Édouard se leva pour accueillir Nico
lorsqu’il entra dans le restaurant. « Monsieur Ioannis!
— Monsieur Gauss! » Ils
s’étreignirent en vieux camarades.
« Ça fait un bout…
— Je pense que la dernière fois,
c’était l’an passé, pour ta fête d’adieu », dit Nico. « Tu nous avais
fait tout un speech sur le métier…
— Ouf! C’est vrai! J’avais oublié!
— Y’en a au bureau qui l’ont mal
pris », ajouta-t-il avec un clin d’œil. « T’as toujours eu le talent
pour te faire des amis.
— Bah! Tant qu’il me reste toi, je
n’ai pas à m’inquiéter », répondit Édouard en lui donnant une tape sur
l’épaule. »
Nico prit place sur la banquette. Il
examina les lieux. « Je n’étais jamais venu ici. C’est sympathique.
— Je déjeune ici chaque matin, ces
temps-ci. Les crêpes sont délirantes.
— Donc… Vas-tu enfin me dire pourquoi
tu voulais me voir? »
Édouard devint sérieux tout à coup.
Nico reconnaissait cette expression : il s’agissait d’Édouard-au-travail.
« Nico, tu sais que les gros
dossiers ne me font pas peur.
— C’est le moins qu’on puisse dire! »
Il était effectivement bien placé pour le savoir : Nicolas avait commencé
à travailler avec lui dans le cadre de son enquête sur la corruption policière.
« Je devine la suite : soit tu es sur le point d’attaquer un nouveau
filon… Soit tu l’as déjà fait.
— Exact.
— Alors… Qu’est-ce que c’est?
— Le plus gros dossier de ma
carrière. Peut-être le plus gros de tous. Je te demande de garder l’esprit
ouvert…
— Tu m’intrigues!
— J’ai découvert des preuves de
l’existence du surnaturel. »
Nico croisa les bras et haussa un
sourcil. « L’esprit ouvert, hein?
— Je veux surtout que tu m’écoutes
jusqu’au bout.
— Je peux faire ça »,
répondit-il, pas moins dubitatif.
« J’ai confiance que je peux
démontrer hors de tout doute l’existence de phénomènes paranormaux. Plus
précisément, la perception extra-sensorielle. Pour commencer.
— Quoi, t’as trouvé une voyante qui
n’est pas de la fraude?
— Non », répondit Édouard avec
un sourire espiègle. « Je vais le faire moi-même. »
Ça, Nicolas ne l’avait pas vu venir.
« Comment?
— Viens, je vais te montrer. »
Édouard vida son café d’une traite et alla payer la facture.
Le mercure flirtait avec le point de
congélation; une petite neige tombait mollement. Une fois sur le trottoir, Édouard
s’arrêta pour fixer le ciel gris. Nico allait lui demander ce qu’il cherchait
comme ça lorsque son visage s’éclaira.
En suivant son regard, Nico aperçut
une grosse corneille noire voler au-dessus des toits. Elle se dirigeait vers
eux en ligne droite, à un point tel qu’il eut le temps de craindre une
collision – ou une attaque – avant que l’oiseau vienne se poser sur la main
gantée d’Édouard. « Je te présente Ozzy », dit-il en lui caressant
les plumes. « C’est mon familier.
— Ton familier? T’es rendu une
sorcière?
— J’ai un lien particulier avec Ozzy »,
répondit-il, tout sourire. « Je suis capable de savoir en tout temps dans
quelle direction il se trouve.
— Heu, d’accord…
— Je vois que tu restes sceptique,
et c’est parfait comme ça. Je me doutais que tu ne me donnerais pas le Bon Dieu
sans confession…
— Qu’est-ce que tu attends de moi,
au juste?
— Je veux que tu me mettes au défi.
Que tu essaies de trouver si j’utilise un truc. Je veux que tu élimines toutes les
possibilités jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une seule…
— Aussi improbable soit-elle »,
répondit Nico en relevant l’allusion.
— Alors?
— J’aimerais d’abord savoir comment c’est
arrivé…
— Quoi? »
Nico lui lança un regard qui voulait
dire me niaises-tu? T’as une corneille
magique!
« Je vais tout te dire en temps
et heure », répondit Édouard. « Mais pour l’instant, je préférerais que
tu me testes sans préjugés en tête. »
Nicolas garda le silence un instant.
« D’accord. J’embarque. »