dimanche 18 septembre 2016

Le Noeud Gordien, épisode 438 : L’imposteur, 1re partie

Lorsque Tricane l’avait initié, Tobin avait vite réalisé que la méditation n’était pas pour lui.
Pourtant, l’activité était basée sur un principe si élémentaire, si évident, qu’il apparaissait presque dérisoire. Trouver l’immobilité. Respirer. Faire le vide.
On aurait pu croire qu’il suffisait d’essayer pour réussir, mais pour Karl, c’était plus difficile que tout. Une part de lui refusait simplement de lâcher prise. Sa voix intérieure ne voulait jamais se taire, commentant l’activité, son ridicule, sa difficulté à chaque seconde.
J’suis supposé faire quoi, là?
Je dois avoir l’air d’un con, assis en faisant semblant de méditer.
C’est aujourd’hui que le paiement d’Untel est dû. Va falloir passer à la quincaillerie. Celui-là, faut le garder à l’œil…
Respirer, respirer, je veux bien… Mais je respirais déjà, t’sais.
Wow! J’ai réussi à ne pas penser. Fuck, est-ce que ça, c’est une pensée?
Est-ce que j’ai le droit de me gratter, si ça pique? Bon, je vais le faire, sans ça, je ne réussirai pas à me concentrer certain.
Est-ce que ça va durer encore longtemps? Ça doit faire au moins trois heures. Si j’ouvre l’œil, je vais pouvoir voir l’horloge. Ça fait juste dix minutes? Quoi! Dix minutes! Fuuuuck!
Me semble que ce serait bon, un burger…
…Et ainsi de suite, sans cesse, sans même en arriver à ralentir le flot de ces pensées malvenues.
Il avait persévéré néanmoins : il avait promis à Tricane qu’il ne douterait plus, après qu’elle ait réparé sa jambe. Même s’il avait l’impression que tout cela ne rimait à rien…
Daniel Olson avait repris le flambeau là où Tricane l’avait laissé. Ils s’étaient rencontrés deux fois à ce jour. Lors de la première rencontre, il lui avait donné une série d’exercices méditatifs à effectuer à tous les jours, aussi longtemps que tu peux tenir. Il l’avait accompagné pendant une demi-heure, après quoi il l’avait laissé continuer par lui-même. C’est à ce moment qu’il avait découvert une aisance qu’il n’avait guère soupçonnée. La Trinité l’avait transformé; il était désormais capable de méditer.
Satisfait par sa progression, Olson lui donna d’autres exercices durant la séance suivante, de visualisation cette fois. Ils avaient pour but de lui permettre d’ouvrir ce que le Maître appelait son espace intérieur. Une fois le vide créé, il devait profiter de la distance prise face à lui-même pour observer sa psyché comme une série de lieux meublés par ses expériences, ses sentiments, ses désirs… Et ainsi être mieux en mesure de les comprendre et les maîtriser.
Ses premiers essais, à l’Agora, ne furent pas très féconds... Mais de retour au Terminus – et dans la Trinité –, baignant dans l’énergie radiesthésique, il découvrit que l’idée d’espace intérieur n’était pas qu’une métaphore.
Au prix d’un certain effort, il put entrevoir l’architecture de sa psyché. Le regard de Timothée lui permit de voir plus clair en fournissant les concepts nécessaires… Il comprit alors pourquoi les autres l’avaient jugé incomplet à son retour. Il fut capable de discerner son identité, sa personnalité, ses souvenirs récents… Mais rien d’autre. Il n’était qu’une façade autour d’un grand vide. La découverte le troubla… Comment pouvait-il affirmer être Karl Tobin, malgré cette absence?
Il fit une autre découverte surprenante. Dans un recoin de son espace mental, il découvrit une zone qui avait jadis appartenu à Marco Kotzias, le propriétaire originel de son corps. Il ne restait de lui qu’un agglomérat de souvenirs auquel Tobin put accéder.
Le simple fait de l’effleurer ramena à l’avant-plan la mémoire la plus marquante de sa vie : sa première relation sexuelle. Un Marco adolescent avait saoulé et drogué une fille de son école, pour mieux lui sauter dessus lorsqu’ils s’étaient enfin trouvés seuls. Il l’avait baisée durement pendant qu’elle tentait de le repousser. Ses coups sans force n’avaient pas découragé le garçon. Elle avait fini par céder, fermer les yeux et se laisser faire; Il avait joui lorsqu’elle s’était mise à sangloter.
Marco Kotzias avait été un obsédé, un violeur, un dérangé. Tobin creusa au-delà de ce souvenir troublant; il découvrit qu’il pouvait accéder à volonté à tous les autres.
Les Trois détenaient désormais un nouvel atout : en sachant ce que Marco avait su, il pourrait se faire passer pour lui sans craindre de faux pas.
La première prospection de Martin leur avait révélé l’existence d’une fissure entre certains groupes de la Petite-Méditerranée. Il ne restait plus qu’à aller l’élargir et la transformer en cassure…

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