Karl Tobin sortit de
la chambre, mais la fille ne se trouvait ni dans le couloir aux portes, ni dans
l’espèce de cafétéria. C’était physiquement impossible qu’elle ait couru si
vite, et pourtant elle n’était nulle part. Les gens alentour mangeaient,
riaient, flânaient comme si rien n’était; rien ne laissait croire que quiconque
ait vu une jeune femme paniquée traverser la pièce en coup de vent. Interloqué,
il continua jusqu’à la porte interdite, tenté d’aller voir si elle ne se
trouvait pas derrière…
Une conversation
animée avait lieu en haut des marches. Il reconnut la voix de Mike… Et celle de
la fille. Il monta les rejoindre. Un petit attroupement s’était formé autour d’eux.
Il y avait Timothée, Djo et une femme avec une face de meth head…
« Nini, tu es
certaine? Tu ne vois rien d’autre? »
La fille – Nini – et
Tim étaient tournés dans la même direction, comme s’ils regardaient non pas les
murs du Terminus, mais quelque chose au-delà, plus loin au nord-ouest.
« Ils sont trois.
Il a mal », ajouta-t-elle en frottant son abdomen. « La pluie… Ils
sont dehors. C’est flou… Une voiture… Noire.
— Quel modèle? »,
demanda Mike.
Les deux haussèrent
les épaules en même temps. « Nous ne connaissons rien en voitures… »
L’idée que quelqu’un
ne puisse pas répondre à une question aussi élémentaire semblait absurde aux
yeux de Karl. Il allait demander qu’on la lui décrive, mais Tim et la fille
ployèrent en gémissant, en proie à une douleur venue de nulle part. Nini était
blanche comme un drap; Tim, sur le point de défaillir, dut s’appuyer sur l’épaule
de son voisin pour rester debout. La femme au visage ravagé brisa le silence pour
exprimer sa crainte du pire : « Est-ce qu’il est mort? »
Tim et Nini firent non
de la tête. « Il est KO », dit l’un.
« Nous avons
perdu contact », dit l’autre.
« Ça ne doit pas
être un hasard », dit la droguée, comme si elle pensait à voix haute. Sa
dentition trouée rendait sa voix chuintante. Elle pointa Karl. « Lui, il
arrive et paf! Martin se fait attaquer juste au moment où… »
Karl allait lui dire
où elle pouvait s’enfoncer ses soupçons quand Timothée dit : « Non.
Gigi, tu regrettes de ne pas avoir été avec Martin, de ne pas avoir pu faire
quelque chose pour empêcher son enlèvement, mais lancer des accusations
infondées ne nous mènera nulle part. »
Tiens toé, pensa Karl. Mike fit un mouvement subtil à l’intention
de Djo, qui prit Gigi par le bras. Elle se laissa guider sans rouspéter.
« Nous savons que
tu es avec nous », dit Tim à Karl. « Mais qu’en est-il des Maîtres
qui t’ont ramené à la vie? Est-ce qu’ils peuvent s’en être pris à Martin? »
La question était
pertinente. Peut-être qu’ils se servaient de lui comme d’un pion, en le maintenant
dans le noir. « P’t’être bien que oui, p’t’être bien que non.
— Martin a été attaqué
au moment le plus stratégique possible…
— Alors qu’il était loin
de nous deux, en-dehors du cercle.
— Bon », dit
Mike. « Comment on fait pour le retrouver, maintenant? »
Tim et la fille
gardèrent le silence un long moment. « C’est… difficile.
— Sans Martin, nous ne
pensons pas de la même manière.
— Chacun de nous
apporte quelque chose…
— Martin est bon pour
décider.
— Depuis que Madame
nous a quittés.
— Et sans son apport…
— Nous sommes
diminués.
— Ben, demandez-lui… »,
dit Karl.
« Notre connexion
est coupée. Nous…
— Pas à Martin. À Madame.
À Tricane. La poupée…
— Ça ne fonctionnera
pas.
— Elle n’a pas bougé
depuis…
— …qu’elle s’est
animée devant toi.
— Nous avons déjà
essayé…
— …sans succès.
— Ouais », dit
Karl. « Eh ben, si elle bouge seulement pour moi, ça tombe bien : je
suis ici. Autant en profiter, hein? »
Les autres ne
semblaient pas convaincus.