samedi 18 décembre 2010

Bye bye 2010!

La saison 3 du Noeud Gordien vient de se terminer - plus que 350 épisodes avant la conclusion, hé hé hé!

Je compte profiter de mon congé de Noeud pour revoir la section "archive"... Vu qu'elle offre toute l'esthétique et la fonctionnalité à la fine pointe des normes de 1997, je me suis dit que je pourrais sans doute faire mieux.

Son apparence fruste vient du fait qu'elle n'a qu'un but: permettre de trouver les épisodes passés en ordre chronologiques dans un format facilement lisible. Je vais donc probablement remplacer cette section par une version .pdf des volumes complétés, si possible avec des hyperliens pour sauter directement aux épisodes (comme c'est déjà le cas dans la version actuelle).

Les chances sont bonnes que je ne donne que 2 cours durant le trimestre d'hiver, ce qui signifie que je pourrai poursuivre mon travail sur Mythologies... J'ai sincèrement hâte! Je vous en reparlerai...

Je profite de cette mise à jour pour vous remercier de me lire, que ce soit assidûment ou à l'occasion; je remercie particulièrement les personnes qui prennent le temps de me signaler les inévitables coquilles ou de m'offrir leurs commentaires et leurs réflexions - même si ça n'est que cliquer "passionnant/intéressant/bof" au bas des pages. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça fait plaisir!

J'en profite aussi pour vous souhaiter un excellent temps de fêtes, plein de joie, de cadeaux et d'abus-mais-pas-trop. On se revoit en 2011 pour l'épisode 151!

