dimanche 25 décembre 2011

L'an quatre: un bilan

L'année qui s'achève a été, sans l'ombre d'un doute, ma meilleure à vie en ce qui a trait à l'écriture.

D'abord et avant tout, j'ai mis le point final à un premier "vrai" roman - j'utilise les guillemets parce que j'ai déjà écrit des livres auparavant, mais en toute sincérité, ils n'avaient rien pour se distinguer... Voyons voir d'où je viens pour mieux comprendre qui je suis.

Il y a dix ans, j'étais déjà un écrivain du dimanche, mais d'une toute autre façon... À l'époque, je visais le volume. Une fois par semaine, je m'asseyais devant mon clavier et je n'arrêtais qu'après avoir rempli dix pages. Chaque fois, je fonçais en avant, sans prendre le temps de me relire. Considérant que je travaillais presque sans plan, je courais au désastre; après 565 pages, j'ai frappé un mur. Un gros mur. Je ne savais plus où aller pour la suite du récit - les pistes que j'avais en tête impliquaient de revoir de grands pans de ce que j'avais déjà écrit. Les changements à faire étaient si importants que parler de réécriture aurait été plus juste... J'ai donc abandonné plutôt que tout recommencer

Je dirais que le Noeud Gordien est aux antipodes de feu ce projet. J'y vois un signe clair du chemin que j'ai parcouru depuis. Le Noeud est un magnifique  exercice de constance et de production continue, un peu comme en entraînement en fait. Le but n'est pas de sortir X pages coûte que coûte; l'idée est davantage de créer quelque chose d'abouti, quelque chose que je dois peaufiner vu que je me compromets en le publiant chaque semaine. Il ne s'agit que d'une à trois pages, mais en construisant un petit peu chaque semaine, j'ai fini par accumuler beaucoup (353 pages à interligne 1,15, pour être exact). Cette fois, tout est déjà revu et corrigé (et heureusement, je sais assez où je m'en vais pour esquiver les murs jusqu'à présent!).

C'est dans ce nouveau cadre de travail que l'essentiel de Mythologies a été écrit (ceux qui seraient intéressés à voir ou revoir les grandes étapes traversées peuvent cliquer ici). L'enjeu de l'été prochain sera de le soumettre au même traitement que le Noeud Gordien - et plusAutrement dit, je devrai Polir jusqu'à ce que ce soit brillant, comme je l'ai écrit dans un billet précédent. Je crois pouvoir réussir... [c'est le moment de faire jouer la chanson de Rocky III] Je VAIS réussir!!

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Au début de cette année, je soutenais encore qu'il est moins intéressant d'écrire que d'avoir écrit. Par cela, je voulais dire que le vrai plaisir n'était pas d'aligner des mots, de se débattre avec une page blanche, de peaufiner mille et une fois ce qu'on a enfin fait sortir. Non, je croyais que le vrai plaisir était d'avoir réussi à passer à travers tout le processus et avoir quelque chose de concret entre les mains.

Les choses se sont mises à changer il y a un moment déjà, mais c'est cette année que j'ai réalisé à quel point mon plaisir d'écrire allait en grandissant. Ceci ne peut qu'être de bon augure pour le futur... C'est sans doute l'une des raisons qui ont fait de 2011 ma meilleure année à date. Il y a également l'impression d'avoir vécu deux moments magiques de création durant l'année. Le premier a eu lieu durant la rédaction du dernier quart de Mythologies. Mon protagoniste a pris vie et m'a surpris plusieurs fois alors que je découvrais/écrivais son histoire... Le second "moment" s'est en fait échelonné sur presque trois mois. Il s'agit de la série Les disciples (épisodes 178 à 189 du Noeud Gordien... Je réalise à l'instant que ces deux moments magiques ont eu lieu pratiquement en même temps!). Ici encore, c'est comme si les actions des protagonistes façonnaient à ma place certaines facettes de mon univers. Cet étrange sentiment de créer quelque chose à partir de soi tout en ayant l'impression que cette chose nous dépasse est à la fois fascinant et délicieux. Comment ne pas aimer le processus lorsqu'il nous fait vivre ce genre d'expériences inattendues?

