dimanche 25 avril 2010

Le Noeud Gordien, Épisode 117 : Libération conditionnelle

C’est aujourd’hui que Philippe Gauss retrouvait la liberté.
Les quelques mois qu’il avait passés derrière les barreaux lui avaient paru éternels. Dans sa vie d’homme libre, il tendait à éviter les superficialités de la vie en société; en prison, il n’avait guère le choix de côtoyer ses compagnons d’infortune sans savoir lesquels s’avéraient à la solde de ses ennemis ou prêts à collaborer avec eux. Qu’ils le fussent ou non, Philippe n’avait rien en commun avec ces gens-là, batteurs de femmes, receleurs, récidivistes au volant et autres bandits à cravate… Il était plus facile de ne pas s’approcher d’eux que d’empêcher qu’ils le fassent; plusieurs n’avaient pas été découragés par la fermeture de Philippe aux conversations; certains comprenaient plutôt que l’espace que Philippe désinvestissait leur appartenait! Combien d’heures de blabla vide avait-il eu à encaisser depuis sa condamnation?
La question de la nourriture pesait encore davantage sur ses nerfs. Cette bouffe de cafétéria n’aurait jamais été appétissante, mais plus encore, Philippe ne disposait d’aucune façon de contrôler sa provenance ou sa composition. Aux repas, il examinait soigneusement chaque élément de son assiette, jamais convaincu de leur innocuité. Il fallait bien manger; il grignotait les fruits et les légumes lorsqu’il décidait que leur apparence, leur goût et leur odeur correspondaient parfaitement à ses attentes – en d’autres termes, lorsqu’il avait assez de raisons de croire qu’ils n’étaient pas empoisonnés. Les premiers jours, il avait échangé à la sauvette des plats avec ses voisins de table sans que ceux-ci ne le remarquent. Un « Qu’est-ce que tu fais-là, toé? » courroucé une fois où il s’était presque fait prendre avait mis fin à cette tactique. De toute manière, il savait à quel point ses ennemis étaient déterminés. Le jour où ils décideraient de l’empoisonner, ils ne reculeraient pas devant quelques dizaines de victimes, dommages collatéraux de leur grande victoire.
Alors qu’il comptait les jours de sa dernière semaine, il lui avait été facile d’imaginer qu’un autre mois dans ces conditions lui aurait fait perdre la tête… Il prévoyait redoubler de prudence afin de n’y jamais retourner. Maintenant que son nom était associé à un casier judiciaire, il ne pouvait plus espérer la clémence des tribunaux.
Son incarcération avait déjà bien assez nui à ses affaires. Plusieurs partenaires – exportateurs, distributeurs, fournisseurs – s’étaient détournés de lui lorsque l’affaire avait éclaté. Sa réticence à déléguer avait empiré les choses… Mais de son point de vue, c’était un moindre mal. Malgré ces difficultés, son entreprise demeurait sous son contrôle entier; si son propre fils pouvait le trahir, comment aurait-il pu s’assurer qu’un bras droit ne préfère pas l’appât du gain à la loyauté?
Les minutes entre son réveil et sa mise en liberté s’égrenèrent  trop lentement, mais on vint finalement le chercher pour compléter les formalités administratives et lui remettre ses effets personnels. On le reconduisit à la sortie après qu’il eut refusé qu’on lui appelle un taxi. Un homme en noir aux muscles impressionnants l’y attendait. Philippe sortit d’un pas décidé de l’établissement correctionnel en reconnaissant facilement sa voiture : c’était la seule limousine dans le stationnement.
Son fidèle Jacques lui ouvrit la porte et il prit place à l’arrière du véhicule en savourant les textures et les odeurs familières. « Monsieur? », demanda Jacques. « Au marché Saint-Simon », dit Philippe. Il n’avait jamais été enclin à la cuisine, mais il rêvait depuis un moment déjà à un festin entièrement composé de produits frais choisis de sa main, qu’il ne perdrait pas de vue entre leur achat et leur consommation…
« Ensuite, nous irons à la boucherie… et cette épicerie fine sur la 8e rue Ouest, comment elle s’appelle déjà… »
Philippe n’eut pas le temps de finir sa phrase. Alors que la limousine s’engageait à une intersection, une autre voiture brûla un feu rouge pour la percuter à toute allure. L’impact fut si fort qu’elle tourna à 180 degrés; la voiture derrière celle de Philippe s’arrêta de justesse. Un homme cagoulé sortit de l’autre véhicule et fit feu sur la limousine en visant manifestement la zone passagère. Jacques avait été sonné par la soudaineté de l’impact; avant qu’il n’ait pu ouvrir la portière froissée par la collision, l’assaillant avait déjà pris la fuite.
Philippe était confus, recroquevillé en position fœtale au bas de son siège. Il sentait quelque chose d’humide couler de sa tempe. Chaque cellule de son corps battait douloureusement au rythme de son cœur. Sa voiture était conçue pour résister aux balles de la plupart des armes de poing, mais ces détails techniques importaient peu dans l’état de terreur qu’il ressentait présentement. Le souffle court, la poitrine comprimée, tout tremblotant, il croyait son heure venue; une seule pensée sans mot s’imposa à lui : le pire était encore à venir, ses ennemis étaient passés à l’action. Il était un homme mort.

