jeudi 31 décembre 2009

Le Noeud Gordien épisode 101

Je vous ai demandé qui vous vouliez voir pour défoncer l'année; toutes les réponses que j'ai reçues incluaient Félicia Lytvyn. Avec quelques jours d'avance (question d'enfin tomber en vacances pour vrai!), le voici le voilà, le début du volume 3! Bonne lecture et bonne année à tous et merci de me lire!!
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Des intérêts communs
Le cœur de Félicia roucoulait et ronronnait.
Elle se sentait à son meilleur. Partout sur son passage, elle pouvait sentir les regards s’infléchir, autant ceux des hommes qui la reluquaient avec désir et admiration que ceux, plus délicieux encore, des femmes chez qui elle devinait l’envie, la jalousie, l’hostilité. Elle était habituée à être ainsi lorgnée, mais aujourd’hui, l’énergie déployée à sa préparation avait été entièrement destinée à un homme en particulier.
Après quelques semaines, leur relation demeurait jeune. Habituée aux histoires plus volatiles, plus éphémères, c’était une sensation étrange qu’elle ressentait… Étrangement, la restreinte dont ils faisaient preuve rendait leur relation encore plus passionnée… Qui eût cru qu’un jour, Félicia Lytvyn fréquenterait un homme durant un mois sans le conduire au lit, sans même que ça ne lui manquât? Ils procédaient lentement, mais elle sentait leur lien s’approfondir de jour en jour. Elle se sentait… complétée par leur relation.
Le maître d’hôtel la reconnut dès qu’elle franchit le seuil du restaurant privé où ils s’étaient donné rendez-vous. Il la conduisit personnellement à leur table habituelle.
« M. Smith s’excuse, il sera là sous peu… » Il était inhabituel qu’il soit en retard; fidèle à son habitude, elle était arrivée fashionably late, ce qui poussait l’inhabituel jusqu’à l’inquiétant.
Vingt-cinq minutes, deux verres et trois appels plus tard, elle s’apprêtait à quitter le restaurant lorsque son maître, son professeur, son amoureux arriva. Il lui suffit de voir le sourire contenu de Gianfranco Espinosa pour que son cœur se remette à roucouler. Il lui baisa la joue et prit place devant elle.
« Je m’excuse de mon retard, mais c’est pour une bonne raison… » Ses yeux pétillaient.
« Ah oui?
— Oui… La Joute est déclarée! »
Félicia ressentit une bouffée d’excitation. Espinosa continua : « Gordon m’a choisi comme lieutenant! Je m’y attendais, bien entendu, mais c’est maintenant officiel…
— J’ai bien hâte de revoir Polkinghorne », répondit-elle sans douter un instant qu’Avramopoulos l’avait retenu comme lieutenant. « Je connais quelqu’un qui va avoir quelques surprises! 
— Tu as tellement progressé depuis que je t’ai envoyée étudier avec lui… Mais ne le sous-estime pas! Il a la coupe, l’épée et le bâton…
— Je sais, je sais, et moi je n’ai encore qu’une toge blanche. Mais tout n’est pas dans la panoplie… Damn! Après tout ce temps, c’est moi qui redécouvre comment contenir l’âme d’un défunt et on me traite…
— Chut! Ne parle pas de ça ici!
— Quand même, c’est frustrant de repousser les limites de notre art et encore être traitée comme une putain de novice…
— Félicia, ils ne le savent même pas… » C’était un secret bien trop précieux pour le dévoiler gratuitement.
« Bien justement : s’ils étaient capables de voir au-delà des traditions, ils verraient bien mon potentiel ».
Espinosa posa sa main sur celle de Félicia. Ses yeux disaient je le vois, moi. Son sourire était un peu plus large; sur son visage d’ordinaire stoïque, il apparaissait presque forcé. Il chassa néanmoins l’indignation de Félicia.
D’un air malicieux, elle demanda : « alors, cette Joute… par quoi on commence? 
— Par qui, tu veux dire! »
Le maître et l’élève passèrent des heures à comploter à mots couverts. Le cœur de Félicia pouvait bien ronronner : elle n’avait jamais encore été en relation avec un homme avec qui elle partageait autant d’intérêts communs.

mardi 29 décembre 2009

Défoncer l'année...

Dites-moi, selon vous, par quels personnages le volume 3 du Noeud Gordien devrait commencer?

