Avec tout le travail
qu’elle avait abattu au cours des dernières semaines, Félicia avait à peine eu
le temps de remarquer l’absence d’Édouard. Lorsqu’il lui signala son retour,
elle fut grisée à l’idée qu’ils se retrouvent enfin ensemble. C’était une
émotion d’écolière, immature, un peu fleur bleue, mais… Elle aimait qu’il lui
avoue s’être ennuyé d’elle.
Ils convinrent qu’elle
le rejoindrait chez lui à dix-huit heures. Félicia se pomponna avec autant de
soin qu’au temps où elle courait les clubs. Cheveux raidis, maquillage de star,
robe d’été avec motifs blancs sur fond blanc, escarpins neufs, bijoux assortis…
Le miroir le lui confirma : le résultat final était à faire damner un
saint.
Son sourire ne la
quitta pas de chez elle à chez lui, son cœur battant en un crescendo qui
culmina au moment où elle frappa à sa porte.
Avait-il compté sur un
retard de sa part? Édouard lui ouvrit avec une chemise déboutonnée, les pieds
encore nus. Lorsqu’il la vit, Félicia imprima sa réaction dans son
esprit : les yeux écarquillés, la bouche ouverte : elle lui avait
coupé le souffle.
Une émotion puissante,
primale la fit frissonner de la tête aux pieds; elle fondit sur lui comme un
oiseau de proie.
Sa mise en pli et son
maquillage furent démolis en l’espace de quelques minutes… Elle n’en avait
cure : c’était pour les meilleures raisons qui soient.
Le lit grinça à
nouveau lorsqu’Édouard, luisant de sueur, allongea le bras pour consulter son
téléphone sur la table de chevet. « Je pense qu’on a manqué notre
réservation au resto…
— On a tout ce qu’il
faut ici », dit Félicia en se serrant contre lui.
Il lui embrassa le
front. « Je vais nous commander quelque chose… Le thaïlandais, est-ce que
ça va bien avec le champagne?
— Voyons : tout
va bien avec le champagne! Est-ce qu’on célèbre quelque chose?
— Mon premier
million », dit-il, pince sans rire.
— C’est le plus
difficile à gagner.
— Ah oui? Et le tien,
comment ça s’est passé?
— Longue histoire…
— Pas grave : ma
soirée vient justement de se libérer… »
Félicia se redressa
dans le lit en lissant ses cheveux. « Le premier million que j’ai eu entre
les mains, je l’ai volé à mon père. Je savais qu’il gardait de grosses réserves
en argent comptant. C’était sa porte de sortie, si ses affaires avaient tourné
au vinaigre : toute ma famille aurait pu disparaître dans la nature du
jour au lendemain. J’en ai… emprunté une partie.
— Emprunté?
— Oui. C’est là que ça
se complique. C’était pour un projet. J’avais une amie… Connais-tu Mélanie
Tremblay?
— J’en connais plus
qu’une, mais je présume que tu parles de la personnalité du monde des affaires…
— Oui… Tu la connais
personnellement?
— Disons que je
connais quelqu’un qui la connaît », dit-il avec une expression
mystérieuse.
« Bref, moi, je
l’ai connue avant qu’elle se fasse un nom. Mais elle était déjà douée… Un jour,
elle m’a dit que, si elle avait un million, elle pourrait le décupler en un
rien de temps.
— …et tu as volé
l’homme le plus dangereux au pays pour lui fournir ce million.
— Oui. J’étais jeune.
Et conne.
— Tu t’es fait avoir?
— À moitié… Elle a
effectivement réussi à faire fructifier mon argent. Après quelques mois, elle
me l’a rendu. Sans me donner un sou de plus! Dans ma tête, j’investissais… Pour
elle, ce n’était qu’un prêt. Lorsque j’ai insisté, que je lui ai fait savoir
que c’était injuste qu’elle s’enrichisse grâce aux risques que j’avais pris
pour elle, elle a coupé les ponts. Tu sais ce qui est con?
— Quoi?
— Je m’ennuie encore
d’elle. Elle est la grande sœur que j’aurais toujours voulu avoir. Lorsque j’ai
essayé de reprendre contact avec elle, j’ai été maladroite. Et un petit peu trop
saoule », ajouta-t-elle à voix basse. « Mon essai suivant a été pire
encore… L’ironie, c’est que maintenant, un million, ce n’est pas plus une
grosse affaire pour moi que pour elle… Quoi? »
L’expression d’Édouard
avait changé. « Je… Je ne savais pas que tu étais si riche »,
admit-il.
Elle haussa les
épaules. « Mon père contrôlait La Cité avant même ma naissance. C’est
certain que son argent a… Qu’est-ce qui te fait sourire?
— Quelle chance j’ai, au
lit avec une riche héritière! Faudrait que je tombe enceinte pour être certain
de te garder!
— T’es con! » Elle
lui donna un coup de poing sur l’épaule. Il saisit son poignet avant qu’elle
lui en donne un deuxième. Il lui grimpa dessus pour l’immobiliser; elle se
débattit par jeu, en ricanant autant que si on la chatouillait.
L’altercation finit en
étreinte, puis en embrassade.