Patrice St-Louis

dimanche 12 décembre 2010

Le Noeud Gordien, épisode 150 : L’arbre et le fruit

C’était l’un des quartiers où il était hors de question de laisser sa voiture sans surveillance. Les stationnements privés et gardés bénéficiaient de cet état de fait : la plupart indiquaient complet. Félicia en trouva finalement un à cinq minutes de sa destination. Elle s’y rendit d’un pas lent, tirant sa valise sur roulettes derrière elle. Elle remarqua distraitement que le temps doux des derniers jours avait permis à des pousses vertes de jaillir des bacs installés par la municipalité en vue de verdir la grisaille de La Cité. Les tulipes n’étaient pas les seules à émerger à la rencontre des beaux jours; aux coins des rues, les vendeurs de drogues reprenaient leur commerce rendu difficile par le froid hivernal.
Félicia était tendue et comme souvent dans ces moments-là, le coin de sa lèvre supérieure pulsait de ce qui deviendrait sous peu un feu sauvage. Son infection était d’autant plus pénible qu’elle savait que son art ne pouvait rien contre les virus… D’un autre côté, elle avait déjà accompli l’impossible – et combien de fois Harré l’avait-il fait? Il ne fallait pas perdre espoir d’en guérir un jour. Mais elle s’en serait bien passée aujourd’hui.
Elle révisa mentalement ses leçons des dernières semaines. Elle avait côtoyé longuement Catherine Mandeville; son attitude envers Félicia s’était transformée dès qu’elle avait vu le dispositif grâce auquel elle avait capturé l’essence de Frank Batakovic. Elle ne l’avait pas traitée en égale, mais certainement mieux qu’auparavant, avec une bonne mesure de respect.
Malgré tout l’intérêt de Félicia pour les leçons, il lui avait été parfois difficile de maintenir sa concentration. Sa libido revenait en force; durant ses méditations, elle réalisait à quel point sa sexualité volée l’avait privée d’une partie importante de son ardeur, de son énergie en général. Malgré ce qu’elle lui avait dit en vue de le blesser, personne ne l’avait touchée depuis leur rupture. Sa concentration n’était pas toute là, mais sa vivacité renouvelée compensait amplement.
Elle avait usé de deux de ses faveurs pour en savoir davantage sur les recherches de Paicheler et Mandeville. La maîtresse avait émaillé son discours de formules prudentes, du genre « à notre connaissance… » ou « …à condition que tel présupposé soit vrai ».
Même si Mandeville était spécialiste en ce qui a trait aux impressions, leurs nouveaux comportements venaient chambouler tout ce qu’elle pensait savoir sur le phénomène. Jusqu’ici, le consensus était que les impressions subsistaient à la mort de ceux qu’elles représentaient sans pour autant que leur identité ne perdure, à la manière d’un écho qui continue à réverbérer un bruit en l’absence de sa cause première. Félicia avait longuement interrogé son enseignante sur les liens entre émotions et impressions… Si elles continuaient à représenter l’état émotionnel du mourant, était-ce possible que ses sentiments soient un fil conducteur pour communiquer avec son impression?
Elle ne l’avait dit à personne mais la motivation de Félicia était ancrée dans ce rêve qu’elle avait eu quelques mois plus tôt… L’épée de chocolat lui traversant le bassin s’était avérée un indice de la manœuvre sournoise de son « amoureux » pour éteindre sa sexualité; elle était convaincue que le reste du rêve s’avérerait tout aussi significatif pour la suite des choses. Outre Frank, un autre personnage figurait de façon proéminente dans ce rêve… Elle se trompait peut-être; elle se trompait sûrement. D’autant plus qu’il avait été emporté par une mort naturelle plutôt que violente. Mais elle n’avait d’autre choix qu’essayer.
Il lui avait fallu cinq minutes de marche, mais elle était maintenant arrivée à destination. Deux caméras de surveillances étaient pointées sur la porte; un intercom chromé était situé à droite de la porte. Félicia ne sonna pas : elle savait que personne ne répondrait. Elle avait dû déployer des trésors de persuasion, mais elle avait réussi à obtenir les clés grâce à Will Szasz.
Il y avait trois serrures sur la porte. Le stress monta d’un cran lorsqu’elle entendit le déclic de la troisième. Elle connaissait l’endroit mais c’était la première fois qu’elle en passait le seuil…
Un escalier étroit et abrupt montait jusqu’au deuxième. Le bruit de ses pas était étouffé par une insonorisation quasi-totale. L’absence d’écho donnait aux lieux une aura d’étrangeté, comme dans un rêve. La rampe était poussiéreuse; personne n’avait dû venir ici depuis des mois.
Elle arriva devant une autre lourde porte de métal rivetée qu’elle déverrouilla à l’aide d’une quatrième clé. Elle pénétra dans une antichambre aussi insonorisée que la cage de l’escalier. L’édifice ne ressemblait pas à ce qu’elle s’était toujours imaginée. Il ne restait qu’une porte la séparant de l’endroit qu’elle cherchait. Elle la poussa en léchant sa lèvre endolorie.
Quoique beaucoup plus grande que les autres, la pièce était aussi poussiéreuse et désertée que le reste de l’édifice. Une série de sofas disposés en U occupaient la partie gauche; un bureau et une table ovale entourée de sept chaises se trouvaient à droite. On pouvait voir que tous les tiroirs avaient été vidés.
Félicia passa de longues minutes en contemplation, la poitrine opprimée par l’atmosphère pesante. En raison de l’insonorisation, le seul bruit qu’elle pouvait entendre était les battements de son propre cœur.
Le temps vint d’essayer ce pour quoi elle était venue. Elle ferma les yeux puis inspira profondément pour inviter en elle l’état d’acuité. Elle garda ses paupières closes plus longtemps qu’elle n’en avait besoin, mais elle finit par les ouvrir au prix d’un effort. Devant elle se tenait une impression parfaitement discernable qui la scrutait, comme l’avaient fait celles du Café Konya.
La gorge serrée, elle murmura : « Bonjour, papa ». 

