dimanche 25 septembre 2016

Le Nœud Gordien, épisode 439 : L’imposteur, 2e partie

C’était jour de fête pour la pègre de la Petite-Méditerranée : les noix de coco étaient arrivées à bon port et la distribution du matériel allait à bon train. Au café Buzzetta, cela signifiait une journée encore plus active qu’à l’accoutumée. En fin d’après-midi, le bourdonnement incessant diminua quelque peu. C’est à ce moment que le café reçut une visite inattendue.
« Je te rappelle, quelqu’un vient d’arriver », dit Pappas en raccrochant sans laisser le temps à son interlocuteur de répondre. « Marco Kotzias. J’en crois pas mes yeux! » Il alla l’étreindre.
« Salut, Pops. Je t’ai manqué?
— Tu parles! Allez, allez, assieds-toi. Roberto! Un café pour notre ami. Filtre, deux laits deux crèmes?
— Tu me connais! »
Pendant que Marco attendait son café, plusieurs hommes passèrent pour lui serrer la main, lui donner une tape dans le dos, échanger quelques paroles…
Une fois qu’ils furent seuls à table, Pappas dit : « Y’en a qui disaient que tu étais mort.
— Y’en a qui disent n’importe quoi…
— Ça fait longtemps que tu es…
— Nah, c’est tout récent. Ma famille ne le sait même pas.
— J’ai entendu dire que ta sœur l’avait mal pris…
Marco haussa les épaules. « C’est rien. Imagine si j’étais mort…
— Comment vont Bruno et Luigi?
— Paraît qu’ils dorment encore. J’ai dû être plus chanceux qu’eux. Mais entre toi et moi, hein, tu sais, ces Italiens… Ils ont de l’eau dans les veines. Ils ne sont pas solides comme nous autres!
— Ça, c’est bien vrai! » Roberto déposa son café devant Marco et retourna derrière son bar. « Alors, qu’est-ce qui s’est passé avec vous autres? Grecs ou Italiens, on ne tombe pas dans le coma comme ça, en se promenant… »
Marco devint sérieux. Il lança un regard à la ronde, comme s’il se méfiait des oreilles indiscrètes. « Je préfère ne pas en parler…
— Allez, Marco! Ne me fais pas de manières. On est en famille, ici…
— Je t’ai toujours fait confiance, Pops, tu le sais. Mais ça… » Le regard de Marco devint vague, comme si le souvenir de quelque horreur avait dévié le cours de sa pensée.
Des rumeurs couraient depuis quelque temps dans le clan Fusco. On disait les gars de Beppe Cipriani s’en sont pris à une sorcière. Ils ont couru après… Pappas croyait qu’en une sorte de magie : celle qui découlait des liasses de billets, des guns, à la rigueur des noix de coco. Il n’était pas le genre d’homme à se laisser influencer par des histoires de bonnes femmes. Pourtant, celle-là lui foutait la trouille. Elle remuait une fibre superstitieuse enfouie profondément.
« As-tu entendu parler de la frappe contre la cour à scrap d’Abel Laganà? »