jeudi 22 avril 2010

Mes prévisions pour la finale de Lost

Vous pouvez les lire à cette adresse. Si vous ne connaissez pas Lost, n'y allez pas: vous ne reconnaîtrez rien de ce que mets de l'avant. Et ça risque de gâcher le plaisir de découvrir les choses à mesure si vous l'écoutez un jour.

Est-ce que Lost sera la meilleure série de tous les temps? Il ne reste que 3 épisodes avant de le découvrir!

mercredi 21 avril 2010

Eurêka! (probablement)

Je pense que je viens de mettre le doigt sur une solution à mon problème, après avoir jonglé avec plusieurs résolutions possibles... Je dis (probablement) parce qu'il reste à voir comment cette idée pourra être transposée concrètement. Il n'est pas impossible que le processus mette en évidence quelque problème que je n'avais pas encore considéré...

Mon dilemme reste quasiment entier, cela dit... Est-ce que je continue mon projet déjà entamé et je le finis coûte que coûte, considérant que pour en venir à un style "mythologique" je doive littéralement remettre mon travail 100 fois sur le métier jusqu'à ce que je ne puisse plus en changer une virgule (le 1er tiers est de loin le texte que j'ai le plus peaufiné de ma vie; le deuxième ne s'en rapproche pas encore!), tenant compte du fait que je n'ai pas de grandes attentes pour qu'il finisse en publication...  Ou je me lance dans ce nouveau projet que j'ai déjà au bout des doigts qui m'apparaît davantage "publiable"?

La vraie bonne réponse est de faire les deux, bien entendu. Mais dans quel ordre?

I was working on the proof of one of my poems all the morning, and took out a comma. In the afternoon I put it back again.  - Oscar Wilde

