Martin sursauta en entendant des
coups insistants frappés à la porte. Il n’était guère le seul à être surpris
par le bruit soudain : dans l’assistance, un bon nombre des fidèles
avaient interrompu les mouvements de l’oraison pour s’interroger les uns les
autres du regard.
« Ne bougez pas! », dit
Martin en se dirigeant vers l’entrée. Quelques fidèles désobéirent à son
injonction et avancèrent à sa suite. Il n’insista pas.
Il crut discerner que l’une des voix
à l’extérieur de la porte était bien celle de Rem. Ironiquement, les coups
frappés couvraient les cris d’alarme; il n’en discernait pas un mot. Martin
entreprit de défaire les chaînes qui barraient les portes. Ses mains
tremblaient : dans le Centre-Sud, les surprises étaient rarement bonnes.
Une rafale de coups de feu retentit.
Martin eut le réflexe de se lancer à
plat ventre. Les oreilles bourdonnantes, il observa l’assemblée se disperser
comme une volée d’oiseaux. Certains se couchèrent comme lui, d’autres
s’enfuirent dans toutes les directions; quelques-uns demeurèrent figés sur
place, l’expression affolée.
Malgré sa réaction preste, Martin
lui-même aurait voulu penser, se ressaisir, diriger les fidèles, mais rien n’y
fit. La seule pensée à peu près cohérente qu’il formula se limitait à un
mot : Madame.
Il resta accroupi, en marchant
presque à quatre pattes, pour traverser la salle principale en direction de la
pièce arrière. Il n’était guère le seul : les coups de feu avaient dissipé
les réserves de bien des fidèles. En temps normal, ils traitaient le reste du
Terminus comme une sacristie réservée à Madame et à son cercle rapproché.
D’autres coups de feu se firent
entendre au moment où Martin arriva devant Madame. Elle était assise sur son
dais, les yeux fermés. Aizalyasni était prostrée devant elle, les jambes
repliées contre sa poitrine, son front posé sur ses genoux. Elle sanglotait
doucement. La petite avait montré beaucoup de courage lorsque les mafiosi
avaient menacé la communauté des fidèles, et encore plus lorsqu’elle s’était
sortie, seule, d’une tentative de kidnapping. Martin avait l’impression
qu’aujourd’hui, il ne fallait rien attendre de sa part.
Avant qu’il ait pu ouvrir la bouche,
Martin aperçut Timothée apparaître de l’autre côté de la pièce, accompagné de
plusieurs des fidèles qui avaient fui dans cette direction. « Y’a le feu
dans la salle du trou!
— Ben voyons! », répondit
Martin. « La salle est vide! Y’a rien à brûler! »
Martin accourut jusqu’à la pièce du
fond. Timothée n’avait pas menti. une fumée noire et épaisse se dégageait de
l’incendie, mais elle était toute aspirée par le tirant d’air du trou dans le
sol. Le vortex avait l’apparence d’une tornade miniature.
« Ce n’est pas un accident,
c’est certain », dit Timothée derrière lui. « Y’a quelqu’un qui veut
nous faire sortir… Quelqu’un qui nous attend avec une mitraillette. Une chance
qu’on a le trou! Mais si l’incendie se propage…
— On est cuits comme des rats. Peut-on
ouvrir les autres portes?
— C’est Tobin qui a les clés des
autres cadenas…
— Évidemment, il fallait que ça
arrive la fois où il manque l’oraison… »
Ils retournèrent auprès de Madame. Aizalyasni
continuait à pleurer en tremblant comme une feuille durant un orage. Madame
n’avait pas bougé, son visage rajeuni encore calme et serein, comme si rien du
grabuge ambiant ne s’était rendu à ses oreilles.
« Madame! », dit Timothée
à son oreille. « Madame! C’est important! Y’a le feu! »
Elle ne réagit pas.
Vu les circonstances extrêmes,
Martin décida de recourir à une stratégie qui l’était tout autant.
Il gifla Madame.