voler une voiture. Si seulement son téléphone pouvait trouver une connexion…
Lorsqu’un taxi finit par s’arrêter, chose surprenante – particulièrement à cette heure, dans ce quartier de la ville – son conducteur était un petit bout de femme à la peau basanée.
« Où va où? », demanda-t-elle sans que Hoshmand ne puisse situer son accent.
Il articula minutieusement.
« Troisième avenue, troisième rue. 
— Je vais. »
Il s’attendait à moitié à ce que son manque de veine se poursuive, mais elle s’avéra une conductrice impeccable. Il avait donné tout son argent en échange d’un panier d’épicerie réquisitionné à bout portant. Il paya avec sa carte et donna un généreux pourboire à la conductrice. Elle s’en fut avec lui souhaitant un Bonne jouar enthousiaste.
En effet, c’était maintenant le jour. Le soleil dissipait la noirceur même s’il demeurait encore sous l’horizon. Il continua de boiter jusqu’à la porte marquée URGENCES.
On lui confirma qu’on s’occupait du cas de M. Gauss, mais on refusa de lui en dire plus.
« M. Gauss est mon locataire; je l’ai trouvé. Je peux contacter sa famille. »
L’homme de la réception s’éloigna de quelques pas et passa deux coups de fil. Il consentit ensuite à ajouter : « Il est encore sous observation. Son état est sérieux, mais sa vie n’est pas en danger immédiat. Vous pourrez dire à sa famille que les visites ne sont pas permises pour l’instant. » Hoshmand poussa un soupir de soulagement. Il allait pouvoir aller se coucher l’esprit tranquille. Quelqu’un d’autre – Gordon ou Avramopoulos – pourrait s’occuper de le faire sortir et de traiter le contrecoup, si c’était bien la cause de son état.
Il considéra un instant s’inscrire lui-même à l’urgence pour qu’on traite son dos, mais il décida que ça n’était rien, pour peu qu’il n’ait pas à traîner un corps humain avant quelques jours… Il réalisa toutefois qu’il avait faim. Il trouva sans problème des machines distributrices, mais il n’avait toujours pas un sou en argent comptant. Il se perdit dans l’hôpital à la recherche de la cafétéria; il erra un moment sans jamais considérer demander son chemin. Il finit par se retrouver à l’urgence sans avoir trouvé. La fatigue gagna sur la faim; il lança l’éponge et se dirigea vers la porte par où il était arrivé.
C’est alors qu’il entendit une voix familière. Eleftherios Avramopoulos argumentait avec le préposé aux admissions en exigeant qu’on lui permette de voir Gauss. Hoshmand fut amusé par l’expression condescendante de l’employé. N’ayant aucune idée à qui il avait affaire, il ne pouvait voir qu’un p’tit gars capricieux et entêté.
Un instant, se dit Hoshmand. Comment sait-il pour Gauss? S’il avait des alliés dans le CHULC qui l’avaient informé de l’admission de Gauss, il les aurait rejoints sans se présenter à l’entrée comme un quidam.
Gordon.
Il avait dû prétexter qu’un de ses contacts à lui lui avait appris la nouvelle. Avramopoulos était peut-être un vieux con, mais on ne pouvait pas lui reprocher de veiller sur ceux qu’il jugeait dignes de son attention. Hoshmand se demandait ce que Gordon avait pu lui dire pour qu’il se déplace en personne plutôt qu’envoyer Polkinghorne. Peu importe le pourquoi et le comment : Hoshmand comprenait très bien que Gordon lui offrait l’occasion dont ils avaient discuté. Pour peu que son dos ne le trahisse pas…
Hoshmand se positionna en veillant à ne pas être remarqué. Le ton avait encore monté d’un cran. Avramopoulos engueulait le préposé qui menaçait d’appeler la sécurité. Celui-ci n’eut qu’à crier « SAM! » pour qu’une sorte d’armoire à glace en uniforme tourne le coin. Loin d’avoir le caquet rabattu, Avramopoulos redoubla de vigueur dans ses cris et ses insultes.
Qu’il réussisse ou pas ce qu’il prévoyait tenter, Hoshmand se considérait déjà gagnant d’avoir pu assister à cette scène. C’était très, très satisfaisant de voir Avramopoulos piaffer et cracher de frustration.
Hoshmand observa attentivement les positions des uns et des autres. Il devait trouver le moment idéal pour agir, mais s’il attendait trop, il risquait de manquer sa  chance.
Le gardien prit Avramopoulos par l’épaule et entreprit de le reconduire vers la sortie. Coup de chance, il choisit son épaule gauche; Hoshmand sut alors que c’était là ou jamais.
Il prit une profonde inspiration et se mit à marcher aussi vite et droit qu’il put l’endurer, sachant bien que son dos lui ferait payer en double chaque seconde où il ignorait sa douleur. Il doubla Avramopoulos sur la droite juste avant que le gardien ne lui fasse traverser la grande porte automatisée. Avec la vitesse et la précision du cobra, il mit la main dans la poche de la veste d’Avramopoulos. Ses doigts se refermèrent sur la surface lisse de la précieuse statuette.
Avramopoulos était trop distrait pour ressentir quoi que ce soit. Hoshmand bifurqua à angle droit dès qu’ils furent sortis. Il ne ralentit pas avant d’avoir la certitude d’être sorti du champ de vision de son ancien maître.
Il s’adossa contre un mur de briques et laissa échapper un grognement plaintif. Il avait faim, il était épuisé, son dos était en compote, mais tout cela avait valu la peine au final. Il tenait dans sa main le moyen d’obtenir toutes les faveurs dont il avait besoin.