dimanche 18 avril 2010

Épisode 116 : Félicia en cinq temps, 5e partie

Le rêve de Félicia était d’autant plus étrange qu’elle rêvait rarement.
Elle était debout sur un piédestal, vêtue d’une toge de la même trempe que celle des maîtres, mais blanche plutôt que pourpre. Derrière elle se trouvait une silhouette noire qui tenait une couronne de laurier au-dessus de son front. Devant elle, seize épées étaient disposées en un demi-cercle, toutes pointant vers le piédestal. Au loin, elle voyait une foule compacte qui s’étendait d’un horizon à l’autre. Elle savait que la foule était là pour elle. Au premier rang se tenait Frank Batakovic, le visage souriant et paisible. Instinctivement, elle sut alors que la foule infinie était composée de tous les morts de l’histoire humaine. Elle chercha des yeux ses parents; elle les trouva même s’ils portaient des visages différents de ceux du temps de leur vivant. Frank fit un mouvement vers la foule et tous s’agenouillèrent puis portèrent leur front à terre. Il lui tendit la main, mais plutôt que la prendre, Félicia dirigea son attention vers le sol.
Une nouvelle épée était apparue, posée en travers des autres. Elle la prit pour réaliser qu’elle laissait des traces sur ses mains. Elle lécha un doigt pour découvrir que la dix-septième épée était de chocolat. Dès qu’elle y eut goûté, l’arme s’anima soudainement pour lui transpercer le bassin. Sans transition, sa perspective changea : c’était maintenant elle qui tenait les lauriers au-dessus du front d’un homme qui portait le visage de son père mais qui n’était pas lui. Le cri d’un corbeau retentit.
Elle se réveilla en sursaut : elle n’avait pas rêvé ce cri, c’est lui qui l’avait tirée du sommeil. Quelque part à l’extérieur, l’oiseau continuait son croassement. L’horloge indiquait 7:06; le Soleil d’hiver ne se montrait pas encore à cette heure. Elle alluma sa lampe de chevet, se frotta les yeux et lissa ses cheveux. Au moins un élément du rêve pouvait s’expliquer facilement : avant de dormir, elle avait mangé plusieurs de ces excellents chocolats que Jean Smith lui donnait continuellement. Sans doute qu’ils lui avaient rendu la digestion difficile et le sommeil fiévreux – cette épée de chocolat qui lui perçait le ventre.
Ses professeurs avaient été surpris de découvrir que malgré son talent prodigieux, Félicia ne maîtrisait pas mieux le créneau onirique que n’importe quel autre initié. C’était surprenant parce que ceux qui progressaient dans l’application de leurs traditions en venaient à percevoir les choses et les gens avec une acuité grandissante; cette lucidité exceptionnelle s’exprimait souvent à travers les rêves, lorsque la voix de la raison consciente était assoupie. Polkinghorne lui avait dit un jour que certains croyaient même que des rêves alludaient parfois au futur; leur message flou, souvent incomplet ou symbolique, ne permettait cependant pas de reconnaître leur caractère prémonitoire avant que les événements prédits fussent passés. Prophétiques ou non, ces rêves demeuraient assez rares pour que leur nature soit controversée même chez les initiés. Les sceptiques soulignaient que ces soi-disant prémonitions n’étaient qu’une autre facette de l’acuité du rêveur qui, libéré des chaînes de l’éveil, pouvait se projeter à travers tant de possibles qu’il n’était guère surprenant que certains correspondent par quelque coïncidence aux événements réels… Cela n’empêchait ni les croyants ni les sceptiques d’étudier attentivement les images et les histoires qui surgissaient la nuit.