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Début décembre, je copiais cette citation sur Facebook:

“Don’t quit. It’s very easy to quit during the first 10 years. Nobody cares whether you write or not, and it’s very hard to write when nobody cares one way or the other. You can’t get fired if you don’t write, and most of the time you don’t get rewarded if you do. But don’t quit.” —Andre Dubus

C'est tellement vrai... Quoique le caractère public du Noeud Gordien m'aide à ce chapitre. Au milieu de la majorité silencieuse, j'ai la chance d'avoir quelques lecteurs qui m'encouragent explicitement - soit en me faisant remarquer les inévitables coquilles qui se glissent dans mes textes publiés, soit en cliquant Intéressant ou Passionnant à la suite de mes parutions sur le blog. Ces petites marques d'appréciation pèsent plus que vous ne pourriez le croire - si une mention Passionnant peut faire ma journée, imaginez un commentaire ou un courriel!

Somme toutes, je ne suis pas prêt de m'arrêter alors que je découvre de plus en plus le plaisir d'écrire - et que je me découvre davantage à travers le processus; j'espère continuer à intéresser plusieurs personnes à ma démarche, j'espère que ceux qui s'y intéressent commenceront à me lire, et j'espère que ceux qui me lisent continueront de le faire!

Merci à vous tous et joyeux Noël!

Nous défoncerons l'année ensemble dans une semaine: le premier jour de 2012 est aussi un dimanche!

PS: si jamais vous n'avez pas encore commencé le Noeud Gordien, la série Les disciples mentionnée précédemment peut être une bonne façon d'y goûter (pour continuer avec l'épisode 1 si désiré). Soyez toutefois avertis, elle contient des éléments qui ne sont pas introduits avant un bon moment si vous suivez la trame d'origine. Vous m'en donnerez des nouvelles!

dimanche 11 décembre 2011

Le Noeud Gordien, épisode 200 : Le puzzle

Le col déboutonné, les manches roulées, Gordon savourait ce rare moment oisif. Il l’avait bien mérité après toutes ces heures à préparer la dernière fournée du composite O. La demande croissait encore : pour beaucoup de citadins, l’habitude de consommation était maintenant bien ancrée. Espinosa et ses sbires engrangeaient des fortunes; son monopole avait cimenté l’accalmie après la guerre des gangs. Les autres groupes étaient moins intéressés à défier les vainqueurs qu’à profiter de la manne Orgasmik.
La disposition du fauteuil où Gordon était avachi permettait d’embrasser du regard le Nœud qui couvrait le mur d’en face. Les positions des fils et des clous avait beaucoup changé durant la dernière année, mais malgré les surprises, malgré les imprévus, Gordon continuait de se rapprocher de son objectif final.
La télévision muette dans un coin afficha l’image d’une jolie blonde que Gordon reconnut instantanément : Jasmine Beausoleil, rattachée dans le Nœud au clou d’Édouard Gauss. Celui-ci avait bien raison de la désirer : avec ses longs cheveux bouclés, ses yeux de biche et son sourire sincère, elle représentait un certain idéal de féminité auquel peu d’hommes devaient rester indifférents. Par quelque hasard – plus probablement une manifestation synchrone – elle interviewait nul autre que Derek Virkkunen; Gordon monta le volume.
L’artiste discutait de son coup de foudre pour le Centre-Sud et des raisons qui l’avaient conduit à s’y installer. Il s’agissait clairement une manœuvre d’Avramopoulos pour réussir son défi de Joute. Celle-ci ne porterait pas fruit instantanément, mais Gordon entrevoyait bien la suite : à partir de cette modeste ouverture, Avramopoulos avancerait son pion, Guido Fusco, pour piloter des projets immobiliers offrant un certain cachet à prix raisonnable, capable d’attirer d’autres artistes (ou pseudo-artistes), mais surtout ces jeunes professionnels prêts à accéder à la propriété, à la fois incapables de se payer une résidence du Centre et réticents à s’établir en banlieue. Quelques courageux entrepreneurs iraient ensuite profiter de l’opportunité d’un relatif monopole dans le désert commercial du quartier –  leur famille devait bien loger quelque part, ce qui amènerait dans le quartier des investisseurs pour acheter, revitaliser et louer des appartements… Et cætera. Si Avramopoulos jouait bien ses cartes, il était envisageable que d’ici quelques mois, Gordon juge le défi relevé.
Sans le savoir, son ancien maître lui fournirait ainsi l’une des dernières pièces du puzzle qu’on lui avait soumis un siècle auparavant. Voici ce qu’il faut que tu saches : pour me revoir, tu devras faire l’impensable, et qu’on fasse pour toi deux fois l’impossible. Mes deux cadeaux te montreront le chemin
Gordon avait vu l’impossible s’accomplir au moins deux fois cette année. Premièrement, les impressions de par le monde s’étaient mises à présenter des comportements originaux. Cette nouveauté venait chambouler tout ce qu’on avait cru savoir sur le sujet. Deuxièmement, Avramopoulos avait, par quelque moyen, réussi à retrouver la jeunesse. Gordon était absolument convaincu qu’il ne s’agissait pas d’une cure de jouvence mais bien un nouveau corps. L’avait-il créé? L’avait-il… emprunté? Comment? Dans un cas comme dans l’autre, c’était du jamais vu. Ce secret représentait la toute dernière pièce manquante.
Gordon savait comment ces deux éléments pouvaient être combinés pour servir son objectif; c’est là qu’Édouard Gauss entrerait en jeu pour lui permettre d’accomplir l’impensable.
Mais d’abord, le Centre-Sud devait être repeuplé. Et surtout, la consommation du composite O devait continuer de croître. Contrairement à ses alliés criminels, l’importance était plus le nombre d’usagers que la quantité vendue.
D’ici six mois, un an peut-être, Gordon allait peut-être enfin s’affranchir de son quotidien terne pour redécouvrir le plaisir, le vrai, celui qu’il désirait encore plus que tout cent ans après l’avoir connu quelques secondes à peine.
D’ici six mois, un an peut-être, Gordon reverrait enfin Romuald Harré.  