Laissez vos commentaires ici ou par courriel. Et de joyeuses fêtes à tous!

samedi 19 décembre 2009

vendredi 18 décembre 2009

It's the most wonderful time of the year ♫

Le Noeud Gordien fera relâche pendant 2 semaines (52 semaines - 50 épisodes durant l'année = congé). De retour début janvier!

dimanche 13 décembre 2009

Le Noeud Gordien épisode 100

La déclaration
Les prévisions météo étaient unanimes : on annonçait de la neige en abondance durant la nuit. Un soleil d’automne se couchait sur La Cité et il se lèverait sur une ville toute blanche. Déjà, de petits flocons tombaient mollement sur l’asphalte. L’air était vif quoique pas trop froid : le mercure se maintenait juste en-dessous du zéro. Le calme avant la tempête.
La journée de Gordon avait été bien remplie, mais tout était prêt : ses affaires finissaient d’être transférées à un nouveau sanctuaire qui n’aurait pas pignon sur rue. Dorénavant, il garderait son bureau  complètement nettoyé de toute information quant à lui ou ses activités. Avait-il ramolli depuis Tanger? « Jean Smith » l’avait trouvé sans qu’il ne le voie venir quelques mois plus tôt, mais il était initié, on pouvait s’attendre à ce qu’il réussisse ce genre d’exploit. La mise au jour de son dispositif de sécurité l’inquiétait davantage. Il devait être plus vigilant. Bonne chose qu’il ait choisi d’installer son nouveau laboratoire ailleurs plus tôt cet automne… Certains lieux s’accommodent moins bien des déménagements.
Gordon laissait ses pas le guider dans La Cité à un rythme de promenade, sans but particulier. Son haleine projetait un nuage de vapeur rapidement dissipé par la brise. Les rues du quartier étaient relativement peu achalandées à cette heure.
Il y avait bien un type qui se tenait à l’intersection; il semblait indécis quant à la direction qu’il devait prendre. Dès qu’il le vit, son attention fut piquée : il l’avait déjà vu quelque part, il en étant certain. Mais où? Il creusa sa mémoire : s’il pouvait le reconnaître, il figurait presque assurément dans son Nœud. Après quelques secondes, Gordon le replaça.
C’était Aleksi Korhonen, le petit ami du génial Derek Virkkunen. Il l’avait vu maintes fois en photographies – et même une fois en personne à l’encan de Cité-Solidaire. Mais n’avait-il pas lu que l’exposition Tempo s’était mise en route vers Grandeville quelques semaines plus tôt?
Ceci aurait été un mystère sans grande importance qui aurait vite été relégué au statut de potin mondain si le jeune Korhonen ne s’était pas mis à sourire largement à la vue de Gordon. L’avait-il reconnu lui aussi? C’était bien peu probable… Mais Aleksi ne quittait plus Gordon des yeux.
« Bonsoir, jeune homme », dit Aleksi sur un ton chaleureux. Bienveillant. Familier. Les pièces du puzzle trouvèrent leur place immédiatement dans l’esprit de Gordon. Il devinait déjà où mènerait cette conversation; il demanda néanmoins : « J’ai au moins deux fois votre âge et vous me traitez de jeune?
— Tsk tsk tsk, Gordon. Les mains qui ont mis les lauriers sur ton front étaient peut-être plus ridées que celles-ci, mais je m’attendais à un minimum de reconnaissance de la part de mon meilleur étudiant…
— Eleftherios… Je n’en crois pas mes yeux! Comment est-ce possible?
— Trois faveurs pour un secret… Est-ce trop cher payer? »
Gordon se mordit la lèvre. Qu’Eleftherios Avramopoulos se présente à lui sous les traits d’un jeune homme était un exploit comparable à ce que Gordon avait accompli avec le composite O – même tenant compte des surprises qu’il gardait en réserve. Ce secret pourrait bénéficier grandement à ses recherches, mais il n’était pas dupe. « Trois faveurs au moment de s’engager dans la Joute m’apparaît imprudent… »
Eleftherios continuait à afficher ce sourire paternel qui cachait l’incroyable dureté dont il était aussi capable. Il haussa les épaules d’un air faussement naïf. Il dit : « Je crois qu’alors, il ne me reste qu’à lancer ma déclaration… »
Il prononça les paroles rituelles qui ouvraient ce round de la Joute dans La Cité. Gordon accepta avec la formule consacrée avant de demander : « Qui seront tes lieutenants?
— Hoshmand et Polkinghorne, évidemment. Et toi?
— Tricane et… Espinosa. Mais tu le sais déjà, n’est-ce pas?
— Et qui sera ton pion pour ce tour?
— Je choisis Karl Tobin.
— Moi, je me suis arrêté sur le cas d’Alexandre Legrand durant mes recherches préliminaires, mais il n’a pas su se montrer à la hauteur de mes exigences. Il m’aura tout de même permis d’en trouver un autre.
— Alors?
— Je choisis Édouard Gauss », répondit-il du tac au tac. Gordon pâlit. Eleftherios sourit encore, satisfait de l’effet de son choix.
Eleftherios tendit la main à Gordon. « Que le meilleur gagne, jeune homme.
— Oui », répondit Gordon. « Que le meilleur gagne… jeune homme. »
Les deux maîtres se séparèrent. Dès qu’il tourna le coin, Gordon appela Espinosa. Les choses avaient changé : il était trop tard pour soustraire Gauss de l’équation. Il en était dorénavant partie prenante.
Le vent et la neige gagnaient en force : l’hiver était là.