Comme Félicia ne rêvait que rarement, elle n’avait jamais vraiment pris position dans le débat. Confrontée à ce rêve haut en couleur, Félicia en ressortait évidemment intriguée…
Au premier niveau, elle reconnaissait plusieurs de ses préoccupations courantes… Ses recherches portaient sur les morts et leur pérennité; son incroyable découverte lui ferait bientôt gravir un échelon de plus, lui permettrait de porter le pourpre de l’élève-adepte et de se mettre en quête des éléments de la panoplie rituelle qu’elle ne pourrait obtenir que de l’un des Seize… l’anneau, la coupe, le bâton et l’épée. Seize épées plus une.
Elle entrevoyait néanmoins quelque chose derrière le contenu manifeste, un message sous le message… Elle comptait en discuter avec son maître, mais en attendant, elle chercherait en méditant là-dessus…
Encore à jeun, elle entreprit son rituel matinal pour se maintenir à la fine pointe de son évolution spirituelle. Elle s’assit ensuite dans la position du lotus – qu’elle avait finalement conquise au prix de moult efforts – et spontanément, son vieux mantra lui vint aux lèvres.
Elle en avait d’abord été embarrassée… N’était-ce pas l’indice de son égocentrisme, de sa vanité adolescente? Cependant, quiconque a déjà médité sur un mantra sait que les mots répétés indéfiniment en viennent à perdre leur sens pour ne devenir que des bruits qui eux-mêmes perdent éventuellement leur réalité… Alors qu’à l’origine, les trois pronoms la ramenaient à elle, à mesure qu’ils devenaient des non-sens, elle en vint à se distancier de son individualité, de sa personnalité, de tout ce qui était elle… Jusqu'à ce qu’il ne reste, vingt mois plus tard, qu’une non-personne marmonnant des non-mots.
Paradoxalement, les syllabes qui avaient émergé du cœur de son égo l’avaient conduite à le transcender. La boucle avait été bouclée; ce jour-là, elle s’était départie de son mantra pour en revenir à méditer sur la réalité la plus fondamentale de son existence : sa respiration.
Aujourd’hui, elle voulait plonger en elle-même pour trouver la signification de cette mise en scène offerte par son inconscient; était-ce son inconscient qui lui suggérait cette clé? Elle la saisit sans plus de réflexions et se mit à répéter son mantra.
Sa respiration, déjà lente, se ralentit davantage. Le temps se mit à fondre jusqu’à ce que les minutes, les heures, les jours et les années parussent des inventions de l’esprit. Elle se dirigea tout entière vers elle-même, vers le gouffre insondable qui mène aux profondeurs les plus secrètes de chaque humain…
Elle ouvrit soudainement les yeux, choquée par une réalisation à la fois inattendue mais incontournable maintenant qu’elle avait émergé. Sa méditation l’avait conduite dans une direction imprévue… Elle s’était mise à penser à sa relation avec son maître, son amoureux… Sur fond de JE-ME-MOI.
Elle s’exclama : « C’est pas moi, ça! »
Elle venait de comprendre qu’elle n’avait ressenti absolument aucun désir sexuel depuis des semaines, sans s’en inquiéter outre mesure. Comment avait-elle pu ne pas le remarquer?