dimanche 4 décembre 2011

Le Noeud Gordien, épisode 199 : Effraction

Elles étaient deux, une grande et une petite, et elles connaissaient bien chaque racoin du quartier. Une fois arrivée à leur objectif, il leur fut facile de se soustraire aux regards des voisins. Les gens du coin valorisaient leur intimité; des grandes clôtures et des haies encerclaient tous les terrains des environs.
La clôture menant à l’arrière de la maison était conçue pour recevoir un cadenas, mais elle n’en portait pas présentement. Satisfaites de ne pas avoir à sauter la clôture – geste pour le moins louche! – elles firent jouer le loquet et se faufilèrent jusqu’à la cour arrière.
Aucun meuble ne s’y trouvait, sinon une vieille balançoire métallique dans le coin le plus éloigné. C’était un signe supplémentaire que personne n’habitait ici. La plus grande était venue inspecter la maison deux fois précédemment; elle n’y avait trouvé aucun signe d’occupation : aucune voiture dans le stationnement, les mêmes lumières toujours allumées, mais surtout – sacrilège pour la rue Hill! – un parterre envahi par les mauvaises herbes à travers lesquelles quelques fleurs tentaient de percer.
La plus grande tenta de faire coulisser la porte arrière, toute vitrée; même si elle semblait verrouillée de l’intérieur, elle insista en espérant peut-être qu’elle cède après quelques essais. Pendant ce temps, ne sachant trop que faire, la petite alla s’asseoir sur la balançoire. La charnière grinça si fort que la grande sursauta. « Débarque de là! Viens ici! », dit-elle à la petite qui tressauta à son tour.
Les deux scrutèrent l’intérieur; la grande y trouva une confirmation supplémentaire que l’endroit demeurait inhabité. La maison avait été vidée de ses meubles; les murs n’avaient pas été repeints. On pouvait encore des rectangles plus foncés là où des tableaux avaient été accrochés. « On va essayer de rentrer par la cave », dit la grande. Va essayer ces fenêtres-là. 
— J’aime pas ça », dit la petite.
« T’avais juste à pas venir alors… »
La petite obéit finalement, non sans quelques hésitations. Elles testèrent tour à tour les fenêtres donnant sur le sous-sol sans en trouver une cédant devant leurs efforts.
Dépitée, la grande donna un coup de pied dans une fenêtre, puis un autre, mais celle-ci tint bon. « Trouve une grosse roche », dit-elle finalement. La petite en trouva une qu’elle avait aperçue en cherchant une fenêtre à forcer. Elle l’amena à la grande qui la lança contre une vitre. La pierre eut un meilleur effet que le pied : elle éclata en mille morceaux.
« On a juste une minute pour arrêter le système d’alarme », dit la grande sans savoir si la marche à suivre était la même en passant par la porte qu’en brisant une fenêtre. Elle finit de casser les tessons qui saillaient encore du châssis. Elle se mit à plat ventre et se laissa glisser jusqu’à terre.
« Ouch!
—  Tu t’es fait mal?
— Je me suis coupée… Je reviens! » Elle courut jusqu’au terminal à côté de la porte du garage. Elle n’eut pas à désarmer le système; elle trouva le voyant d’activation éteint, comme tous les autres par ailleurs. Elle n’eut donc pas à s’inquiéter qu’on en ait changé le code.
Soulagée, Alice Gauss remonta rejoindre sa sœur Jessica.
Chemin faisant, elle examina sa plaie; l’égratignure de sa paume était longue mais peu profonde. Il ne restait déjà presque plus rien de la douleur initiale; le saignement s’arrêterait bientôt à son tour. Malheureusement, elle avait taché ses vêtements… Il lui faudrait les cacher à sa mère.