Pappas se redressa sur sa chaise. Bien sûr qu’il en avait entendu parler : cette histoire, tout le monde dans la Petite-Méditerranée la connaissait, sans que personne n’ait pu l’expliquer. Abel et ses hommes étaient de bons soldats, le genre qui ne recule devant rien, pas même les jobs les plus salissantes. Pappas s’inquiétait de l’absence de réaction des hauts dirigeants. En fait, il craignait que ce silence dissimule une discorde en haut lieu – la première depuis que M. Fusco s’était débarrassé de Lorenzo Rana.
Marco s’avança pour murmurer à son oreille. « Franchement… Laisser on-sait-pas-qui tuer toute une cellule de nos hommes sans réagir… En plus de ce qui nous est arrivé… Tu ne trouves pas ça louche que personne n’ait payé? Fuck, Pops, on ne saurait même pas à qui on devrait s’en prendre! » Marco prit une longue gorgée de café. Un homme voulut s’approcher de la table; il suffit que Pappas lui fasse les gros yeux pour qu’il retourne au bar et attende son tour. « Ce que je vais te dire là, ça reste entre nous autres, hein Pops?
— Promis, mon gars.
— Je pense que ce qui m’est arrivé, et ce qui est arrivé à Abel et ses gars… C’est relié.
— Qu’est-ce que tu veux dire?
— Y’a une pomme pourrie dans le panier. Quelqu’un proche de M. Fusco, qui essaie de grimper jusqu’au top. Quelqu’un d’assez prudent pour ne pas laisser de traces. »
Que Marco dise à voix haute ce qu’il craignait en son for intérieur lui donna froid dans le dos. « Mais pourquoi Abel? Pourquoi tes chums et toi?
— Parce qu’on est loyaux. » Il baissa encore le ton d’un cran. « Je pense que quelqu’un prépare un move. Un gros, gros move. Et que chaque soldat loyal que M. Fusco perd, ça va en être un de moins dans le chemin le moment venu.
— Ça ne nous dit pas qui est en cause… » Fusco était entouré de gens compétents, de fins stratèges. Cigonlani? Gaccione? Xanthopoulos? Aucun d’eux ne semblait constituer une piste crédible. Cependant, si l’un d’eux nourrissait des ambitions secrètes, il allait bien entendu cacher son jeu jusqu’au dernier moment… Le moment de frapper dur.
« C’est pour ça que je suis venu te voir en premier. Si quelqu’un peut y voir clair, c’est bien toi… »
Pappas hocha lentement la tête. Marco avait raison, même si cela le mettait dans une position délicate… « Reviens me voir dans trois jours, dit-il. Et surtout, n’en parle à personne d’autre. »
Marco lui serra la main. « Merci, Pops. Je savais que tu étais la meilleure personne à qui parler. »
Pappas ne pouvait pas offrir de simples soupçons à M. Fusco. Il allait devoir jouer de prudence, sans quoi l’ennemi mystère lui réserverait sans doute le même sort qu’au pauvre Abel… Mais ne rien faire n’était tout simplement pas une option.