mercredi 14 avril 2010

...et une précision!

Je ne suis pas dans un cul-de-sac dont il serait impossible de sortir. En fait, je ne me suis même pas assis pendant quelques heures pour tenter de démêler ce qui me pose problème. Mon billet précédent met plutôt de l'avant la tentation de ne pas le faire, d'attendre que le dénouement fleurisse plutôt qu'y travailler à l'arrachée... La réflexion ne se pose pas moins!

mardi 13 avril 2010

Mauvaise passe, impasse, je passe?

Mon travail sur Mythologies n'avance pas.
Jusqu'à présent, ça allait bien... C'était une réécriture plus qu'une révision, mais on ne s'en sauve pas lorsqu'on veut travailler un texte pour le polir à en faire disparaître les imperfections.
Le problème auquel je fais face maintenant est plus difficile: il est logé dans la trame de l'histoire. À la relecture, je me suis rappelé que le point focal qui fait passer du deuxième tiers au troisième n'est pas à la hauteur de ce qui précède - et on parle quand même d'un élément pivot qui était censé jouer sur la suite! Je pense, je pense, mais je ne trouve pas comment reconceptualiser la chose de manière satisfaisante. Résultat: je ne peux plus vraiment avancer tant que je n'aurai pas tranché ce noeud gordien.
Avec l'avalanche des corrections de fin de trimestre, j'aurai quand même quelque temps pour tenter d'y parvenir, mais la tentation de simplement passer à autre chose est forte... Je vous avais originellement présenté Mythologies comme un projet-école: l'exercice était d'aboutir un projet jusqu'à un livre complet. Mais...
Ma tentation est, une fois que je serai revenu à mon été de prof, de remiser Mythologies jusqu'à ce que j'en vienne à élucider mon impasse pour plonger dans un autre projet, plus littéraire, plus publiable... Un projet qui a pris forme assez récemment, mais qui m'apparaît assez touffu, original et "urgent" (d'exprimer) pour me donner l'envie d'y plonger.
L'autre option serait de plancher sur Mythologies en continuant de le voir comme un projet-école. L'enjeu de cette "leçon" serait justement de dénouer les impasses... L'avantage: je pourrais peut-être avoir un livre-pour-vrai  cet automne... Pour finalement passer à autre chose la tête vide et le coeur léger. Le problème, c'est que le style particulier de cet ouvrage ne me laisse pas beaucoup d'illusions sur son potentiel de publication. Pas que l'histoire soit inintéressante ou qu'elle ne mérite pas d'être lue; je suis cependant très conscient du fait qu'il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus dans le milieu de la publication québécoise. Imaginez lorsqu'on ajoute un livre qui n'est pas tant un roman de genre qu'un ouvrage qui risque d'être vu comme un exercice de style - pour reprendre mes termes: un conte poétique à saveur mythologique...
Que faire?