vendredi 11 décembre 2009

Jack Kerouac à Radio-Canada

Une entrevue avec Jack Kerouac, auteur de "On the road" et d'autres romans qui ont fait époque aux États-Unis au point où on le considère comme l'un des porte-flambeaux de la Beat Generation.

L'entrevue est en français. C'est vraiment un bijou sur le plan socio-historique. Merci à mon frère pour la découverte!

dimanche 6 décembre 2009

Le Noeud Gordien épisode 99

Le voyageur et le petit garçon
C’était une belle journée pour explorer une ville. Le soleil rendait les pavés et les pignons éclatants; les habitants de Vienne se laissaient toucher par la langueur de ces beaux après-midi de juillet. Le voyageur avait fait déposer ses valises à son hôtel; après tout ce temps passé dans le train, il avait une furieuse envie de se dégourdir les jambes.

C’était sa première visite à Vienne. Il comptait y séjourner deux semaines, peut-être trois avant de retourner vers sa Grèce bien-aimée. Ses pérégrinations n’avaient qu’un but : la promotion des intérêts du roi Georges 1er – et les siens, par le fait même. Même s’il savait à quel point son temps passé dans les cours d’Europe leur était utile, il préférait de loin demeurer près du trône dont il s’était fait l’éminence grise. Ils avaient tant accompli durant ces dernières années! Il savait qu’il était en voie d’effacer le fiasco de 1897, mais beaucoup restait encore à accomplir…
Le voyageur était de ces hommes toujours ouverts aux coïncidences, aux présages, aux conjonctures inusitées. Une scène qui serait passée inaperçue pour d’autres retint son regard. Assis sur un banc de parc, un garçonnet pré-pubère semblait tout entier absorbé par la lecture d’un gros volume déposé à angle droit sur ses cuisses. L’image était cocasse sans être une rareté en soi, jusqu’à ce qu’on remarque que sa lecture n’était rien de moins qu’une édition anglaise de La république de Platon. Suivant son instinct qui lui disait qu’il s’agissait là d’un garçon pas comme les autres, il s’assit à ses côtés. Rien n’indiquait que le lecteur l’ait remarqué. Le voyageur toussota pour attirer son attention sans plus de succès : ses grands yeux bleus étaient rivés sur la page, les sourcils froncés par l’effort de la concentration.
« Garçon? », dit-il finalement.
Le petit sursauta. Ses yeux affolés se fixèrent sur ce vieux monsieur inconnu qui lui parlait sans raison. En voyant le sourire bienveillant de l’homme, il retrouva son calme rapidement. « Pardonnez-moi, monsieur. J’étais captivé ». Le garçon parlait avec un fort accent. Ses r trahissaient le fait que l’allemand n’était pas sa langue maternelle. Comme il lisait en anglais, le voyageur n’eut pas de mal à avancer une hypothèse.
« You’re British, yes? » Le visage du garçon s’illumina immédiatement. Il répondit d’un ton enjoué : « My family is from Scotland, actually… » et ils continuèrent leur échange dans la langue de Shakespeare.
« Que lis-tu, garçon?
La république de Platon.
— Et qu’en comprends-tu? »
L’enfant eut l’air embarrassé un instant avant de répondre en rougissant. « Pas grand-chose, monsieur ». Le voyageur éclata d’un rire sincère. Le garçon rougit un peu plus.
« Ça n’est pas surprenant, c’est un ouvrage très corsé… Pourquoi le lis-tu, si tu n’y comprends rien?
— Mon papa dit que c’est le livre le plus important jamais écrit à part la Bible.
— Et il te le fait lire?
— Non. J’ai choisi de le lire parce que mon père est très intelligent; si j’en viens à le comprendre, je serai aussi intelligent que lui.
