Le drôle de convoi se
mit en route.
Le 4x4 de Mike Tobin
montrait le chemin. Daniel Olson occupait le siège passager; il tenait un
pendule effilé au-dessus de la vieille photo de famille de Martin, à l’affût du
moindre mouvement de l’objet, concentré à n’en créer aucun par inadvertance.
Karl, pour sa part, se
tortillait, un peu à l’étroit sur le siège arrière. Soit ses genoux poussaient
sur le siège d’Olson – et risquaient, du coup, de déranger le pendule –, soit
sa jambe envahissait l’espace de Timothée, qui se débattait avec la même
étroitesse.
Le jeune homme était
fébrile comme un moineau. Il ne restait rien de la belle assurance qu’il
manifestait sur son territoire. « Ça ne te fait pas de t’éloigner d’elle,
hein?
— Ce ne sera plus long
avant que je perde le contact avec Nini…
— Pas surprenant, étant
donné que vous aviez déjà perdu Martin tous les deux… », remarqua Mike.
« Je me demande
si je vais ressentir sa présence en m’approchant…
— Est-ce que ça vous
dérangerait de garder le silence, un peu? », interrompit Olson. « Ce
n’est pas facile du tout, ce que je suis en train de faire… »
Une fois de plus, le
pendule s’anima, d’abord vers l’ouest, puis le sud. Petit à petit,
l’oscillation du pendule s’accentua.
« Martin devrait
être là », dit finalement Olson, après près d’une heure de tâtonnement.
Partout où ils allaient, le pendule tendait vers ce vaste terrain grillagé où
s’empilaient des montagnes d’épaves de voiture.
Mike les conduisit à
quelques coins de rue et se rangea dans le stationnement vide d’un hangar,
suivi de près par la seconde voiture fit pareil. Tout le monde descendit.
« C’est
là », résuma Timothée. « La cour à scrap.
— Qu’est-ce qu’on
fait, maintenant? », demanda Gary.
Les regards se
tournèrent vers Timothée. « Je… Je ne sais pas.
— Facile », dit
Vinh. « On saute la clôture durant la nuit avec des guns, pis…
— Non, pas facile »,
dit Mike. « Un grillage de dix pieds, avec des barbelés… Il y a aussi des
caméras.
— Et ça, c’est si
Martin est vraiment là », dit Sophie.
Olson fronça les
sourcils. « En doutez-vous?
— Non, non »,
assura Timothée. « Qu’est-ce que tu peux faire pour nous aider?
— Moi? Rien. Je devais
vous aider à trouver Martin; c’est fait. Les termes de notre entente
n’incluaient rien d’autre.
— Tu vas nous laisser,
comme ça?
— Nous avons une
trêve, pas une alliance… Par ailleurs, vous aviez promis de diminuer l’intensité
des Cercles. Est-ce que c’est fait?
— Non… Nous avons
besoin de Martin pour y parvenir…
— Accomplissez d’abord
votre part du marché, et nous pourrons collaborer à nouveau dans le futur.
Bonne chance! » Il remit la photo à Timothée et s’éloigna en appelant un
taxi.
« Qu’est-ce qu’on
fait, là? », redemanda Gary.
« Moi, j’ai passé
l’âge du sautage de clôture… », dit Gigi. Elle partit au petit trot en
direction d’Olson. « Monsieur! Pardon monsieur! Attendez-moi! »
Karl se dit qu’il
allait péter un plomb s’il entendait une fois de plus quelqu’un demander quoi
faire. « La première chose qu’on doit savoir », dit-il, « c’est
comment c’est organisé en-dedans. Et confirmer que Martin est là. Il faut
partir en reconnaissance. Et je connais un moyen plus facile que sauter
par-dessus des barbelés, la nuit…
— Quoi?
— C’est une fucking cour à scrap. J’ai juste à me
présenter là… Pour acheter de la fucking
scrap! Djo, donne-moi les clés de ton char. » Le jeune homme lui lança le
trousseau après un instant d’hésitation. « Attendez-moi ici. ‘Faites rien
de stupide. »
Karl guida la voiture
d’emprunt jusqu’à l’entrée. Un mécanisme activé à distance lui ouvrit les
portes dès qu’il s’avança dans la cour. « Sauter la clôture… Tu parles d’une
gang d’amateurs… »
Il était peu probable
que Martin soit caché quelque part dans les méandres métalliques aux parois de
voitures empilées; il devait plutôt se trouver dans le seul bâtiment sur place,
un grand garage dont les deux portes étaient présentement ouvertes. Deux hommes
patibulaires allèrent aux devant de Tobin.
Lorsqu’il sortit de la voiture, le visage des
deux hommes changea du tout au tout. « Marco! Marco Kotzias! J’aurai tout
vu! Hey, Abel, viens voir ça! C’est Marco! »
Ils reconnaissent ma face, pensa Tobin. Il savait qu’il habitait
désormais le corps d’un mafieux : qu’il soit reconnu était signe qu’ils
tenaient une bonne piste. « Content de vous voir, les gars!
Un troisième homme –
Abel – sortit du garage en s’essuyant les mains sur une guenille noircie
d’huile. « T’étais pas mort, toi? J’avais entendu dire que t’étais mort.
« Quasiment. Mais
j’ai la couenne dure!
— C’est comme on dit,
hein… », dit Abel avant d’enchaîner une série de mots en grec.
Tobin comprit que
dalle. « Ah ah! C’est bien vrai! », bluffa-t-il.
« Travailles-tu
encore avec monsieur B? Est-ce que c’est ça qui t’amène chez nous?
— Ouais. Comment va
votre… affaire courante? » Les trois hommes échangèrent un regard. Tobin
s’engageait sur un terrain glissant…
« Nous, on fait
juste suivre les ordres », dit Abel, sur ses gardes.
« Personne n’a
dit le contraire », répondit Tobin. « Alors?
— Il n’a toujours pas
répondu aux questions. Je n’ai jamais vu quelqu’un aussi entêté. Je sais pas, je ne peux pas expliquer, c’est
juste comme ça…
— On commence à croire
qu’il ne sait rien », dit un autre, le premier qui l’avait reconnu.
« Ça doit être chiant pour lui.
— Mais nous, on suit
les ordres », répéta Abel. « Tu le diras à monsieur Fusco, hein? On
ne veut pas de trouble, nous autres. Mais, toi! Viens prendre un verre! »
Il lui passa le bras autour du cou.
Une fois à
l’intérieur, ils prirent place autour d’une table ronde. Abel versa de l’ouzo à
la ronde. Tobin ne pouvait pas supporter tout ce qui se rapprochait de la
réglisse noire… Il avala le premier verre en veillant à ne pas trop grimacer.
Surprise : les
papilles de son nouveau corps, elles, n’avaient rien contre la saveur d’anis.
« Un autre? »,
demanda Abel. « Ce n’est pas tous les jours qu’on boit avec un
mort… »
« Pourquoi pas?
— Alors, Marco,
raconte-nous ça. Qu’est-ce qui t’es arrivé pour qu’on te perde de vue?
— Ah, vous savez… Un
accident est si vite arrivé… »