dimanche 11 avril 2010

Épisode 115 : Félicia en cinq temps, 4e partie


Trois ans plus tôt…
Lorsque Jean Smith avait découvert à quel point Félicia progressait vite et bien, il l’avait envoyée en Europe pour étudier avec Loren Polkinghorne, un confrère qui avait été aussi formé par Eleftherios Avramopoulos. Le caractère laconique de Smith en faisait un enseignant minimaliste; il disait à Félicia quoi faire et comment sans plus d’explications, sinon qu’elle comprendrait de mieux en mieux à mesure que son expertise grandirait. Polkinghorne, en revanche, se montrait enclin aux élaborations verbeuses. Alors qu’elle s’exerçait aux mille et un rituels méditatifs et purificatoires de leur tradition, il y allait de ses explications… Son laïus renfermait une foule d’informations anecdotiques sur l’histoire et la philosophie de leur tradition qui enrichissaient la compréhension de Félicia de jour en jour.
« Le secret de notre art ne se trouve pas dans l’univers… Le véritable secret se trouve au centre de l’humanité. Nous sommes le pinacle de l’évolution matérielle… Même si nos pieds sont encore dans la fange de la matérialité, notre tête s’élève au-dessus… Rationalité, spiritualité : les cadeaux qui nous permettent de nous élever davantage! C’est la rencontre de l’un et l’autre qui a permis de forger notre art… »
Même si Smith et Polkinghorne avaient étudié à la même école, leurs techniques différaient sensiblement. Par exemple, en méditant, Smith insistait sur une concentration sur sa respiration tandis que Polkinghorne favorisait plutôt l’utilisation de mantras.
« Comment choisit-on un mantra? », avait demandé Félicia durant leur première discussion sur le sujet.
« Je pourrais t’en donner un qui reflète ton parcours, ou plutôt ce que j’en perçois. Il y a toujours AUM, le mantra par excellence… Mais il vaut encore mieux que tu laisses simplement parler ton cœur.
— C’est-à-dire?
— Lorsque tu médites, tu t’entraînes à laisser passer les idées qui viennent sans les retenir.
— Hum, c’est encore difficile parfois, mais oui…
— Lorsque tu es dans un état méditatif profond, plutôt que te refermer sur ton intériorité, essaie de t’ouvrir au monde, à l’univers entier…
— Et comment suis-je supposée faire ça?
— C’est une question d’intention plutôt que d’action. Concentre-toi d’abord sur l’approfondissement, le reste viendra de lui-même…
— Et?
— Dans ces moments-là, les idées dérangeantes se taisent et les idées passagères ralentissent. Peut-être qu’une idée, une image, un mot s’imposera à toi à ce moment-là. Tu ne pourras trouver que lorsque tu auras renoncé à chercher.
— Et ce mot-là est supposé être mon mantra?
— Précisément.
— Et si un mot surgit, comment saurai-je que c’est le bon?
— Si tu n’es pas certaine, cherche encore! Lorsque ton âme te communiquera ton mantra, ça sera clair comme du cristal. Notre nature profonde n’a pas souvent l’occasion de s’exprimer; lorsqu’elle le fait, ce qu’elle te dit ne peut être autre chose qu’absolument vrai... »
Félicia s’était attelée à la tâche avec une ferveur qui, paradoxalement, interférait avec la profondeur de ses méditations. Plusieurs semaines passèrent sans qu’elle n’y trouve autre chose qu’une frustration grandissante.
Un beau matin, elle se réveilla avec une gueule de bois terrible : elle était tombée dans son lit la veille sans se réhydrater. Elle pensait que le travail de sa journée s’en ressentirait. Ses ablutions purificatoires furent maladroites, mais étonnamment, son détachement et sa fatigue lui permirent d’atteindre un état méditatif d’une profondeur encore inégalée.
Aux limites de sa conscience, elle ressentit des syllabes prendre forme et s’inscrire en lettre de feu dans sa tête, dans son cœur, dans son âme. Ses lèvres prononcèrent les trois syllabes sans qu’elle ne l’ait consciemment voulu. Elle les répéta durant le reste de sa séance de méditation; elles paraissaient s’imposer comme une vérité incontournable. Elle sut alors qu’elle avait trouvé.
Lorsqu’elle alla rejoindre Polkinghorne pour sa leçon quotidienne, elle n’était plus si sûre… Une fois sortie des profondeurs de sa transe introspective, son mantra lui apparaissait ridicule. Elle fut soulagée que Polkinghorne ne présentât aucune curiosité quant à la nature exacte de sa trouvaille. Il insista cependant pour qu’elle l’utilise systématiquement à partir de sa prochaine séance.
Le lendemain, un peu à contrecœur, Félicia s’assit en demi-lotus, ferma les yeux et se mit à répéter son mantra en litanie.
« JE-ME-MOI… JE-ME-MOI… JE-ME-MOI… »  