Alice ouvrit la porte et les filles purent finalement entrer dans leur maison.
« T’avais dit que Papa serait là!
— J’ai dit qu’il serait peut-être là, grosse conne! » Alice savait qu’évidemment, son père ne se cachait pas dans leur ancienne maison : il leur avait expliqué qu’il allait passer quelques mois à New York. Une petite part d’elle avait toutefois espéré, sans regard aux probabilités… mais la réalité impitoyable avait maintenant pulvérisé son espoir secret.
« Là, qu’est-ce qu’on fait? », demanda Jessica. Alice réalisa qu’elle n’avait conçu aucune intention advenant le fait qu’elles réussissent leur entrée par effraction.
« On va faire le tour », répondit-elle sur le ton de celle qui sait ce qu’elle fait.
Elles trouvèrent des traces d’occupation dans le salon, au pied de l’escalier. Jessica ne s’y attarda pas; elle courut à l’étage en direction de son ancienne chambre. Alice préféra fouiller le campement de fortune.
Elle n’y trouva pas grand-chose : une glacière électrique à moitié remplie de produits périmés depuis des semaines, un sac de linge sale et un sac à poubelles vert rempli de vaisselle jetable jusqu’à en déborder. Une forêt de bouteilles reposait à la tête du lit; Alice farfouilla en en débouchant certaines… Les unes sentaient l’alcool à friction, les autres empestaient le vinaigre. Certaines, les deux.
Elle trouva deux bouteilles de vin scellées et un tire-bouchon juste à côté… Elle décida d’en ouvrir une.
Elle se débattait encore avec le bouchon lorsque Jessica dévala les marches. « Viens voir ça! »
Alice déposa la bouteille et monta à son tour. Elle nota au passage que sa chambre demeurait vide de tout sinon des moutons de poussière; Jessica la conduisit jusqu’à la chambre des maîtres. Elle était tout aussi vide que le reste. « Quoi? 
— Là, viens voir… » Jessica entra dans la garde-robe. Alice découvrit à son tour qu’on avait installé une table ronde dans le walk-in. Plus étrange encore, elle supportait une cloche de verre gravée de symboles illisibles, à moitié remplie d’une poudre brun-grisâtre.
Jessica demanda : « Qu’est-ce que c’est? »
Alice n’en avait pas la moindre idée. Alors qu’elles examinaient le curieux objet, elle remarqua un mouvement à peine perceptible, comme si quelqu’un avait soufflé délicatement sur la poudre. « T’as vu?
— Quoi?
— Ça a bougé… »
Alice prit l’objet de ses deux mains pour l’étudier de plus près. Lorsque sa paume ensanglantée toucha la cloche, la poudre vint s’y coller avec une soudaineté telle qu’elle sursauta et l’échappa sur la table. La mince cloche se fendit sous l’impact.
« Je veux m’en aller », dit Jessica sur un ton plaintif.
Alice ne répondit pas tout de suite, en proie à une sensation inédite. Malgré que les filles fussent seules, Alice ressentait une présence aussi indéniable que si quelqu’un s’était tenu devant elles. Une présence près d’elle, autour d’elle… en elle. L’impression fugace laissa la place à des sentiments de dégoût, de peur, d’inconfort et d’impuissance.
Soudainement, Alice détala comme si sa vie en dépendait, sans même se soucier de sa sœur qui lui criait de l’attendre. Elle voulait plus que tout fuir cette cloche, cette pièce, cette maison, ces émotions qui la bouleversaient… Mais certaines choses sont plus difficiles à laisser derrière.