dimanche 5 décembre 2010

Le Noeud Gordien, épisode 149 : L’ouverture, 3e partie

Dès son arrivée dans les environs, Claude Sutton trouva sans difficulté l’endroit où les événements s’étaient produits. Des cercles concentriques de journalistes s’appliquaient à saisir les images et les mots qui nourriraient la bête médiatique pour quelques jours encore. Au-delà, une chaîne d’agents de police de Grandeville encerclait le périmètre bouclé. L’un d’eux leva la paume pour signaler à Sutton de garder ses distances; il s’écarta dès qu’il vit son insigne.
« Où est-ce que je peux trouver le major L’Écuyer? » L’agent pointa en direction de la plage. Sutton le remercia et traversa les quelque deux cents mètres qui l’en séparaient.
Les Sons of a Gun s’étaient rassemblés dans une base de plein air, en principe fermée pour quelques mois encore. Non contents d’avoir pour eux le site entier, les motards avaient érigé une grappe de pavillons de toile imperméable directement sur la plage. Ils avaient eu le temps de profiter du temps clément de la mi-mars : le gazon jaune comme le sable au bord de la mer avaient été piétinés récemment. Des verres à bière de plastique jonchaient le sol ici et là. Rien n’indiquait qu’ils s’étaient préparés à la tournure inattendue qu’avait prise l’événement.
Claude aperçut au loin le major Jean-Pierre L’Écuyer, entouré d’officiers et d’enquêteurs en vêtements civils. L’Écuyer lui fit signe de venir dès qu’il le remarqua. « Merci de t’être déplacé », lui dit-il avec une poignée de main en guise d’accueil.
« Je suis venu dès que je l’ai su », répondit-il.
« Gentlemen, je vous présente l’agent spécial Claude Sutton, directeur de l’escouade d’intervention contre le crime organisé de La Cité… » L’Écuyer présenta ensuite les membres de son équipe. Parmi ceux-ci se trouvait Richard Deslauriers, une légende vivante du monde de la criminologie qu’il avait déjà rencontrée à quelques reprises au fil des ans. Il avait récemment franchi le cap de la soixantaine bien qu’il parût quinze ans plus jeune.
Sutton conclut la tournée des formalités en demandant : « Alors, qu’est-ce qu’on sait à date?
— On interroge les témoins, mais on ne s’attend pas trop à ce que les motards parlent. Le coin est assez isolé pour nous compliquer la vie…
— Est-ce que vous surveilliez le rassemblement?
— On avait une équipe à l’embranchement… Le site est sur une péninsule, il n’y a pas d’autres accès par la route.
— Les témoins ne s’entendent pas sur l’origine du premier coup de feu », ajouta Deslauriers. « De notre côté c’est pareil, on n’a pas réussi à identifier une direction précise. Viens, on va te montrer le site du massacre… » Ils conduisirent Sutton jusqu’aux tentes. Une armée de techniciens en scène de crime passait toute la zone au crible.
Le pavillon central était meublé de tables et de chaises disposées à la manière d’une salle de conférence, quoique plusieurs aient été déplacées ou renversées. C’était là qu’avait vraisemblablement eu lieu la rencontre au sommet des dirigeants des Sons of a Gun. Généralement associé à La Cité – c’est pourquoi on avait sollicité la présence de Sutton –, le gang entretenait des chapitres et des clubs-écoles dans la plupart des villes voisines. On avait noté une recrudescence d’activité après la dissolution du clan Lytvyn et la tendance s’était encore accentuée après le déclenchement de la guerre des gangs.
Il était manifeste que la réunion avait été brusquement interrompue: les murs de toile blanche étaient éclaboussés de sang sur presque trois cent soixante degrés. Même si on avait déjà évacué les corps, il était facile pour l’œil entraîné de voir que quelque chose clochait. « C’est comme si quelqu’un était arrivé au centre de la pièce et s’était mis à tirer sur tout le monde à bout portant…
— Exactement…
— Mais… comment? Pourquoi personne n’a réagi?
— On a trouvé une flashbang juste ici », répondit L’Écuyer en pointant un carton numéroté au centre de la tente. La grenade incapacitante pouvait avoir pris par surprise les victimes. Mais en même temps, un BANG! de presque 200 décibels aurait ameuté le reste du site. Était-ce ce premier coup de feu que les témoins ne réussissaient pas à situer précisément? Sutton réfléchit un moment en tentant de reconstruire les événements. Deslauriers le fixait intensément, sourire en coin. Le criminologue avait manifestement déjà son hypothèse; il était curieux de voir si Sutton arriverait aux mêmes conclusions. Claude se sentait évalué comme un vulgaire écolier. C’était agaçant.