vendredi 9 avril 2010

Demande spéciale

C'est aujourd'hui mon anniversaire!
Le plus beau cadeau pour un écrivain, c'est d'être lu; vous me le faites déjà. Merci!

Si vous voulez souligner l'occasion, cependant... Ne vous gênez surtout pas pour parler du Noeud Gordien autour de vous... Que ce soit sur votre page Facebook ou en le mentionnant à un coloc, un parent, un collègue avec qui vous travaillez!

dimanche 4 avril 2010

Le Noeud Gordien, épisode 114: Félicia en cinq temps, 3e partie

Cinq ans plus tôt…
Jean Smith examina Félicia, fin prête pour la tâche qu’il lui avait confiée. Il lui signala son approbation avant d’ajouter : « Tu as l’air toute stressée! Qu’est-ce qui se passe?
 — C’est pas moi, ça, faire la séductrice… »
Le commentaire de Félicia en aurait  surpris plus d’un… particulièrement ceux qui connaissaient son sourire coquin ou qui l’avaient vu battre des cils en direction d’un bel inconnu. Mais à ses yeux, le terme connotait celle qui traque, qui chasse; son instinct la conduisait plutôt à prendre le rôle de princesse à conquérir… Et c’est à cette attitude qu’elle devait la majeure partie de ses succès.
Jean Smith lui avait demandé de séduire quelqu’un d’une manière bien précise et même si la demande l’avait confrontée à ses réticences, elle ne pouvait dire non à celui qui avait ouvert ses yeux sur la nature réelle du monde… Celui à qui elle devait la découverte du sens de sa vie.
La seule question du look l’avait triturée pendant des heures. Elle avait retenu deux avenues qui lui permettraient d’atteindre ses fins : la première était de se déguiser en femme fatale – à défaut d’en avoir les manières. La seconde était d’accentuer l’image de jeune ingénue que l’homme qu’elle devait séduire entretenait sans doute déjà à son égard. Ni l’une ni l’autre ne semblait convenir : la première trop extravagante pour qu’elle s’y reconnaisse, la deuxième trop ordinaire pour qu’elle satisfasse les besoins de sa mission. Alors qu’elle progressait dans sa réflexion, elle réalisa qu’elle se préoccupait moins de l’opinion de sa cible que de celle de son maître… Plus que tout, c’est lui qu’elle ne voulait pas décevoir.
Elle en vint à trouver sa voie en hybridant les deux extrêmes. D’un côté, elle ne porterait qu’une jupe noire et une blouse blanche toute simple accompagnées de quelques accessoires d’un genre qu’elle pourrait mettre pour visiter sa famille. En revanche, sa tenue serait agrémentée de quelques éléments davantage criards… Faux cils, gants de cuir, rouge à lèvres écarlate de la même teinte que ses bottes aux talons si hauts qu’elle pouvait compatir avec tous les échassiers de ce monde. L’hybridation avait réussi : elle ressemblait à une petite poupée innocente… mais sexuée, tout droit sortie des rêves d’un vieux pervers. Elle était fin prête.
« C’est pas moi, ça, faire la séductrice… »
Avec un petit sourire, Jean Smith déboutonna sa blouse jusqu’à ce que son soutien-gorge apparaisse par l’encolure. Durant ces quelques secondes, elle fut secouée par une nuée d’émotions contradictoires… Peur, excitation, embarras, espoirs inavoués… Cependant Smith n’agissait pas pour lui, mais plutôt pour parachever le déguisement de Félicia.
« Souviens-toi de ce que je t’ai appris. Il ne verra pas toi, il verra ce que tu portes, comment tu agis… Félicia va s’estomper derrière le rôle que tu vas prendre.
— Ça ne serait pas plus simple de faire une sorte de philtre d’amour?
— Un jour de purification, dix jour à le réaliser, trois mois pour qu’il mûrisse… Sans compter l’acquisition et la préparation des composantes… Et répéter le processus à chaque fois que la préparation a fait son temps… Ça ne serait simple que dans la mesure où ce serait moi et non toi qui le ferais, non?
— C’est vrai… Je m’excuse…
— Concentre-toi sur la tâche à accomplir. Souviens-toi : effet maximal pour action minimale… Et je suis absolument certain que même un philtre ne serait pas aussi efficace que Félicia Lytvyn en mission! Allons-y maintenant : c’est l’heure. »
La confiance qu’il avait envers elle représentait un puissant motivateur. Elle respira profondément et trouva le calme durant le trajet en voiture. Machinalement, elle entreprit la routine méditative que Smith lui avait enseignée et qui devait éventuellement l’ouvrir aux liens cachés qui structuraient  la forme de ce monde… Lorsqu’elle arriva, elle était prête. Stressée, mais prête. Elle laissa Smith derrière elle. Une femme vêtue d’un corset rouge l’accueillit à la porte et la conduisit là où l’homme l’attendait.
