dimanche 17 août 2014

Le Nœud Gordien, épisode 333 : Olson, 2e partie

Olson fit un nouveau mouvement en direction du bar. Félicia suivit son regard. Une femme resplendissante s’approchait en leur souriant. Ses cheveux blonds et bouclés avaient le volume de la crinière d’un lion; sa robe – superbe – chatoyait dans l’éclairage du Den. Elle marchait à petits pas sur des talons d’échassier, veillant à la stabilité du plateau de cocktails qu’elle apportait.
Félicia pensa d’abord qu’elle avait affaire à une serveuse du salon privé, mais avait-elle jamais vu une employée d’Henriquez vêtue ainsi? À mesure qu’elle s’approchait, Félicia remarqua certains détails révélateurs… Ses seins trop gros, quoique parfaitement naturels en apparence… Sa taille trop fine… Sa peau trop lisse… Ses traits trop parfaits.
Cette femme sortait du même moule qu’Olson.
Le Maître se leva pour l’accueillir. « Félicia, je te présente Pénélope. Pénélope, Félicia. »
Félicia s’apprêtait à offrir un simple enchantée lorsque Pénélope s’exclama « Oh mon Dieu! Ça fait tellement plaisir! J’ai tellement entendu parler de toi! »
Félicia força un sourire, tentée de dire que, pour sa part, personne ne lui avait jamais parlé d’elle.
La nouvelle venue distribua les cocktails qu’elle avait apportés et tout le monde se rassit. Olson conserva le centre; Pénélope prit place à sa gauche. Les deux demeurèrent tournés vers elle, Pénélope pressée contre le dos du Maître, ses bras l’enserrant comme une pieuvre.
« Je disais à Félicia que j’aimerais beaucoup qu’elle travaille avec nous », dit-il.
Cette bimbo était donc une initiée. Félicia l’avait supposé sans vraiment y croire : elle paraissait l’incarnation de la superficialité, de la vacuité intellectuelle qu’elle prêtait par réflexe à ce genre de poupée humaine.
Comme pour nourrir le stéréotype, Pénélope répondit : « Oh! Ce serait fan-ta-stique. Ce serait mieux que… Ses lèvres prononcèrent un Adam Van Haecht silencieux. Avait-elle peur qu’il l’entende? « J’aime beaucoup ta robe, en passant. 
— Oh. Merci. La tienne est… époustouflante. » Après un instant, elle ajouta : « Ton corps aussi. En fait, vos corps. Ça a dû demander beaucoup d’efforts. »
Pénélope reçut la remarque comme un compliment. Son sourire fit apparaître des fossettes sur ses joues. « Tes seins », dit-elle, « tu les as améliorés toi aussi, n’est-ce pas? J’ai l’œil pour ce genre de choses…
— Polkinghorne m’a aidée…
— Beau travail, sincèrement. Si tu veux, je peux certainement suggérer certains ajustements… Tout est dans les détails. Des détails qu’un homme homosexuel ne saurait reconnaître… 
— C’est gentil, merci », dit Félicia, tout en invectivant Pénélope de mille façons créatives en pensée.
« Alors », demanda Olson, « es-tu intéressée? 
— Je viens tout juste de commencer à travailler avec Gordon », dit-elle. « Je viens d’ailleurs de gagner mon anneau. » Olson et Pénélope échangèrent un regard impressionné : la panoplie était gagnée sur des années, et non des semaines ou des mois. Savaient-ils que Kuhn l’avait reconnue pareillement? « J’en ai encore à apprendre avec lui… Mais je vais garder votre offre en tête.
— Nous serions honorés de travailler avec quelqu’un de ton calibre », dit Olson en portant le verre à ses lèvres, les yeux fixés sur elle.
« Je t’assure », ajouta Pénélope, « qu’il est rare que nous soyons aussi… invitants. »
Les paroles de Pénélope confirmèrent ce que le regard d’Olson avait suggéré : leur invitation ne se bornait pas à des discussions philosophiques. Elle se sentait comme une souris devant une paire de chats.
Elle déposa son cocktail et se leva. « Ça m’a fait plaisir de faire votre connaissance, mais je suis fatiguée. Et je préfère ne pas rentrer trop tard, vu que j’ai désactivé mes défenses pour entrer dans le Cercle. La Cité est une ville dangereuse… »
Pénélope se leva pour lui faire la bise et l’étreindre. « Je suis certaine que tu sais te défendre quand même. »
«  Sans doute », répondit-elle en serrant la main d’Olson qui, lui, ne daigna pas se lever.
Elle prit son congé, tout autant déprimée qu’à son arrivée.
C’est maintenant officiel : je suis trop vieille pour les bars.

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