Pendant tout le reste de la journée, Pappas reçut chaque visiteur en se questionnant sur ses loyautés réelles. Les inquiétudes du garçon avaient décidément nourri les siennes… 

dimanche 18 septembre 2016

Le Noeud Gordien, épisode 438 : L’imposteur, 1re partie

Lorsque Tricane l’avait initié, Tobin avait vite réalisé que la méditation n’était pas pour lui.
Pourtant, l’activité était basée sur un principe si élémentaire, si évident, qu’il apparaissait presque dérisoire. Trouver l’immobilité. Respirer. Faire le vide.
On aurait pu croire qu’il suffisait d’essayer pour réussir, mais pour Karl, c’était plus difficile que tout. Une part de lui refusait simplement de lâcher prise. Sa voix intérieure ne voulait jamais se taire, commentant l’activité, son ridicule, sa difficulté à chaque seconde.
J’suis supposé faire quoi, là?
Je dois avoir l’air d’un con, assis en faisant semblant de méditer.
C’est aujourd’hui que le paiement d’Untel est dû. Va falloir passer à la quincaillerie. Celui-là, faut le garder à l’œil…
Respirer, respirer, je veux bien… Mais je respirais déjà, t’sais.
Wow! J’ai réussi à ne pas penser. Fuck, est-ce que ça, c’est une pensée?
Est-ce que j’ai le droit de me gratter, si ça pique? Bon, je vais le faire, sans ça, je ne réussirai pas à me concentrer certain.
Est-ce que ça va durer encore longtemps? Ça doit faire au moins trois heures. Si j’ouvre l’œil, je vais pouvoir voir l’horloge. Ça fait juste dix minutes? Quoi! Dix minutes! Fuuuuck!
Me semble que ce serait bon, un burger…
…Et ainsi de suite, sans cesse, sans même en arriver à ralentir le flot de ces pensées malvenues.
Il avait persévéré néanmoins : il avait promis à Tricane qu’il ne douterait plus, après qu’elle ait réparé sa jambe. Même s’il avait l’impression que tout cela ne rimait à rien…
Daniel Olson avait repris le flambeau là où Tricane l’avait laissé. Ils s’étaient rencontrés deux fois à ce jour. Lors de la première rencontre, il lui avait donné une série d’exercices méditatifs à effectuer à tous les jours, aussi longtemps que tu peux tenir. Il l’avait accompagné pendant une demi-heure, après quoi il l’avait laissé continuer par lui-même. C’est à ce moment qu’il avait découvert une aisance qu’il n’avait guère soupçonnée. La Trinité l’avait transformé; il était désormais capable de méditer.
Satisfait par sa progression, Olson lui donna d’autres exercices durant la séance suivante, de visualisation cette fois. Ils avaient pour but de lui permettre d’ouvrir ce que le Maître appelait son espace intérieur. Une fois le vide créé, il devait profiter de la distance prise face à lui-même pour observer sa psyché comme une série de lieux meublés par ses expériences, ses sentiments, ses désirs… Et ainsi être mieux en mesure de les comprendre et les maîtriser.
Ses premiers essais, à l’Agora, ne furent pas très féconds... Mais de retour au Terminus – et dans la Trinité –, baignant dans l’énergie radiesthésique, il découvrit que l’idée d’espace intérieur n’était pas qu’une métaphore.
Au prix d’un certain effort, il put entrevoir l’architecture de sa psyché. Le regard de Timothée lui permit de voir plus clair en fournissant les concepts nécessaires… Il comprit alors pourquoi les autres l’avaient jugé incomplet à son retour. Il fut capable de discerner son identité, sa personnalité, ses souvenirs récents… Mais rien d’autre. Il n’était qu’une façade autour d’un grand vide. La découverte le troubla… Comment pouvait-il affirmer être Karl Tobin, malgré cette absence?
Il fit une autre découverte surprenante. Dans un recoin de son espace mental, il découvrit une zone qui avait jadis appartenu à Marco Kotzias, le propriétaire originel de son corps. Il ne restait de lui qu’un agglomérat de souvenirs auquel Tobin put accéder.
Le simple fait de l’effleurer ramena à l’avant-plan la mémoire la plus marquante de sa vie : sa première relation sexuelle. Un Marco adolescent avait saoulé et drogué une fille de son école, pour mieux lui sauter dessus lorsqu’ils s’étaient enfin trouvés seuls. Il l’avait baisée durement pendant qu’elle tentait de le repousser. Ses coups sans force n’avaient pas découragé le garçon. Elle avait fini par céder, fermer les yeux et se laisser faire; Il avait joui lorsqu’elle s’était mise à sangloter.
Marco Kotzias avait été un obsédé, un violeur, un dérangé. Tobin creusa au-delà de ce souvenir troublant; il découvrit qu’il pouvait accéder à volonté à tous les autres.
Les Trois détenaient désormais un nouvel atout : en sachant ce que Marco avait su, il pourrait se faire passer pour lui sans craindre de faux pas.
La première prospection de Martin leur avait révélé l’existence d’une fissure entre certains groupes de la Petite-Méditerranée. Il ne restait plus qu’à aller l’élargir et la transformer en cassure…