À pas lents, elle entra dans la pièce. Il était attaché à une croix en forme de X, complètement nu sinon un collier au cou et un bandeau sur les yeux. Félicia était une femme ouverte, mais il lui était difficile de comprendre comment quiconque pouvait désirer se trouver en pareille situation. Cette incompréhension ne l’empêcherait pas d’en jouer…
Elle approcha de la croix en faisant claquer ses talons de façon théâtrale. Une fois devant lui, elle le gifla. Deux fois. Trois fois… Dix fois. L’homme pantelait derrière son bandeau, terrorisé mais extatique. Félicia fut doublement troublée de sentir son corps répondre de manière inattendue… Frapper cet homme mûr en position d’impuissance l’excitait. Elle en fut la première surprise.
Elle arracha le bandeau qui couvrait les yeux de l’homme. Un instant ébloui, il reconnut tout de suite celle qui se trouvait devant lui. Immédiatement, il se mit à se débattre contre les liens qu’il avait jusque-là acceptés sans broncher.
« Félicia! Qu’est-ce que tu fais là? » Les gifles avaient rougi les joues de l’homme; maintenant, toute sa tête était rouge tomate. « C’est pas ce que tu penses! », ajouta-t-il bêtement.
Sans broncher, Félicia agit comme Smith le lui avait appris. Elle prit son air le plus hautain, le plus arrogant, et lui dit : « Bonsoir, Frank. Oui, c’est moi. Tu sais que tu es un sale petit pervers?
— Détache-moi! C’est pas drôle! Ton père va me tuer! »
Elle lui fit son plus beau sourire et fit un tour sur elle-même, les bras contre le corps, les mains relevées comme la danseuse d’une boîte à musique. Dos à la croix, elle se pencha de manière suggestive en faisant remonter légèrement sa jupe. Pas assez pour qu’on perçoive la fesse ou la culotte. Supplice de Tantale. Son maître lui avait dit : Le sentiment d’impuissance et la frustration sont la clé. Prends tout et ne donne rien, comme une déesse cruelle et indifférente. Et il t’appartiendra. Frank avait cessé de haleter. Il ne respirait même plus. Son sexe, flasque jusque là, s’était dressé comme un mât.
« Tu penses que mon père va te tuer s’il apprend que t’es ma sale petite bête? Probablement. La question est… Veux-tu être mon petit animal? » Elle battit ses faux-cils langoureusement, un sourire détaché aux lèvres. Ses mains étaient froides. Elle saurait bientôt si elle avait réussi sa mission.
Frank ne répondit pas, sinon par les tressaillements de son érection – assez éloquents à leur manière. Félicia lui agrippa les testicules, un peu dégoûtée mais inspirée par son excitation imprévue. Elle lui murmura à l’oreille : « Ça veut dire que j’ai ta vie entre les mains… »
Frank gémit. Son corps entier tremblait. Elle ajouta : « Maintenant, tu m’appartiens. Fini de jouer… »
Frank Batakovic était un homme de pouvoir et d’influence depuis des décennies. Il avait longtemps rêvé de se soustraire aux exigences de ce pouvoir, ne serait-ce qu’un moment… Quelques années auparavant, il avait trouvé comment y parvenir en découvrant cet établissement qui s’affichait comme un pourvoyeur de spécialités érotiques. Comme il ne s’agissait pas de prostitution à proprement parler – les clients ne pouvaient demander ou s’attendre à des relations sexuelles –, le clan Lytvyn ne s’y était jamais attardé. Frank s’était assuré que ce statu quo perdure.
Depuis, il se payait des déesses de cuir et de latex pour qu’elles le traitent comme un objet et le tourmentent selon leurs caprices. Frank Batakovic n’était jamais aussi libre que lorsqu’on l’attachait, on l’humiliait, on le frappait. Sa fortune lui permettait de s’offrir secrètement tous ses fantasmes à la carte, sans que cela n’ait quelque impact sur sa carrière criminelle ou sa vie familiale. Cela ne l’empêchait pas de rêver d’une relation qui ne serait pas commerciale, au-delà du simple jeu de rôle. Une relation où il serait authentiquement soumis à une déesse non moins authentique.
Aujourd’hui, son fantasme le rattrapait. Contre toute attente, il prenait les traits de Félicia Lytvyn, le fruit le plus défendu depuis le péché originel. Frank était terrorisé mais… Elle était si resplendissante dans ses bottes rouges et pointues… Ses grands yeux… son sourire froid… Et surtout sa façon de lui parler. C’était comme si elle décodait ses désirs les plus secrets sans qu’il n’ait à les lui expliquer.  Une véritable déesse.
« Alors… Tu m’appartiens? »
— Oui », répondit Frank, un trémolo dans la voix. Inutile de mentir : il l’avait su dès qu’il l’avait vue, malgré ses protestations.
Félicia resserra sa poigne. Frank gémit encore.
« Oui qui?
— Oui… Maîtresse. »
C’était le plus beau jour de sa vie. Et c’est sur quoi Gianfranco Espinosa avait compté.

jeudi 1 avril 2010

Il manque des mots en français!

Militons pour la néologisation du mot "Euphémiser"!

Quoi? Néologisation n'existe pas? Flûte... Ok, on commence par celui-là, d'abord!