Édouard avança la
voiture jusqu’à la grille. Il n’y avait plus personne de l’autre côté pour
actionner la commande; Alexandre sortit donc de la voiture pour ouvrir le
chemin.
Ils se stationnèrent
devant la maison, puis Édouard partit de son côté. Ils avaient convenu que c’était
lui qui allait interroger les voisins pour découvrir si l’un d’eux avait
remarqué quelque anormalité le soir de la mort de Philippe.
Alexandre devait faire
sa part pendant ce temps-là, mais il n’en avait pas envie. Une fois seul, il se
campa sur le seuil pendant de longues minutes avant de trouver le courage d’entrer
chez lui.
Cette maison, c’était
désormais la sienne. Philippe était mort sans testament, sans épouse, sans
autre enfant : Alexandre avait hérité de la totalité de son patrimoine.
La situation avait
empiré depuis sa dernière visite. Les poubelles amoncelées au rez-de-chaussée n’avaient
toujours pas été sorties; un nuage fétide avait conquis l’étage. Alexandre
ouvrit toutes les fenêtres et entreprit de sortir toutes ces cochonneries. Il y
passa une bonne demi-heure à veiller de ne respirer que par la bouche. L’évacuation
ne suffit toutefois pas à assainir l’odeur putride. Il trouva bien une bombe
aérosol dans les toilettes pour la couvrir un peu, mais la solution n’était que
temporaire.
Il était temps d’accomplir
la tâche qui lui était échue. Il descendit au sous-sol et ouvrit le placard,
mais il n’osa pas aller plus loin. Il demeura là, livide, immobile, incapable
de se décider à faire quoi que ce soit. Peu de temps après, il entendit quelqu’un
entrer. « Alex?
— Je suis en bas, répondit-il.
— Est-ce que ça va?, dit
Édouard en le rejoignant.
— Plus ou moins… »
Il pointa le placard rempli de cassettes vidéo… Les enregistrements des caméras
de surveillance. « C’est la vie de mon père qui se trouve là-dedans. Peut-être
sa mort aussi.
— Ça me surprendrait qu’il
ait mis son propre bureau sous surveillance…
— Tu as sans doute
raison », dit Alexandre, bien qu’il n’en soit pas convaincu. « Quand
même… Je ne sais pas si je veux voir ça. Ou si je peux me permettre de ne pas
le voir. » Il soupira. « Et toi, les voisins?
— Rien. Zip. Nada.
— Pas surprenant :
tout le quartier vit emmuré.
— Ceux à qui j’ai
parlé ne m’ont même pas fait entrer, sauf une dame, celle d’à côté… Elle a
insisté pour m’offrir du thé et des biscuits. Elle avait beaucoup de choses à
dire sur la météo, l’actualité et la société… Mais rien sur ce qui nous
intéresse.
— Ah! Madame Kushnir! Je
ne savais pas qu’elle vivait encore là. Tu es chanceux qu’elle ne t’ait pas
retenu toute la journée! »
— Ouais. Et toi, du
côté du staff?
— Je… Je ne m’en suis
pas occupé.
— Qu’est-ce que tu as
fait pendant tout ce temps?
— J’ai sorti les
poubelles. » Édouard lui fit une expression qui disait quel prétexte de merde!
Alexandre ne se
défendit pas. « Je m’en occupe tout de suite. » Les numéros des
employés se trouvaient sur une feuille plastifiée à côté du téléphone de la
cuisine. Alexandre contacta tous ceux qui s’étaient trouvés dans la maison
durant le soir fatidique. Tout comme les voisins, personne n’avait remarqué
quoi que ce soit d’anormal, jusqu’au moment où le coup de feu avait retenti. Jacques
– le bras droit de Philippe – en profita pour lui demander quand son bonus de
fin de contrat allait lui être versé. Alex lui assura qu’il s’en occupait, en l’invitant
mentalement à aller se faire foutre.
« Peine perdue,
conclut Alexandre en rayant le dernier nom sur la liste.
— Il reste les vidéos
de surveillance… Autant s’y mettre…
— Ouais. Allons-y. »
Ils retournèrent au
placard. Les cassettes n’étaient pas identifiées, mais ils découvrirent en
visionnant la première que la date et l’heure de chaque enregistrement se
trouvait en bas de l’image. La deuxième leur appris qu’elles avaient été rangées
en ordre chronologique. Alexandre mit la main sur la dernière de la série et l’inséra
dans le magnétoscope.
Comme pour les autres
cassettes, l’image était partagée en six sections, chacune correspondant à l’une
des caméras du système. Personne n’apparaissait à l’écran. Alexandre respira
mieux… Jusqu’à ce qu’il remarque la date. « C’est la cassette de la
veille!
— Où se trouve la
bonne, alors?
— Je sais où elle est! »
Alex guida son oncle
jusqu’à la petite pièce qui servait de poste de sécurité. Les caméras roulaient
toujours… Mais la cassette ne s’y trouvait pas. « Encore un cul de sac!
— Peut-être pas,
répondit Édouard. À ta connaissance, est-ce que la police a saisi ces bandes?
— Vu que le coroner a
jugé qu’il s’agissait d’un suicide, il n’y a pas eu d’enquête.
— Dans ce cas, la cassette
aurait dû être là, non? »
Édouard avait peut-être
raison. Cet objet ne prouvait rien… Sinon la justesse de l’intuition d’Alexandre.
Il y avait anguille sous roche.
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