— Ce sont des paroles très sages pour un aussi jeune garçon…
— Je ne suis si pas jeune, vous savez : j’ai presque treize ans. » Le voyageur lui fit un sourire chaleureux. Il ressentait pour ce garçon une sympathie sincère. Il était vif, curieux et poli. Et comme lui, il avait été contraint de vivre une enfance déracinée dans une patrie autre que celle de ses aïeuls.
Le voyageur dit : « J’ai un ami qui s’appelle Friedrich, et tu sais quoi?
— Quoi?
— Il pense tout le contraire de ton papa…
— Le contraire?
— Pour commencer, il soutient que Dieu est mort… » Surprise et choc dans les yeux du garçon. « Si tu lis Platon pour être aussi intelligent que ton papa, peut-être devrais-tu plutôt lire les livres écrits par mon ami… Il a eu le courage de penser au-delà du bien et du mal.
— Vous en parlez au passé, est-il…
— Il est très malade… » Le voyageur ressentit la tristesse monter en lui. Comme il s’ennuyait de tous ces bons moments passés avec Friedrich, les aventures qu’ils avaient partagées à travers l’Italie dans les années quatre-vingt… Et maintenant, il était malade, un peu fou, paralysé, peut-être même mort. Le voyageur regrettait de ne rien avoir pu faire pour l’aider avant qu’il ne soit trop tard. Il soupira pour chasser la mélancolie et se retourna vers le garçon.
Le regard du petit était méfiant… Ne venait-il pas d’entendre quelque chose qui allait à l’encontre de tout ce que sa famille et l’école lui avaient appris? « Tiens, j’ai une idée », dit le voyageur. « Tu m’apparais comme un garçon bien sympathique. Reviens me voir demain à midi, sur ce même banc. Je vais te donner un livre de mon ami. Si tu l’as lu d’ici deux semaines et que tu me démontres que tu le comprends au moins un peu, je te ferai une faveur en retour.
— Quel genre de faveur?
— Je t’apprendrai le message derrière La république et je t’aiderai à le comprendre profondément. »
Les yeux de l’enfant pétillaient : il voyait définitivement une vraie faveur dans cette offre. « Mais ça n’est pas tout », continua le voyageur. « Si tu te montres un bon élève, je serai ton ami. Beaucoup de gens voudraient être mon ami, je t’assure.
— Mais monsieur, nous ne nous connaissons pas! Comment se fait-il que vous voulez m’enseigner, que vous voulez être mon ami, comme ça? Sauf votre respect… » Sa petite voix aiguë était émotive, excitée, mais aussi contenue, délibérée. C’était vraiment un jeune exceptionnel. Le voyageur était maintenant convaincu de son potentiel.
« C’est un problème légitime que tu soulèves, mais facilement réglé : il suffit que nous nous présentions ». Il tendit sa main au garçon qui l’empoigna avec assurance.
« Je m’appelle Eleftherios Avramopoulos », dit le vieil homme.
« Enchanté, monsieur. Je m’appelle Abran Gordon.
— Nous nous reverrons donc demain, Abran. Je te laisse à tes lectures. »
Ils se saluèrent et le voyageur continua sa promenade. Il était impatient de découvrir si ce garçon serait à la hauteur de ses espérances... Qui eût cru qu’il trouverait peut-être ce qu’il cherchait depuis si longtemps au beau milieu de l’Autriche-Hongrie?
La suite des choses reposait entre les mains du jeune, de sa curiosité et de sa volonté d’apprendre. S’il se montrait à la hauteur, le petit Abran se souviendrait pour toujours de cet après-midi de juillet 1899, le jour où Elefterios Avramopoulos l’avait choisi comme étudiant.

jeudi 3 décembre 2009

Moi, hypnotiseur?

Eh ben oui.
Mes proches savent que je m'intéresse depuis un moment à l'hypnose. C'est généralement reçu avec une certaine incrédulité jusqu'à ce que j'en fasse une démonstration. Mes avancées dans le domaine sont encore récentes. En début de session, lorsque je présentais les questions soulevées par l'hypnose en relation avec ce qui allait devenir la psychanalyse, j'étais enchanté de démystifier la chose auprès de mes étudiants. Certains de mon groupe du mercredi m'avaient demandé si j'en ferais la démonstration. J'avais répondu sincèrement "J'en meurs d'envie". Ce commentaire n'était pas tombé dans l'oreille de sourds: on me l'a rappelé en fin de trimestre.
Hier, c'était le dernier cours dans cette section. J'avais vérifié la semaine précédente qu'aucune activité n'avait lieu dans la salle après mon cours. Une fois la chose conclue, j'ai invité les curieux et volontaires à rester pour assister à ma première tentative d'hypnose en public, avec de relatifs inconnus. J'étais stressé ce matin-là... Mais une fois sur place, j'étais confiant. Il devait y avoir entre soixante et quatre-vingt personnes dans l'assistance lorsque j'ai commencé.

J'ai offert quelques explications sur l'hypnose et ce qui allait se produire. J'ai souligné que ceux qui n'étaient pas là pour tenter le jeu ne couraient aucun danger d'être hypnotisés contre leur gré. Je misais plutôt sur le fait qu'entre 1 et 5% de la population était particulièrement sensible à la suggestion pour trouver quelques sujets chez qui se serait facile. Je ne me trompais pas.

J'ai commencé par une relaxation en mettant l'accent sur la respiration profonde et la détente graduelle du corps jusqu'aux extrémités. Déjà, je voyais des gens se laisser aller... Mais tout restait à faire. J'ai compté jusqu'à 10 pour approfondir la détente, puis j'en étais au moment de vérité: une première suggestion.

J'ai demandé à l'assistance de joindre leurs mains... leurs mains de plus en plus soudées... jusqu'à ce qu'il soit impossible de les décoller. J'ai ensuite demandé qu'on essaie de les séparer. Plusieurs l'ont fait sans peine mais beaucoup ont hésité quelques secondes avant de réussir. Oh joie, trois ou quatre ont été incapables de les séparer. On a ensuite attiré mon attention sur celle qui deviendrait mon premier sujet de démonstration. C. avait encore le bout des doigts collés à la fin de l'exercice. Elle avait mentionné être particulièrement sensible à l'hypnose... Elle ne mentait pas.

Je l'ai fait asseoir sur une chaise sur l'estrade. Durant l'exercice de mains collantes, j'avais dit qu'ils retourneraient dans la détente profonde lorsque je claquerais des doigts en disant "dors". Après avoir mentionné que c'était seulement à C. que je m'adressais - question de ne pas endormir les autres qui avaient bien répondu aux mains collantes -, j'ai donné le signal. *Immédiatement*, sa tête est tombée en avant et ses yeux se sont fermés. Le bout de ses doigts étaient encore collés. Ce simple moment a créé toute une réaction dans l'auditoire: on était surpris du caractère immédiat et total de la réponse à mon signal. J'ai décollé les doigts de C., mais j'ai profité de l'occasion pour lui dire qu'une fois réveillée, elle ne se souviendrait pas du chiffre quatre. 1-2-3-4-5 RÉVEILLE-TOI!
"On va faire des tests pour savoir si tu es encore hypnotisée", dis-je. "Quel est ton nom? J'enseigne quel cours?" Elle répond sans problème. "Compte jusqu'à 10".
"1-2-3-5-6-7-8-9-10."
Elle n'a pas remarqué qu'elle a sauté 4. "Compte sur tes doigts..."
"1-2-3-5-6-7-8-9-10... 11?"
Je ne la laisse pas confuse trop longtemps: je la rendors. Cette fois, ma suggestion est qu'elle se réveillera elle-même à tout point de vue et qu'elle expliquera ce qui s'est passé à l'assistance, mais qu'elle sera prise d'un bégaiement irrépressible. Je la réveille et elle commence son récit; le bégaiement est plutôt discret pour commencer mais il s'accentue rapidement. Je l'endors puis la réveille à nouveau, cette fois-ci en lui disant qu'elle va parler et agir comme une petite fille de 5-6 ans. Je la réveille et c'est effectivement ce qui se passe. Elle parle avec une candeur totale. Je lui fais dessiner une maison au tableau; le dessin ressemble beaucoup à ce qu'on peut s'attendre d'une fillette... une façade carrée, deux fenêtres à quatre carreaux et un joli arbre à côté, tout ça dessiné sans hésitation, avec naturel. Nous discutons de sa famille et ses toutous (dont son préféré qui mange ses cauchemars). Je la rendors ensuite. Je regrette de ne pas lui avoir fait écrire son nom: le résultat est généralement frappant... Les suggestions de retour à l'enfance sont parmi mes préférées! On voit que ça n'est pas une adulte qui joue à la petite fille, mais... une petite fille tout court, avec un naturel que des acteurs professionnels auraient de la difficulté à saisir. Je remercie C. et elle retourne dans l'auditoire.

