Olson fit un nouveau mouvement en
direction du bar. Félicia suivit son regard. Une femme resplendissante
s’approchait en leur souriant. Ses cheveux blonds et bouclés avaient le volume
de la crinière d’un lion; sa robe – superbe – chatoyait dans l’éclairage du
Den. Elle marchait à petits pas sur des talons d’échassier, veillant à la
stabilité du plateau de cocktails qu’elle apportait.
Félicia pensa d’abord qu’elle avait
affaire à une serveuse du salon privé, mais avait-elle jamais vu une employée
d’Henriquez vêtue ainsi? À mesure qu’elle s’approchait, Félicia remarqua
certains détails révélateurs… Ses seins trop gros, quoique parfaitement
naturels en apparence… Sa taille trop fine… Sa peau trop lisse… Ses traits trop
parfaits.
Cette femme sortait du même moule
qu’Olson.
Le Maître se leva pour l’accueillir.
« Félicia, je te présente Pénélope. Pénélope, Félicia. »
Félicia s’apprêtait à offrir un
simple enchantée lorsque Pénélope
s’exclama « Oh mon Dieu! Ça fait tellement plaisir! J’ai tellement entendu parler de toi! »
Félicia força un sourire, tentée de
dire que, pour sa part, personne ne lui avait jamais parlé d’elle.
La nouvelle venue distribua les
cocktails qu’elle avait apportés et tout le monde se rassit. Olson conserva le
centre; Pénélope prit place à sa gauche. Les deux demeurèrent tournés vers
elle, Pénélope pressée contre le dos du Maître, ses bras l’enserrant comme une
pieuvre.
« Je disais à Félicia que
j’aimerais beaucoup qu’elle travaille avec nous », dit-il.
Cette bimbo était donc une initiée.
Félicia l’avait supposé sans vraiment y croire : elle paraissait
l’incarnation de la superficialité, de la vacuité intellectuelle qu’elle
prêtait par réflexe à ce genre de poupée humaine.
Comme pour nourrir le stéréotype,
Pénélope répondit : « Oh! Ce serait fan-ta-stique. Ce serait mieux
que… Ses lèvres prononcèrent un Adam Van
Haecht silencieux. Avait-elle peur qu’il l’entende? « J’aime beaucoup
ta robe, en passant.
— Oh. Merci. La tienne est…
époustouflante. » Après un instant, elle ajouta : « Ton corps
aussi. En fait, vos corps. Ça a dû demander beaucoup d’efforts. »
Pénélope reçut la remarque comme un
compliment. Son sourire fit apparaître des fossettes sur ses joues. « Tes
seins », dit-elle, « tu les as améliorés toi aussi, n’est-ce pas?
J’ai l’œil pour ce genre de choses…
— Polkinghorne m’a aidée…
— Beau travail, sincèrement. Si tu
veux, je peux certainement suggérer certains ajustements… Tout est dans les
détails. Des détails qu’un homme homosexuel ne saurait reconnaître…
— C’est gentil, merci », dit
Félicia, tout en invectivant Pénélope de mille façons créatives en pensée.
« Alors », demanda Olson,
« es-tu intéressée?
— Je viens tout juste de commencer à
travailler avec Gordon », dit-elle. « Je viens d’ailleurs de gagner
mon anneau. » Olson et Pénélope échangèrent un regard impressionné :
la panoplie était gagnée sur des années, et non des semaines ou des mois.
Savaient-ils que Kuhn l’avait reconnue pareillement? « J’en ai encore à
apprendre avec lui… Mais je vais garder votre offre en tête.
— Nous serions honorés de travailler
avec quelqu’un de ton calibre », dit Olson en portant le verre à ses
lèvres, les yeux fixés sur elle.
« Je t’assure », ajouta
Pénélope, « qu’il est rare que nous soyons aussi… invitants. »
Les paroles de Pénélope confirmèrent
ce que le regard d’Olson avait suggéré : leur invitation ne se bornait pas
à des discussions philosophiques. Elle se sentait comme une souris devant une
paire de chats.
Elle déposa son cocktail et se leva.
« Ça m’a fait plaisir de faire votre connaissance, mais je suis fatiguée.
Et je préfère ne pas rentrer trop tard, vu que j’ai désactivé mes défenses pour
entrer dans le Cercle. La Cité est une ville dangereuse… »
Pénélope se leva pour lui faire la
bise et l’étreindre. « Je suis certaine que tu sais te défendre quand
même. »
« Sans doute »,
répondit-elle en serrant la main d’Olson qui, lui, ne daigna pas se lever.
Elle prit son congé, tout autant
déprimée qu’à son arrivée.
C’est
maintenant officiel : je suis trop vieille pour les bars.
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