« Non, quelque chose cloche quand même… Vous ne me direz pas que personne ne montait la garde autour de la tente… Peut-être que les gardiens ont laissé passer les attaquants… Ça voudrait dire que ce serait peut-être un coup venant de l’intérieur… » Le regard de Deslauriers n’avait pas changé, mais son sourire s’était élargi. Sutton était sur la bonne voie. « Le problème, c’est que si les tueurs sont une faction dissidente des Sons of a Gun, ce serait carrément stupide de passer à l’action alors que tout le monde est là… Ce serait un vrai suicide de frapper dans ces circonstances.
— Tous les corps étaient dans la tente », dit L’Écuyer. « En tout cas, ceux qu’on a récupérés. Il s’est passé une dizaine de minutes avant qu’on fasse un move. Les renforts étaient en standby, mais même nous on a été surpris…
« Est-ce que vous avez identifié les victimes?
— Il nous en manque plusieurs…
— Je peux voir?
— Les corps sont déjà partis vers la morgue. On pourra voir les photos au poste.
— Oui, c’est bon. Ça m’aiderait beaucoup si je pouvais voir aussi les photos de la scène aussi, évidemment.
— Ça va être prêt à notre arrivée. »
Claude prit Deslauriers à part. « Est-ce que c’est moi ou c’est carrément illogique?
— Je pense comme toi… C’est très… Stimulant comme problème. J’ai hâte de voir les photos. »
Comme promis, toutes les images de la scène étaient prêtes à leur arrivée. Il était évident que la plupart des victimes n’avaient pas eu le temps de réagir. Le cadavre d’Alain Goudreau avait les yeux grands ouverts : la surprise était la dernière chose qu’il ait connue avant qu’on le tue de deux balles au torse. D’autres s’étaient levés ou avaient tenté de renverser des tables, mais ils avaient succombé avant d’avoir pu se mettre à couvert. La désorientation causée par la grenade avait gagné de précieuses secondes aux attaquants. Trois cadavres reposaient face contre terre au centre de la pièce. C’est tout ce que ces photos pouvaient leur apprendre pour l’instant.
Le technicien qui opérait l’ordinateur avait bien fait ses devoirs : il avait aligné les photos des cadavres avec celles prises par l’équipe de surveillance durant leur arrivée.
Sutton réussit à identifier toutes les victimes qu’on lui montra. « Alain Goudreau, dit Goudron, chef… Marc-André "Crasse" Lavoie, numéro deux… Lui, c’est Robert Garnier, "Garnotte"… C’est juste un soldat : je ne sais pas ce qu’il faisait là. Soit une promotion récente, soit c’est lui qui gardait la porte…Émilien "Milou" Savoie, full patch, chef du club-école de Grandeville… » C’était l’hécatombe : les Sons of a Gun étaient pratiquement décapités. Malgré tout le sang versé, Sutton dut reconnaître qu’à tout le moins, le massacre mettrait probablement fin – pour un temps, du moins – à la guerre des gangs dans La Cité.
Lorsqu’il vit la photo de la dernière victime, Sutton s’avança pour être certain que ses sens ne le trompaient pas. Ici, il n’y avait qu’une photo du cadavre; il n’y avait pas de photo correspondante prise par l’équipe de surveillance.
« Karl Tobin? » Il avait été de ceux qui gisaient face contre terre. Sutton n’avait pas pu le reconnaitre de dos.
« Qui?
— Un gangster périphérique à La Cité. Disparu de la carte depuis six mois… Présumé mort. »
Le technicien crut bon d’ajouter : « Ouais, on peut considérer ça confirmé, maintenant.
« À ma connaissance, il n’avait pas de contacts avec les Sons of a Gun. Les chances sont bonnes que ce soit lui, votre tueur », dit Sutton en pointant l’écran. 
Deslauriers ne semblait pas y croire. « C’est vrai qu’on ne l’a pas vu à son entrée, mais… Un gars seul? Il faudrait qu’il tire plus vite que Lucky Luke pour faire le tour avant que les autres aient réagi, grenade ou pas… Sans parler de se rendre à la tente des chefs, au milieu d’un rassemblement…
— Même durant les parties, ils sont tight sur la sécurité », ajouta L’Écuyer.
« Je ne dis pas que ça explique tout. Je suis d’accord pour dire que…
— C’est pas logique? »
Sutton eut une pensée pour les théories d’Édouard, à la fois complètement absurdes tout en étant soutenues par ses enregistrements… Mais contrairement à l’enquêteur dilettante, Sutton ne pouvait pas évoquer la magie ou des superpouvoirs comme explication dans le cadre de ses fonctions. Il acquiesça donc. « Même si c’est mystérieux, il y a une explication logique derrière tout ça. On a déjà une piste de plus; il reste à savoir où ça va nous mener… »