dimanche 21 octobre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 243 : Visites

Une fois de plus, l’anneau de Gordon lui montrait le chemin.
En plus d’avoir rendu possible l’existence de son impressionnant Nœud, le bijou avait quelques autres utilités pratiques. L’une d’elles était toute simple : Gordon pouvait facilement deviner où l’une de ses connaissances se trouvait en suivant la direction du fil éthéré qui le reliait à lui. Ce n’était ni automatique, ni toujours précis, mais souvent, cet indicateur suffisait. C’est ainsi qu’il put savoir quand Avramopoulos retourna au chevet de Gauss sans avoir à le filer. C’était pour lui le moment d’agir – et peut-être franchir une nouvelle étape dans la réalisation de son plan.
Une fois à l’hôpital, il se dirigea d’un pas vif jusqu’à la chambre de Gauss, trépidant derrière sa façade assurée, les mains moites et les doigts gelés par la nervosité.
La chambre de Gauss se trouvait dans une section retirée de l’aile nord. Le troisième étage, loin de la cohue des admissions ou de l’urgence, baignait dans une atmosphère feutrée. Même les infirmiers et le personnel d’entretien semblaient soucieux d’étouffer jusqu’au bruit de leurs pas.
Gordon poussa la porte et trouva Avramopoulos assis au bord de sa chaise, le menton appuyé sur ses jointures comme le Penseur de Rodin. Il accueillit Gordon en disant : « Si tu es venu te moquer de moi, je te le dis tout de suite : je ne suis pas du tout d’humeur. » Gordon affecta l’indifférence tout en savourant l’inconfort de son maître.
Gauss semblait dormir d’un sommeil paisible, pour peu qu’on choisisse d’ignorer la tuyauterie qui l’envahissait, scellée à sa bouche par une croûte jaunâtre, sans doute un symptôme écœurant du mal qui l’avait pris.
« Sais-tu quoi faire pour le guérir? »
Avramopoulos haussa les épaules. « Tant qu’il est ici, je ne peux pas l’examiner. Tant que je ne l’aurai pas examiné, je n’en sais rien. 
— Pourquoi tu ne le fais pas sortir, alors?
— Tu le sais très bien. »
Oh oui, Gordon le savait.  Habitué de s’appuyer sur le pouvoir de sa statuette, Avramopoulos ne disposait pas d’autre moyen de parvenir à ses fins tout en maintenant la discrétion exigée par les principes de la grande trêve. Il pourrait sans doute développer un procédé approprié, mais dans combien de temps? « Pas de statue, pas de salut, hein?
— Je te l’ai dit, je ne suis pas d’humeur », répéta-t-il. Comme si tu te souciais de l’humeur des gens dont tu te moques, pensa Gordon pendant qu’Avramopoulos continuait : « Je l’ai retrouvée une fois, je la retrouverai encore. C’est une question de temps. »
Gordon ignorait à quoi exactement il faisait allusion. Il dit : « Si tu veux que je t’aide, tu n’as qu’à me le demander. »
Avramopoulos fronça les sourcils. « M’aider comment?
— Tiens : imagine que je trouve ta statuette avant toi… »
Avramopoulos bondit hors de sa chaise. « Je savais que c’était toi! »
Gordon posa son doigt sur ses lèvres puis pointa Gauss comme pour dire Calme-toi! Le jeune-vieux hésita un instant puis se renfrogna, les bras croisés et des dagues dans les yeux. Il attendait toujours une réponse.
« Je te jure que je n’ai pas posé la main sur elle. En ce moment, je ne pourrais dire où elle se trouve. »
Avramopoulos dévisagea Gordon un instant avant de se détendre. Il avait toujours été très apte à détecter les mensonges de Gordon, à un point tel que celui-ci soupçonnait l’usage d’un truc. Gordon avait toutefois vite appris que le Maître n’était pas aussi doué pour reconnaître comme telles les omissions qui se cachaient derrière des paroles par ailleurs véridiques.
Gordon allait poursuivre lorsque la porte de la chambre s’ouvrit.
« Vous êtes qui, vous autres? Qu’est-ce que vous faites ici? »
Avramopoulos, interloqué, semblait se poser la même question à propos de la nouvelle venue. Gordon, lui, la reconnaissait. C’était l’ex-femme de Gauss.
« Vas-y », dit-il en allemand à Avramopoulos d’un ton qu’il voulait condescendant. « Je m’occupe d’elle. »
Avramopoulos sortit, bouillant de frustration. Gordon n’avait pas réussi à jouer ses cartes comme il l’espérait, mais ça n’était que partie remise. À défaut d’avoir obtenu son secret, il ressortait au moins avec la satisfaction de son déplaisir.
« Alors? », demanda Geneviève.
« Entrez, entrez, je vous en prie », lui dit Gordon avec un sourire chaleureux.
Il pouvait voir qu’elle usait fréquemment du composite O; la suite des choses ne serait qu’une formalité. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire