Je suis curieux... À quel épisode en êtes-vous dans la lecture du Noeud Gordien?
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Et Joyeuses Pâques!
AJOUT: si vous lisez ceci des mois ou des années après sa parution initiale, ne vous gênez surtout pas pour répondre quand même!!
dimanche 24 avril 2011
Le Noeud Gordien, Épisode 167 : Mike
« Hey, Maurice! »
Pour Michel Tobin et ses hommes, c’était une journée comme
les autres. Pour le pauvre Maurice, elle venait de prendre une tournure aussi
désagréable qu’inattendue.
L’interpellé reconnut tout de suite ceux qui le suivaient.
Il hésita un instant, comme s’il pesait la possibilité de s’enfuir. C’était un
instant de trop : les gars étaient sur lui avant qu’il n’agisse.
« Viens-t-en, on va prendre une marche », lui dit Rem
en lui agrippant une épaule.
Maurice balbutia qu’il devait être ailleurs, qu’on
l’attendait. Djo prit l’autre côté en le dirigeant par le coude. Ils l’amenèrent
dans une ruelle, loin des regards indiscrets.
« Tu sais que t’es pas facile à trouver, Maurice?
— Depuis hier qu’on te cherche…
— Est-ce que t’avais oublié notre rendez-vous?
— Tu l’avais pas marqué dans ton agenda?
— C’est un homme occupé, Maurice… »
Les gars faisaient bien leur travail : Maurice avait déjà
le teint et le rythme de respiration d’un marathonien à mi-parcours. Il
craignait sincèrement la suite des choses.
Comme pour lui donner raison, Rem lui asséna un coup de
poing à l’abdomen qui lui coupa le souffle et qui finit de transformer sa
frayeur en panique.
« Arrêtez les gars! C’est pas de ma faute!
— Oh, pour vrai? », fit Rem en jouant la compassion.
Une mince lueur d’espoir apparut dans les yeux de Maurice. « Hey Djo,
c’est pas sa faute… Est-ce que c’est de ta faute, toi?
— Non, c’est pas de ma faute. Toi?
— Non. » Rem se tourna vers son patron. « Peut-être
toi, Mike? »
« Non, c’est pas ma faute non plus », répondit
Mike Tobin.
Durant la longue convalescence de Karl, son neveu avait pris
les commandes de son fief de la banlieue Nord. Les rangs du clan avaient été
décimés par l’attaque de la quincaillerie; c’est lui qui les avait regarnis en
faisant appel à des gars de son réseau, des hommes de confiance – enfin, autant
qu’on pouvait l’espérer dans ce genre de business. Dans un premier temps, Karl
lui dictait quoi faire et comment, mais petit à petit, Mitch avait gagné en
autonomie jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin de supervision pour s’assurer du
bon déroulement des activités du groupe. La mort de Karl ne vint que confirmer
le mouvement déjà entamé : le patron, c’était lui. Du jour au lendemain,
ses hommes se mettaient à l’appeler Mike
plutôt que Mitch, comme si le surnom
de Michel-le-jeune-neveu-du-boss ne seyait pas à Michel-le-boss.
Mike s’approcha de Maurice d’un pas lent pendant que Rem et
Djo le tenaient solidement en place. Il n’avait pas la taille massive de son
oncle, mais sa présence n’était pas moins imposante à sa manière. Il lui tapota
la joue deux fois avant de prendre son élan et de lui asséner une gifle si puissante
que Rem l’échappa presque. La paume était moins destructrice que le poing, mais
combien plus humiliante!
Son succès en tant qu’usurier reposait en partie sur sa
réputation. Il savait que – cette fois du moins – Maurice ne risquait que
quelques bleus, mais Maurice, lui, ne le savait pas. Le but de ce dernier
avertissement était qu’il s’en sorte content de pouvoir encore marcher,
déterminé à tout faire pour payer à temps.
« T’es ridicule! T’es un homme adulte, calice! C’est
quoi ces enfantillages-là, c’est pas de ma
faute, bouh hou hou…
— Mais c’est vrai! Me suis faite voler mon cash! Si je
l’aurais encore, je te jure que je te le donnerais!
— Tu t’es fait voler ton cash, hein? » Il était plus
plausible qu’il l’ait plutôt investi en Orgasmik, en pot ou en bière jusqu’au
dernier sou. « Tu viens me voir pour de l’argent, je t’en prête, puis là,
quand c’est le temps de me le redonner, tu me parles de tes problèmes? »
Il demanda à ses hommes : « J’ai-tu l’air d’un psychologue? »
Maurice prit une grande inspiration. « C’est même pas à
toi que je l’ai emprunté… Karl, lui, il… »
Mike lui enfonça violemment un poing dans le bide. Maurice
gémit de douleur; il en reçut deux autres avant qu’il n’ait eu le temps de se
ressaisir. Les gars le laissèrent tomber par terre.
« Que je voie jamais un pissou crotté comme toi faire
comme si t’étais un ami de mon oncle. Ses affaires, c’est mes affaires, point à la ligne. » Il lui décrocha un coup de
pied. « Cinq jours. Tu me donnes ce que tu me dois dans cinq jours. Sinon
on va te trouver, et tu vas voir qu’aujourd’hui, on s’est bien amusés par
comparaison. C’est clair? »
Maurice acquiesça tant bien que mal. Encore bouillant, Mike tourna
les talons en signalant à ses hommes de le suivre. Dès qu’il fut capable de se
tenir debout, Maurice déguerpit en sens inverse.
Crisse. Mike
remarqua qu’une jeune femme avait peut-être été témoin de la scène. Elle se
tenait au détour de la ruelle, dans une position idéale pour voir sans être
vue. Dans la jungle urbaine, les gens avaient tendance à éviter les problèmes
des autres de peur qu’ils deviennent les leurs; cette fille-là, par opposition,
semblait tout sauf effarée.
Il réfléchissait à la meilleure manière de s’assurer de sa
discrétion lorsqu’elle dit : « Michel Tobin? »
Crisse de crisse. La
fille était peut-être jeune, mais elle portait le genre de tailleur gris prisé
par les agentes fédérales. Il était facile de s’imaginer des tireurs d’élite
embusqués tout autour, une escouade de choc prête à intervenir… Mais Mike n’avait
jamais vu une agente porter de manteau blanc, pas même dans les films. Et puis,
si c’était une agente, elle serait intervenue pendant qu’ils tabassaient
Maurice, non?
« Qui le
demande?
— Je suis une amie de ton oncle », répondit-elle
doucement. Mike ne l’avait jamais vue auparavant, mais il est vrai que depuis
sa blessure, Karl était soudainement devenu muet comme une carpe à propos de
tout un pan de ses activités et fréquentations. Mike lui fournissait des lifts ici et là, mais Karl ne parlait
jamais – jamais – de ce qu’il y
faisait. Celle-là participait peut-être à l’une de ses activités-mystères.
« Mon oncle est mort », dit-il sans avoir trouvé
mieux à dire.
« C’est triste, mes condoléances… Je lui ai parlé avant
son… dernier voyage… Il m’a parlé de toi… Je me suis dit que tu aimerais
connaître ses dernières paroles.
— Ah oui? » Malgré sa nonchalance apparente, sa curiosité
était sincèrement piquée.
« Il m’a dit qu’il était content que tu t’occupes de
ses affaires... Il a dit qu’il est content de t’avoir, parce qu’il sait que tu
as une tête sur les épaules et le cœur à la bonne place…
— Ouais, pis? »
Elle lui sourit gentiment. « Il m’a dit que t’étais
comme le fils qu’il n’aurait jamais voulu avoir! »
Il fallait considérer que Karl craignait que ses enfants
s’engagent aussi sur la voie de la criminalité pour vraiment comprendre le sens
de l’affirmation… Les yeux de Michel s’embuèrent malgré son désir de demeurer
impassible. La formulation laissait croire qu’il s’agissait bien des paroles de
Karl – mais Karl s’ouvrait-il jamais à pareilles sentimentalités? Michel
comprit que cette fille devait avoir été à tout le moins une confidente de son
oncle – peut-être son amante. Sa méfiance se relâcha légèrement.
« Merci… C’est vraiment gentil de m’avoir fait le
message…
— Ça fait plaisir. C’est vraiment triste qu’il soit mort
comme ça… »
Un silence flotta entre eux. La fille ajouta :
« En passant, je cherche une amie commune… Est-ce que tu connais une Tricane?
— Eh! Si je la connais!
— Est-ce que tu l’as vue récemment?
— Non, pas depuis un moment… » Mike était réticent de
dire à une inconnue qu’il savait où elle demeurait.
« Si tu la vois, pourrais-tu lui dire que je la
cherche? Elle ne va pas bien ces temps-ci, mais je peux l’aider… Si
seulement je peux la trouver… » Elle tira une carte de son sac. « Tu peux
m’appeler n’importe quand, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ne te gêne pas
pour laisser un message si je ne réponds pas. Je dois y aller, passe une belle
journée, ok? »
Rem lut la carte par-dessus l’épaule de Mike. « Félicia
Lytvyn? Comme dans Lytvyn
Lytvyn? »
dimanche 17 avril 2011
Un tiers de Noeud!
Je prévois raconter l'histoire du Noeud Gordien en 500 épisodes - au rythme actuel des publications, cela représente 10 ans au total. Ceci signifie qu'avec l'épisode 166, je passe la barre du tiers des épisodes. Dans ma tête, l'épisode d'aujourd'hui clôt l'Acte 1. En cours de route, vous avez sans doute eu quelques surprises... Dites-vous que j'en ai encore bien d'autres tours dans mon sac pour les deux Actes restants!
Si jamais l'idée de lire (ou relire) à l'écran les 166 épisodes écrits à ce jour vous rebute, je vous rappelle que les archives offrent une version pdf facilement imprimables des trois "saisons" complètes. J'en ai moi-même un ou deux exemplaires, il ne faut pas se gêner si vous souhaitez que je vous les prête!
Finalement, vous avez peut-être remarqué qu'un gadget Twitter est apparu dans la barre de droite. J'ai décidé de réactiver mon compte (sous le nom PSTL) après un premier essai plus ou moins fructueux. Je suis peu enclin à créer un article sur ce blog pour seulement une ligne et un lien, alors je pense que Twitter m'offrira un complément intéressant... Cela facilite aussi la communication bidirectionnelle... Il ne manque que vous! :)
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Le Noeud Gordien, épisode 166: Réflexion
Édouard Gauss n’aurait jamais cru être si content de revenir
dans son appartement décrépit de la 10e avenue. Malgré son
intensité, son bonheur demeurait distant, coincé au milieu de cette boule d’émotion
qui tiraillait ses entrailles.
Il avait passé trois nuits et deux jours dans la petite
chambre où on l’avait consigné. À toutes les trois ou quatre heures, Hoshmand
le visitait, tantôt pour lui apporter de quoi boire ou manger – incluant du vin
en soirée –, tantôt pour lui expliquer comment respirer correctement ou lui
inculquer une forme d’ablution en neuf étapes. Édouard était trop fébrile et
contrarié pour retenir quoi que ce soit, alors il se contentait d’arpenter la
petite pièce comme un animal en cage, moins inquiet de sa séquestration qu’excédé
par sa surexcitation. Surtout terrifié de savoir comment il pourrait se libérer
de cette dernière condition.
Maintenant il était chez lui. Même sa petite salle de bain semblait
plus vaste que la chambre qu’il avait habitée.
Il avait reçu appel sur appel pendant sa séquestration.
Geneviève lui avait laissé à elle seule une douzaine de messages, d’abord
contrariés – c’était son tour de passer le weekend avec ses filles – puis de
plus en plus inquiets. Son psychologue avait aussi signalé son absence imprévue
à leur rencontre hebdomadaire; il voulait confirmer le rendez-vous pour la
semaine prochaine. Il avait besoin plus que jamais de son heure avec le docteur
Lacombe, mais à quoi bon? Il ressentait désormais la présence implacable des barrières
qu’on avait érigées dans son esprit et qui lui interdisaient de trahir ce qu’il
avait vécu.
Il s’aspergea le visage d’eau en soupirant, content d’être
chez lui, mais surtout appliqué à ne pas penser à… ça. Ce qui composait la boule d’émotion qui lui serrait la gorge.
À la profondeur de son désespoir, à la fatigue accumulée par
trois nuits à dormir à peine.
À ne pas penser à où ses désirs tout-puissants l’avaient amené.
À ce qu’il avait pensé. À ce qu’il avait failli faire. À ce qu’il avait fait.
À ses réticences s’amincissant d’heures en heures, de jour
en jour. Jusqu’à ce que – horreur! – l’idée lui apparaisse stimulante.
Le passage à l’acte, la reddition… Excitant – comme tout le
reste – mais profondément dégoûtant aussi.
L’humiliation du fait accompli. Le caractère irréversible de
la ligne franchie à la lumière crue et lucide de l’effet dissipé – comme
promis.
Ne pas penser pour ne pas devoir décider si ses facultés
affaiblies faisaient de lui une victime de viol, ou si son consentement
apparent le rendait imputable de sa propre faiblesse.
Surtout, ne pas laisser de prise au sentiment de violente
indignation qui ne demandait qu’à exploser… Un sentiment encapsulé dans la
ferme intention d’accepter les conséquences d’avoir écouté sa curiosité et d’avoir
joué avec des forces qui le dépassaient. À tout prendre, c’était lui l’architecte
de son malheur et de sa honte.
Il resta longuement accoudé sur son lavabo, le visage
ruisselant d’eau froide, le regard fixé sur les gouttes qui se fondaient en
ruisselets avant d’être bues par le drain, à ne pas penser à tout cela. Mais s’évertuer à ne pas penser à
quelque chose, c’était aussi y penser…
Lorsqu’il leva les yeux pour affronter son reflet, une
surprise l’attendait. Il fit un pas en arrière, le souffle coupé.
Ce qu’il voyait dans la glace n’était pas son visage piteux
et dégouttant mais celui d’un homme mûr qui lui offrait un sourire
compatissant.
C’était l’homme de la photo d’Alexandre. Gordon.
Édouard l’avait théoriquement déjà rencontré, bien qu’il n’ait
conservé de leur entretien précédent qu’un enregistrement et aucun souvenir.
« N’aie pas peur », dit-il d’une voix douce.
Édouard eut le réflexe stupide d’ouvrir la porte de la pharmacie, seulement
pour découvrir que l’intérieur demeurait parfaitement normal. L’image de Gordon
était toujours présente lorsqu’il la referma.
« Ton initiation a été dure, n’est-ce pas? »
Édouard ne répondit pas.
« Je comprends ce que tu vis… Parce que je suis passé
par là. Sauf que moi, j’avais quatorze ans. Au moins, comme je le connais,
maintenant qu’il t’a… eu, il ne s’imposera pas davantage. De cette façon, du
moins. »
Édouard plissa le nez en reconnectant momentanément avec le
dégoût contre lequel il se débattait. Si son indignation ne diminuait en rien,
une part d’appréhension quant au futur s’allégea néanmoins.
« Eleftherios est un vieux narcissique…
— Comment, vieux? », coupa Édouard. Il se souvenait de
la photo de l’entourage du roi Georges et cet Eleftherios dont le regard ressemblait étrangement à celui d’Alexis.
« Oh, malgré son apparence actuelle, il est considérablement
plus vieux que moi. En fait, il était déjà presque un vieillard lorsque je l’ai
rencontré pour la première fois, à la fin des années mille-huit-cent… »
Après tout ce temps à se démener pour trouver de minuscules
indices et les arranger en théories, Édouard peinait à croire qu’on lui donnât
des réponses aussi facilement. Il est vrai qu’il était maintenant l’un d’eux,
en principe… « Mais comment est-ce possible?
— Je sais que tu t’en doutes…
— En fait, oui et non. Tout ce que vous faites peut être
expliqué par l’hypnose. Faire oublier des choses, implanter des suggestions…
Même me faire croire que quelqu’un me parle à travers mon miroir.
— Tu n’as pas tort : nos procédés usent des mêmes
mécanismes que l’hypnose, quoique par des voies différentes. Je peux toutefois
t’assurer que cette conversation n’est pas hallucinée.
— Vous êtes donc des magiciens.
— Nous sommes les détenteurs des secrets anciens et
hermétiques des sages et des alchimistes qui nous ont précédés…
— Vous pardonnerez mon incrédulité…
— Tutoie-moi, je te prie… Mais je t’assure que tu seras
convaincu en temps et lieu. Nous le sommes tous. En attendant, à défaut de
croire, écoute-moi.
— Je vous écoute. Je veux dire : je t’écoute. » Ce
dialogue inopiné avait l’avantage non négligeable de fournir une distraction
qui ajoutait quelque distance avec ces émotions qu’il préférait dénier.
« Eleftherios et moi sommes des Maîtres de notre art.
Nous avons accompli le Grand Œuvre… »
Édouard connaissait le terme : c’était un thème courant
en alchimie et en occultisme. « La pierre philosophale?
— Plus précisément le processus symbolisé par le concept de
la pierre. Autrement dit, nous nous sommes perfectionnés jusqu’à transcender
notre condition mortelle…
— Vous ne pouvez pas mourir?
— Oh, je peux assurément mourir. Je ne vieillirai toutefois
plus. Entre autres choses…
— Pourquoi Eleftherios ne me l’a pas déjà dit, s’il m’a choisi
comme initié?
— Il a sa manière. Pour l’instant, il préfère se concentrer
sur les bases, sur le point de départ plutôt que sur la destination. C’est
peut-être moins pédagogique, mais c’est une bonne manière de tester l’investissement
d’un initié dans sa voie.
— Bref, il veut tester ma foi…
— …en lui plus qu’en notre art. On ne peut s’attendre à
moins d’un narcissique. Sache toutefois qu’il est très puissant et que malgré
ses défauts, il sait ce qu’il fait. Il m’a beaucoup appris.
— Tu ne lui en veux pas?
— Oh oui, je lui en veux. C’est pourquoi je m’adresse à toi
aujourd’hui. Lorsque tu es venu mettre ton nez dans mes affaires, je t’ai vu
comme une menace. Maintenant je sens que nos destins sont liés. Après notre
discussion dans ma voiture, j’ai compris que c’était un homme comme toi qu’il
me fallait.
— Un homme comme moi? Pour faire quoi? »
Gordon sourit, les yeux pétillants : « Qui de
mieux placé que le journaliste d’enquête le plus respecté en ville pour révéler
au monde l’existence de notre art? »
Penaud, Édouard répondit : « C’est impossible…
— Pourquoi?
— Parce qu’ils ont, heu, jeté un sort sur moi… Je ne peux
pas parler de quoi que ce soit à un non-initié… Je ressens le blocage dès que
je formule une intention à cet effet…
— Tu dis ils ont…
Ils ont procédé à plusieurs?
— Oui : Eleftherios, Hoshmand et un autre gars qui lui
ressemble comme deux gouttes d’eau…
— Polkinghorne.
— J’imagine. C’était dans un cercle, avec des os…
— Un procédé est d’autant plus puissant s’il est accompli à
plusieurs… Eleftherios a dû croire que tu risquais de déjouer un procédé moins
solide… Il a donc une excellente opinion de ton potentiel! Mais en temps et lieu,
je pourrai le défaire sans problème. À condition que tu veuilles m’aider dans
mon plan… »
Malgré la sincérité apparente de Gordon, Édouard ne pouvait
s’empêcher de croire qu’il s’agissait peut-être d’un autre test. « Je vais
devoir y penser », répondit-il prudemment.
« Je ne demande rien de plus », dit Gordon. « En
attendant, prends au sérieux tes leçons et développe ton acuité dès que
possible. Tu es sur le seuil d’un monde de merveilles, mais c’est à toi de
décider du délai avant de le franchir. Une fois de l’autre côté, tes sacrifices
seront amplement compensés! »
Ceci restait à démontrer; à tout le moins, l’option suggérée
par Gordon pourrait lui offrir un moyen de canaliser ses émotions... Il
pourrait ainsi faire d’une pierre deux coups… Se venger d’Eleftherios en
éventant ses précieux secrets… Mais aussi se trouver derrière le plus gros
scoop de tous les temps!
Il allait poser à Gordon la première des cent millions de
questions qui lui restait mais c’était trop tard : le reflet de son visage
avait repris sa place dans le miroir.
dimanche 10 avril 2011
Le Noeud Gordien, épisode 165 : Catacombes, 4e partie
C’était une maison coquette qui ressemblait aux autres du
quartier, à une particularité près : ceux qui n’y étaient pas invités n’auraient
pas pu la trouver. Même les voisins de longue date ne la remarquaient pas lorsqu’ils
regardaient directement dans sa direction. Catherine Mandeville était
heureusement de ceux qui n’avaient pas à s’inquiéter des effets de ces
puissants processus : à chacun de ses passages à Tanger, elle savait être
la bienvenue dans le domaine hermétique de Traugott Kuhn.
Comme d’habitude, le portail n’était pas verrouillé. Elle
traversa le rez-de-chaussée élégamment
meublé quoiqu’à peu près jamais habité pour rejoindre la trappe sous laquelle
l’écoutille du bunker était cachée. On l’observait déjà, elle en était sûre;
elle voulut agir avec naturel, elle ne réussit qu’à paraître encore plus
guindée.
L’écoutille bloquait l’entrée d’un puits de béton. L’abri
avait été construit dans les années mille-neuf-cent-quarante; le mécanisme
demeurait toutefois en parfait état, bien huilé et sans la moindre trace de
rouille. Catherine savait qu’elle devrait s’agripper à de minces barreaux
métalliques enchâssés à même le puits pour descendre les cinq ou six mètres qui
la séparaient du plancher; elle enleva ses souliers, exhala un long soupir et s’engagea
dans le puits.
Elle ne s’était pas trompée en supposant qu’on
l’observait : Kuhn l’attendait déjà au fond de la salle, derrière la
grande baie vitrée qui l’isolait du reste du monde – mais qui le protégeait
aussi de sa pire phobie.
« Catherine! Ma belle Catherine! Quelle joie de te
revoir si tôt! » L’enthousiasme de Kuhn fit sourire Mandeville. On aurait
dit un grand-papa tout content de revoir sa petite-fille. « Serait-ce que tu
as déjà tenté de reproduire le procédé découvert par la fille de La Cité?
— Oui, dès que j’ai pu…
— Et puis? »
Mandeville lissa ses cheveux avec la paume de sa main.
« J’ai échoué… Il manque quelque chose…
— Comment as-tu obtenu le consentement de ton sujet?
— J’ai demandé à Émile », répondit-elle du bout des
lèvres.
« Sa loyauté envers toi, quoique complète, n’était pas
de l’ordre naturel des choses…
— Vous avez raison… » La réhabilitation d’Émile l’avait soustrait à son exécution, mais elle
lui avait coûté son libre arbitre. Elle regrettait de l’avoir choisi comme
cobaye, d’autant plus que sa mort avait été vaine. Elle avait été surprise de
découvrir à quel point il lui manquait. Elle massa son cou en tentant de
ravaler cette vague de sentimentalité inutile.
« J’ai une faveur à te demander, Catherine… » Un
frisson la traversa en entendant ces mots. La vie de Kuhn était dédiée à la
pérennité de leur art… Il était aussi déterminé à reconquérir les connaissances
perdues suite à l’hécatombe de 1916 qu’à se prémunir contre d’éventuels coups
durs futurs… Une façon d’y parvenir était de partager son savoir. Il n’était
donc pas avare de faveurs à échanger – d’autant plus que sa réclusion
volontaire l’obligeait à recourir à autrui pour agir à l’extérieur de son abri.
Néanmoins, étudier auprès de lui représentait une chance énorme.
« Retournes vers La Cité. Je veux rencontrer cette
fille. Je veux lui parler. Je veux qu’elle me montre ce qu’elle sait.
— Mais ce n’est qu’une adepte! Et encore : elle vient
de le devenir…
— Tu as observé son procédé. Tu as conclu qu’il était
authentique. Et le comportement des impressions ne fait que confirmer que c’est
bien elle qui l’a accompli, qu’elle n’est pas l’outil d’une force plus
puissante… Elle est destinée à de grandes choses.
— Mais…
— Qu’importe son titre? Tu veux m’offrir cette faveur ou
non? » Le grand-papa était disparu. C’était le Maître, l’aîné des Seize,
qui parlait. Mandeville n’avait jamais cessé de se sentir comme une novice
devant Kuhn. Elle gratta nerveusement sous ses ongles pendant un moment avant
de dire : « Je vous accorde cette faveur. »
La satisfaction éclaira le visage de Kuhn. « Pendant
que tu es là-bas, si tu peux en apprendre davantage sur le procédé utilisé par
Avramopoulos pour rajeunir…
— Il refuse de partager quoi que ce soit…
— Cet abruti! », éructa Kuhn en tapant du pied. La
violence et la soudaineté de l’invective firent sursauter Mandeville.
« Quel imbécile! Une découverte de cette importance, connue de lui seul…
S’il lui arrivait quelque chose, encore un trésor perdu!
— Au moins nous savons que c’est possible », répondit
Mandeville avec philosophie. Kuhn se contenta de répondre d’un grognement
contrarié. Un silence pesant emplit la pièce.
« Je vais y aller, alors… Je reviendrai avec
l’adepte. »
Elle allait tourner les talons quand Kuhn ajouta, d’une voix
timide : « Catherine? Tu n’as pas envie de… rester un peu? »
Elle jeta un bref regard vers la cabine à sa gauche. Elle
n’avait absolument aucune envie de traverser le processus de stérilisation ni
de porter une combinaison Hazmat. « Peut-être à mon retour?
— Oh. D’accord. Je comprends. Hum, tu n’es toujours pas
intéressée à faire un tour de Joute? »
On aurait dit un petit garçon demandant à une fillette s’il peut l’embrasser,
juste une fois. Mandeville était embarrassée que Kuhn lui parle sur ce ton
pathétique qui cadrait mal avec tout le respect qu’elle entretenait à son
égard.
« Non, pas de Joute. Pas tant que nous ne saurons pas
comment fonctionne le processus.
— Mais comprend-on jamais tout? », demanda Kuhn d’un
air piteux.
Catherine n’appréciait certainement pas devoir lui refuser
sa demande, mais elle demeurait convaincue que ses pairs jouaient avec des
forces qu’ils ne pouvaient pas définir et encore moins maîtriser. Malgré la
tentation de découvrir ce qui les rendait si enthousiastes, elle préférait la
voie de la prudence. La différence entre enthousiasme et dépendance pouvait
parfois s’avérer subtile…
Elle lui fit un sourire triste avant de remonter les échelons.
Son double refus l’emplissait d’un sentiment de culpabilité désagréable. À
défaut de fuir son émotion, elle dut se contenter de s’éloigner de celui qui en
était la source.
Elle repartit pour La Cité sur-le-champ.
dimanche 3 avril 2011
Le Noeud Gordien, épisode 164 : Catacombes, 3e partie
Édouard n’eut pas le luxe de pouvoir répondre aux
accusations. L’épée à la main, Aleksi s’approcha de lui d’un pas lent,
délibéré. Édouard aurait voulu fuir – mieux encore, il aurait voulu avoir déjà
fui – mais la poigne solide de Hoshmand interdisait tout mouvement brusque. Il
cessa de respirer lorsqu’il sentit la pointe d’acier froid toucher sa peau. Il
avait la désagréable certitude qu’un rien suffirait pour qu’elle la transperce;
il ne voulait pas tenter de reculer… Et si Hoshmand réagissait trop vivement et
le blessait en le repoussant en avant?
« Prends la lame », ordonna Aleksi. Surpris qu’on
lui tende une arme alors qu’il craignait qu’on s’en serve contre lui, Édouard
obtempéra. Aleksi relâcha graduellement la poignée, forçant Édouard à trouver
une manière d’en assumer le poids sans blesser ses mains… Il devinait qu’on ne
le laisserait pas déposer l’épée, qu’on s’attendait plutôt qu’il la maintienne
parallèle au sol… À sa gauche, Hoshmand relâcha prudemment son emprise pour
venir poser la pointe de sa propre épée contre la gorge d’Édouard. À sa droite,
l’autre individu vêtu de violet se positionna pareillement. Il aurait suffi
d’un faux mouvement de cinq millimètres pour qu’Édouard se retrouve égorgé ou
les doigts tranchés… Même déglutir devenait un exercice de minutie. Une grosse
goutte de sueur roula de son front jusqu’à ses sourcils. Il n’osa pas
l’éponger. Faites qu’elle ne coule pas
jusqu’à mes yeux, se dit-il sans trop savoir à qui adresser cette prière
muette.
Aleksi recula de deux pas. Les épaules d’Édouard se crispaient
et se tendaient déjà sous l’effort de maintenir la lame en position. Et la
frayeur de ne pas réussir.
« L’arme protège celui qui la possède en menaçant ses
ennemis. Mais l’arme peut blesser celui qui ne sait pas en faire bon usage.
Même celui qui sait la tenir peut menacer ou blesser les siens, sciemment ou
accidentellement. Comprends-tu le danger que représentent les armes?
Comprends-tu la responsabilité de ceux qui les portent?
Édouard fit le mouvement de tête des plus infimes pour
signifier sa compréhension sans déranger son équilibre précaire.
« Comprends-tu la responsabilité de celui qui choisit
qui sera armé? »
Édouard répéta le mouvement. La sueur dans son sourcil
menaçait de reprendre sa coulée.
« Nos secrets sont comme des armes. Je suis de ceux qui
veillent à ce qu’ils demeurent entre bonnes mains. Tu as tenté de t’approprier
nos secrets sans y être autorisé. Il est de mon devoir de faire disparaître
cette menace. »
Édouard eut un tressaillement; la pointe de l’une des lames
s’enfonça assez pour qu’il craigne que le sang ne se mette à couler. Il cessa
de respirer jusqu’à ce qu’il soit certain du contraire.
« Nous pourrions te tuer. Ta vie ne vaut rien. »
Paradoxalement, le conditionnel rassura un peu Édouard. S’ils avaient voulu me tuer, ils ne m’expliqueraient pas tout ça…
« Nous pourrions te faire oublier tout ce que tu as découvert… »
La gorge d’Édouard se resserra. La découverte que le signal de son téléphone ne
se rendait pas jusqu’ici l’avait désespéré au point d’oublier de démarrer l’enregistrement…
S’ils effaçaient ses souvenirs, cette fois, ce serait pour de bon.
« …Mais tu as su nous déjouer déjà une fois. Cette…
prouesse me fait croire que tu mérites peut-être de devenir l’un des
nôtres! »
Édouard ressentit un retrait infinitésimal des lames.
Hoshmand et l’autre avaient joué leur rôle : c’était bel et bien une
initiation. Il était fréquent pour les sociétés secrètes de confronter leurs
postulants à leurs peurs ou à leur mortalité – parfois les deux.