dimanche 11 septembre 2016

Le Nœud Gordien, épisode 437 : Le flâneur

Cette fois, malgré son éloignement du Terminus, Martin demeura relié aux deux autres. Enfin, presque : il avait retrouvé la même part d’individualité que lorsqu’il se rendait à son groupe d’Anonymes, mais Nini et Tobin étaient là, tout près, plutôt qu’une présence lointaine et diffuse. Ses pensées continuaient à être teintées des leurs, et il savait qu’ils pouvaient voir à travers ses yeux. Qu’est-ce qui expliquait cette différence? Une hypothèse s’imposait : Tobin, à l’Agora, se situait entre Martin, dans la Petite-Méditerranée, et Aizalyasni, au Terminus. Tout indiquait que les Trois pouvaient se relayer l’énergie du Centre-Sud, à la manière de pylônes électriques. Martin sentait qu’il lui suffirait de le vouloir pour que l’étincelle apparaisse entre ses paumes… Aussi loin de la source, il ne pourrait sans doute pas manipuler la matière aussi facilement, mais cette fois, il ne serait pas démuni... Il conservait entre autres la capacité de fouiller dans la tête des gens.
C’était plus qu’il l’avait espéré. Il mit le cap sur le café Buzzetta. C’était un secret de polichinelle que l’endroit était le lieu de rencontre privilégié par les officiers du clan Fusco. Son plan : en flânant aux alentours, il pourrait cueillir assez d’informations pour trouver une faiblesse, une fissure où mettre le doigt, et prendre sa revanche sur ceux qui l’avaient séquestré et battu pendant des jours.
Il s’assit sur un banc de parc juste en avant du café. Il n’avait pas besoin de ses yeux pour savoir ce qui se passait à l’intérieur…
Lorsqu’un individu se rendait au café, il suffisait que Martin se concentre pour percevoir ce qu’il avait en tête. Il put donc, d’entrée de jeu, distinguer qui faisait partie du clan Fusco, qui venait payer ses dus, qui entrait là pour un simple café, sans réaliser la réelle vocation de l’endroit… Les rares qui ignoraient que l’établissement était plus un club social pour gangsters qu’un véritable restaurant réalisaient vite leur incongruité; en quelques secondes, ils battaient en retraite. Un seul homme alla jusqu’à s’asseoir au bar le temps d’un espresso; on se moqua de lui pendant le reste de la matinée. Non mais, il faut avoir la tête dans le cul pour ne pas se rendre compte de pareille évidence!
Un homme – Petros Pappas, que tout le monde appelait Pops – était le pilier du café. C’était à lui que les nouveaux venus se rapportaient, c’était lui qui empochaient les enveloppes d’argent qui étaient destinées à son organisation; s’il n’était pas en discussion avec quelqu’un devant lui, il avait le téléphone à l’oreille. Malheureusement, Martin ne pouvait pas percevoir ce qui se passait dans la tête de ses interlocuteurs distants…
Les discussions du jour tournaient autour de l’arrivage imminent au port de La Cité d’une cargaison de « noix de coco » – l’un des arrivages les plus importants des deux dernières années. En tant qu’ex-policier, Martin était tenté de faire foirer cette manœuvre, et d’ainsi empêcher la drogue d’empoisonner la ville, mais il savait trop bien comment ce genre de combine fonctionnait. Même si les forces de l’ordre interceptaient la marchandise, ils ne réussiraient dans le meilleur des cas qu’à coffrer les hommes les plus directement impliqués, sans que le reste de l’organisation s’en ressente. Cette petite victoire ne l’amènerait pas plus près de son objectif.
Fort actif en matinée, le café devint plus calme en après-midi. L’activité reprit toutefois en début de soirée, cette fois avec une clientèle plus jeune. Les décideurs passaient au Buzzetta le matin; la nuit tombée, les soldats prenaient le relais. Petros Pappas continuait à s’assurer de passer les informations et les instructions.
Les pensées de la vieille garde étaient fort différentes de celles des nouveaux venus. Alors que les premiers étaient prudents, circonspects, discrets, les autres étaient impétueux, ambitieux, souvent frustrés de se retrouver dans une position moindre que celle qu’ils croyaient mériter.
Martin se dit qu’il tenait peut-être quelque chose… Qu’il suffirait de peu pour qu’un conflit de générations s’enflamme… Particulièrement si quelqu’un sachant précisément où jeter de l’huile s’en mêlait.
Martin considéra sa première journée d’espionnage télépathique réussie; il retourna au Terminus satisfait.
Le lendemain, il n’eut toutefois pas le loisir de recommencer son manège. Quelques secondes à peine après son arrivée devant le café Buzzetta, Pappas vint le rejoindre. « Salut, l’ami, dit-il en s’assoyant.
— Salut…
— Hey, j’ai remarqué que tu as passé toute la journée hier devant mon café…
— Je ne veux pas de trouble », répondit Martin. C’était la réponse qu’il avait donnée mille fois en pareilles circonstances lorsqu’il vivait dans la rue, où les problèmes n’étaient jamais bien loin…
« Fais-toi en pas, moi non plus, dit Pops en fouillant dans sa poche. Tiens, v’là vingt piasses. Va t’acheter un sandwich. Tu devrais aller t’installer sur le bord du lac, à la place. C’est bien plus beau que sur la rue.
— Ouais. Je comprends…
— Si t’as compris, je n’aurai pas besoin de te le redire. Je n’aime pas ça, me répéter.
— Ça va, c’est beau… J’ai compris : je m’en vais. » Martin se leva; Pops retourna dans son café. Ses pensées étaient claires : la veille, il avait remarqué la présence de Martin sans s’en formaliser; aujourd’hui, il craignait par son retour d’avoir affaire à un agent de police en mission de surveillance ou d’infiltration.
Il fallait être plus subtil dans mon approche, pensa-t-il.
C’pas grave, répondit Tobin. La prochaine fois, ça va être à mon tour...

