dimanche 7 octobre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 241 : Urgences, 4e partie

La malchance continua pour Hoshmand : de retour au Centre, les taxis qu’il croisa étaient presque tous occupés. L’exception ne paraissait pas avoir de passager, mais elle ne ralentit pas plus malgré ses gesticulations frénétiques. Il crut que sa démarche claudicante avait peut-être fait croire au chauffeur qu’il était fin saoul, ou bien un cas lourd de santé mentale. Maintenant que Gauss avait été pris en charge, il aurait été inutile de voler une voiture. Si seulement son téléphone pouvait trouver une connexion…
Lorsqu’un taxi finit par s’arrêter, chose surprenante – particulièrement à cette heure, dans ce quartier de la ville – son conducteur était un petit bout de femme à la peau basanée.
« Où va où? », demanda-t-elle sans que Hoshmand ne puisse situer son accent.
Il articula minutieusement.
« Troisième avenue, troisième rue. 
— Je vais. »
Il s’attendait à moitié à ce que son manque de veine se poursuive, mais elle s’avéra une conductrice impeccable. Il avait donné tout son argent en échange d’un panier d’épicerie réquisitionné à bout portant. Il paya avec sa carte et donna un généreux pourboire à la conductrice. Elle s’en fut avec lui souhaitant un Bonne jouar enthousiaste.
En effet, c’était maintenant le jour. Le soleil dissipait la noirceur même s’il demeurait encore sous l’horizon. Il continua de boiter jusqu’à la porte marquée URGENCES.
On lui confirma qu’on s’occupait du cas de M. Gauss, mais on refusa de lui en dire plus.
« M. Gauss est mon locataire; je l’ai trouvé. Je peux contacter sa famille. »
L’homme de la réception s’éloigna de quelques pas et passa deux coups de fil. Il consentit ensuite à ajouter : « Il est encore sous observation. Son état est sérieux, mais sa vie n’est pas en danger immédiat. Vous pourrez dire à sa famille que les visites ne sont pas permises pour l’instant. » Hoshmand poussa un soupir de soulagement. Il allait pouvoir aller se coucher l’esprit tranquille. Quelqu’un d’autre – Gordon ou Avramopoulos – pourrait s’occuper de le faire sortir et de traiter le contrecoup, si c’était bien la cause de son état.
Il considéra un instant s’inscrire lui-même à l’urgence pour qu’on traite son dos, mais il décida que ça n’était rien, pour peu qu’il n’ait pas à traîner un corps humain avant quelques jours… Il réalisa toutefois qu’il avait faim. Il trouva sans problème des machines distributrices, mais il n’avait toujours pas un sou en argent comptant. Il se perdit dans l’hôpital à la recherche de la cafétéria; il erra un moment sans jamais considérer demander son chemin. Il finit par se retrouver à l’urgence sans avoir trouvé. La fatigue gagna sur la faim; il lança l’éponge et se dirigea vers la porte par où il était arrivé.
C’est alors qu’il entendit une voix familière. Eleftherios Avramopoulos argumentait avec le préposé aux admissions en exigeant qu’on lui permette de voir Gauss. Hoshmand fut amusé par l’expression condescendante de l’employé. N’ayant aucune idée à qui il avait affaire, il ne pouvait voir qu’un p’tit gars capricieux et entêté.
Un instant, se dit Hoshmand. Comment sait-il pour Gauss? S’il avait des alliés dans le CHULC qui l’avaient informé de l’admission de Gauss, il les aurait rejoints sans se présenter à l’entrée comme un quidam.
Gordon.
Il avait dû prétexter qu’un de ses contacts à lui lui avait appris la nouvelle. Avramopoulos était peut-être un vieux con, mais on ne pouvait pas lui reprocher de veiller sur ceux qu’il jugeait dignes de son attention. Hoshmand se demandait ce que Gordon avait pu lui dire pour qu’il se déplace en personne plutôt qu’envoyer Polkinghorne. Peu importe le pourquoi et le comment : Hoshmand comprenait très bien que Gordon lui offrait l’occasion dont ils avaient discuté. Pour peu que son dos ne le trahisse pas…
Hoshmand se positionna en veillant à ne pas être remarqué. Le ton avait encore monté d’un cran. Avramopoulos engueulait le préposé qui menaçait d’appeler la sécurité. Celui-ci n’eut qu’à crier « SAM! » pour qu’une sorte d’armoire à glace en uniforme tourne le coin. Loin d’avoir le caquet rabattu, Avramopoulos redoubla de vigueur dans ses cris et ses insultes.
Qu’il réussisse ou pas ce qu’il prévoyait tenter, Hoshmand se considérait déjà gagnant d’avoir pu assister à cette scène. C’était très, très satisfaisant de voir Avramopoulos piaffer et cracher de frustration.
Hoshmand observa attentivement les positions des uns et des autres. Il devait trouver le moment idéal pour agir, mais s’il attendait trop, il risquait de manquer sa  chance.
Le gardien prit Avramopoulos par l’épaule et entreprit de le reconduire vers la sortie. Coup de chance, il choisit son épaule gauche; Hoshmand sut alors que c’était là ou jamais.
Il prit une profonde inspiration et se mit à marcher aussi vite et droit qu’il put l’endurer, sachant bien que son dos lui ferait payer en double chaque seconde où il ignorait sa douleur. Il doubla Avramopoulos sur la droite juste avant que le gardien ne lui fasse traverser la grande porte automatisée. Avec la vitesse et la précision du cobra, il mit la main dans la poche de la veste d’Avramopoulos. Ses doigts se refermèrent sur la surface lisse de la précieuse statuette.
Avramopoulos était trop distrait pour ressentir quoi que ce soit. Hoshmand bifurqua à angle droit dès qu’ils furent sortis. Il ne ralentit pas avant d’avoir la certitude d’être sorti du champ de vision de son ancien maître.
Il s’adossa contre un mur de briques et laissa échapper un grognement plaintif. Il avait faim, il était épuisé, son dos était en compote, mais tout cela avait valu la peine au final. Il tenait dans sa main le moyen d’obtenir toutes les faveurs dont il avait besoin.

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