C'est au tour de J-P. de monter sur l'estrade. Étant donné que la détente et l'induction d'origine sont plus éloignées (après tout ce temps passé avec C.) je ne suis plus certain de son état. Je fais donc le test: claquement des doigts et "DORS", et paf! C'est chose faite. Les choses continuent de bien aller.

Je commence ici encore par jouer sur sa mémoire. Je lui fais oublier son prénom en lui disant qu'il aura plutôt "Arnold" sur le bout de la langue. Une fois réveillé, il compte jusqu'à 10 sans problème, il sait quel cours j'enseigne, mais il est incapable de dire son nom. On le voit presque vocaliser "A..." à répétition sans qu'un son ne sorte. Je le rendors. Dans l'assistance, on demande comment cela se fait-il qu'il réagisse à mes consignes sans que ça ne soit le cas des gens qui pourraient être hypnotisés dans la salle... je rappelle que j'ai mentionné ne m'adresser qu'à lui. Pour démontrer la différence que ça fait, je déclare: "C., je m'adresse à toi maintenant. DORS!". Paf! Elle tombe sur son bureau sans hésiter. Je la réveille et reviens à J-P.

Je le transforme en candidat à Star Académie qui arrive en audition et qui ne se souvient pas de son numéro. Il vit tout ça comme s'il y était. Il mentionnera plus tard (et hors d'hypnose) qu'il ressentait vraiment le stress. Après cette scène, il continuait à avoir froid aux extrémités... Évidemment, dans son esprit, c'était vécu sincèrement! Je n'abuse cependant pas de son malaise. Je le rendors peu après. À la demande de l'auditoire, je lui fais raidir un bras que j'essaie de plier sans succès - sa chaise se déplace lorsque je force, mais son coude ne plie pas d'un millimètre. Je le réveille et essaie à nouveau. Sa chaise se déplace encore, mais le coude ne résiste pas cette fois.

On discute ensuite de l'idée de jouer un personnage bien connu et J-P. accepte de se prêter au jeu une dernière fois. On suggère Elvis. Tout de suite en le réveillant, il retourne son collet et agit vraiment comme le King (ici encore, avec une candeur désarmante et sans hésitation) devant un auditoire en liesse. Je le réveille et nous discutons de tout cela.

Suite à la démonstration, j'ai eu des commentaires de sceptiques qui sont maintenant convaincus... Effectivement, ils ont vu comment les sujets répondaient aux suggestions complètement, sans hésiter et sans jamais montrer le moindre signe de déconcentration ou de décrochage... Les gens dans la salle pouvaient rire, commenter, ceux qui étaient hypnotisés n'affichaient même pas un sourire en coin ou un regard complice. Le fait que ce soit des collègues du bac leur donne de bonnes raisons de penser qu'il ne s'agit pas de quelque manipulation orchestrée à des fins spectaculaires.

D'autres commentaires qui ont été soulevés à répétition... "Comment ça se fait que ça n'est pas plus populaire que ça?" En fait, moi aussi ça me mystifie. Ceux qui y étaient ont vu comment c'était simple d'hypnotiser - pas de magie, pas de gros secret, seulement quelques techniques et un peu d'expérience. Bien entendu, tous ne sont pas nécessairement aussi faciles à hypnotiser que les sujets de ma démonstration... mais quand même! C'est vraiment un monde à découvrir qui n'a rien d'ésotérique ni de compliqué (contrairement à ce qu'on pourrait penser).

Pour ma part, je suis vraiment content d'avoir eu l'occasion de tenter ma chance avec un auditoire. Oserai-je présenter un spectacle amateur d'hypnose à Laval en spectacles en 2011? À tout le moins, maintenant je sais que c'est possible!