Aleksi continua d’un ton sévère. « Préserver nos
secrets pour les transmettre à ceux qui sont dignes de les recevoir est l’un de
nos principes primordiaux. Un autre principe est l’obéissance aux supérieurs.
Si tu veux connaître nos secrets, c’est sous ma tutelle que tu apprendras à
respecter nos lois. Je serai responsable de ton cheminement, en échange de quoi
tu devras te soumettre à mon autorité. Te voilà à la croisée des chemins,
Édouard Gauss. Lequel choisis-tu? »
Édouard ne savait pas quelle réponse précise était attendue
de lui. Il alla donc directement au cœur de ses intentions : « Je
veux savoir. »
Aleksi reprit son épée, mais le soulagement d’Édouard fut de
courte durée. « Lève-toi. Déshabille-toi. » Il lui fallut un instant
pour se ressaisir et obéir. Il n’hésita pas au moment d’enlever son
sous-vêtement. Son érection s’était brièvement estompée pendant que les pointes
menaçaient son cou, mais elle était revenue en force dès qu’il avait compris
qu’il s’agissait d’une menace plus symbolique et cérémoniale que réelle. Il
n’avait jamais pensé qu’il portait la moindre fibre exhibitionniste, mais son
excitation rendait sa nudité stimulante plutôt que gênante ou désagréable…
Est-ce que son état avait éveillé une facette de lui qu’il ignorait ou
l’avait-il carrément créée? Resterait-elle une fois qu’il en serait débarrassé?
Celui des participants qui ne portait qu’une toge blanche
s’avança pour tendre à Aleksi un petit paquet qu’il offrit à son tour à Édouard
d’un geste solennel. Il s’agissait d’une toge blanche soigneusement pliée
qu’Édouard enfila aussitôt. Aleksi découvrit son visage encapuchonné avant de
déclarer : « Édouard Gauss, novice d’Eleftherios Avramopoulos! »
Tous accueillirent l’annonce en applaudissant ou en frappant le sol de leur
bâton. Aleksi-Eleftherios embrassa Édouard sur les deux joues. Édouard se
laissa gagner par la bonne humeur ambiante, galvanisé par son initiation – son infiltration – réussie… Il s’attendait à
ce que les autres initiés révèlent leur visage à leur tour et satisfassent sa
curiosité de savoir qui se trouvait derrière ces capuchons… Mais tous sauf
Aleksi et Hoshmand sortirent sans rajouter un mot. Aleksi lui dit alors :
« Souviens-toi qu’aujourd’hui, j’aurais pu te tuer. Une faveur pour une
vie : tu as désormais une dette envers moi. » Il laissa flotter
quelques instants de silence, comme pour souligner le sérieux de son
affirmation. Lorsqu’il jugea qu’Édouard avait bien pesé le sens de son
affirmation, il ajouta à l’intention de Hoshmand : « Ramène M. Gauss
à sa chambre. »
La panique déferla sur Édouard comme un raz-de-marée :
on n’avait pas prévu le laisser repartir tout de suite. Hoshmand se mit à le
diriger fermement hors de la pièce; Édouard était peut-être le plus grand des
deux, mais il ne doutait pas que l’autre était le plus fort. Affolé, il allait
demander combien de temps on comptait le séquestrer quand une préoccupation
encore plus pressante s’imposa à lui : « Mais j’en peux plus
d’être excité! Aide-moi! Je vais virer fou! »
Avec un sourire large et malicieux, Aleksi répondit :
« Tu peux avoir le remède quand tu veux…
— Qu’est-ce que c’est? Donne-le-moi!
— Rien de plus facile… C’est mon sperme. Tu le veux? Viens
chercher! »
Édouard demeura stupéfié. Après quelques secondes, voyant
qu’il n’allait pas vers lui, Aleksi fit un mouvement à Hoshmand qui tira hors
de la salle de cérémonie un Édouard encore pétrifié.
vendredi 1 avril 2011
Changement de cap
Depuis quelques semaines, j'ai de la difficulté à voir où va le Noeud Gordien, et après deux étés à travailler sur Mythologies sans le finir (à quoi bon travailler si ça n'aboutit pas?), je pense qu'il serait peut-être mieux que je change de cap pour le futur.
À partir de dimanche prochain, le Noeud sera remplacé par une série de fanfictions situées dans le monde de Twilight. Ne manquez surtout pas ça!
À partir de dimanche prochain, le Noeud sera remplacé par une série de fanfictions situées dans le monde de Twilight. Ne manquez surtout pas ça!
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