dimanche 4 septembre 2016

Le Nœud Gordien, épisode 436 : Pièce manquante

Édouard avança la voiture jusqu’à la grille. Il n’y avait plus personne de l’autre côté pour actionner la commande; Alexandre sortit donc de la voiture pour ouvrir le chemin.
Ils se stationnèrent devant la maison, puis Édouard partit de son côté. Ils avaient convenu que c’était lui qui allait interroger les voisins pour découvrir si l’un d’eux avait remarqué quelque anormalité le soir de la mort de Philippe.
Alexandre devait faire sa part pendant ce temps-là, mais il n’en avait pas envie. Une fois seul, il se campa sur le seuil pendant de longues minutes avant de trouver le courage d’entrer chez lui.
Cette maison, c’était désormais la sienne. Philippe était mort sans testament, sans épouse, sans autre enfant : Alexandre avait hérité de la totalité de son patrimoine.
La situation avait empiré depuis sa dernière visite. Les poubelles amoncelées au rez-de-chaussée n’avaient toujours pas été sorties; un nuage fétide avait conquis l’étage. Alexandre ouvrit toutes les fenêtres et entreprit de sortir toutes ces cochonneries. Il y passa une bonne demi-heure à veiller de ne respirer que par la bouche. L’évacuation ne suffit toutefois pas à assainir l’odeur putride. Il trouva bien une bombe aérosol dans les toilettes pour la couvrir un peu, mais la solution n’était que temporaire.
Il était temps d’accomplir la tâche qui lui était échue. Il descendit au sous-sol et ouvrit le placard, mais il n’osa pas aller plus loin. Il demeura là, livide, immobile, incapable de se décider à faire quoi que ce soit. Peu de temps après, il entendit quelqu’un entrer. « Alex?
— Je suis en bas, répondit-il.                                                                    
— Est-ce que ça va?, dit Édouard en le rejoignant.
— Plus ou moins… » Il pointa le placard rempli de cassettes vidéo… Les enregistrements des caméras de surveillance. « C’est la vie de mon père qui se trouve là-dedans. Peut-être sa mort aussi.
— Ça me surprendrait qu’il ait mis son propre bureau sous surveillance… 
— Tu as sans doute raison », dit Alexandre, bien qu’il n’en soit pas convaincu. « Quand même… Je ne sais pas si je veux voir ça. Ou si je peux me permettre de ne pas le voir. » Il soupira. « Et toi, les voisins?
— Rien. Zip. Nada.
— Pas surprenant : tout le quartier vit emmuré.
— Ceux à qui j’ai parlé ne m’ont même pas fait entrer, sauf une dame, celle d’à côté… Elle a insisté pour m’offrir du thé et des biscuits. Elle avait beaucoup de choses à dire sur la météo, l’actualité et la société… Mais rien sur ce qui nous intéresse.
— Ah! Madame Kushnir! Je ne savais pas qu’elle vivait encore là. Tu es chanceux qu’elle ne t’ait pas retenu toute la journée! »
— Ouais. Et toi, du côté du staff?
— Je… Je ne m’en suis pas occupé.
— Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps?
— J’ai sorti les poubelles. » Édouard lui fit une expression qui disait quel prétexte de merde!
Alexandre ne se défendit pas. « Je m’en occupe tout de suite. » Les numéros des employés se trouvaient sur une feuille plastifiée à côté du téléphone de la cuisine. Alexandre contacta tous ceux qui s’étaient trouvés dans la maison durant le soir fatidique. Tout comme les voisins, personne n’avait remarqué quoi que ce soit d’anormal, jusqu’au moment où le coup de feu avait retenti. Jacques – le bras droit de Philippe – en profita pour lui demander quand son bonus de fin de contrat allait lui être versé. Alex lui assura qu’il s’en occupait, en l’invitant mentalement à aller se faire foutre.
« Peine perdue, conclut Alexandre en rayant le dernier nom sur la liste.
— Il reste les vidéos de surveillance… Autant s’y mettre…
— Ouais. Allons-y. »
Ils retournèrent au placard. Les cassettes n’étaient pas identifiées, mais ils découvrirent en visionnant la première que la date et l’heure de chaque enregistrement se trouvait en bas de l’image. La deuxième leur appris qu’elles avaient été rangées en ordre chronologique. Alexandre mit la main sur la dernière de la série et l’inséra dans le magnétoscope.
Comme pour les autres cassettes, l’image était partagée en six sections, chacune correspondant à l’une des caméras du système. Personne n’apparaissait à l’écran. Alexandre respira mieux… Jusqu’à ce qu’il remarque la date. « C’est la cassette de la veille!
— Où se trouve la bonne, alors?
— Je sais où elle est! »
Alex guida son oncle jusqu’à la petite pièce qui servait de poste de sécurité. Les caméras roulaient toujours… Mais la cassette ne s’y trouvait pas. « Encore un cul de sac!
— Peut-être pas, répondit Édouard. À ta connaissance, est-ce que la police a saisi ces bandes?
— Vu que le coroner a jugé qu’il s’agissait d’un suicide, il n’y a pas eu d’enquête.
— Dans ce cas, la cassette aurait dû être là, non? »
Édouard avait peut-être raison. Cet objet ne prouvait rien… Sinon la justesse de l’intuition d’Alexandre. Il y avait anguille sous roche.