Édouard s’attendait à ce qu’ils
s’attablent tous les deux et qu’ils commencent la séance. Mais Félicia posa
plutôt sur la table un carton sur lequel elle traça un grand cercle au pinceau.
Elle se mit ensuite à l’enluminer d’une série de caractères, les mêmes que dans
le manuscrit de Voynich. Pour Édouard, il s’agissait d’un charabia, mais les
gestes précis de Félicia montraient plutôt qu’elle savait exactement ce qu’elle
faisait. « Je commence à comprendre pourquoi le Ouija n’a jamais marché
pour moi », lança-t-il à la blague après un long moment de silence.
Félicia continua sans répondre, sans même donner de signe qu’elle avait
entendu. Édouard décida d’aller s’asseoir au salon et d’éviter de la
déranger davantage. Il fallut encore plusieurs minutes avant qu’elle ne dépose
son pinceau et déclare : « C’est prêt! »
« Je n’arrive pas à croire que
ça puisse marcher vraiment », dit-il alors qu’elle posait le plateau de
Ouija au centre du cercle.
« Je ne sais pas encore si ça
va fonctionner…
— Ah non?
— Non. C’est mon idée : mon
procédé a besoin d’un dispositif pour faciliter la communication avec Hill. Quoi
de mieux qu’un jeu de Ouija, conçu spécifiquement pour cela?
— Ton procédé?
— Tout ce qui touche à l’au-delà,
c’est moi la spécialiste… Je suis responsable des plus grandes avancées dans le
domaine depuis… Depuis toujours, en fait.
— Impressionnant », dit
Édouard, sans trop savoir quoi penser de ces révélations.
Félicia, pour sa part, ne cachait
pas sa fierté. « Plutôt, oui. En fait, je suis en train de me faire une
réputation : celle qui fait reculer les limites de l’impossible. Je ne
sais pas si ça va fonctionner… mais j’ai confiance. Let’s go. » Elle s’assit à table et invita Édouard à faire
pareil. « Essaie d’entrer en état d’acuité autant que tu peux »,
ordonna-t-elle en fermant les yeux.
Malgré tout son temps à méditer
comme un forcené, Édouard n’avait atteint ce qu’il présumait être cet état qu’à
deux reprises. La première fois, c’était le jour où il avait trouvé Ozzy au
milieu de la forêt; la seconde fois, lorsqu’il avait médité sans le savoir dans
la zone radiesthésique… Après quoi il s’était réveillé à l’hôpital. Il ferma
les yeux à son tour et tenta de retrouver la voie.
La voix de Félicia le tira de son
effort. « Édouard? Je suis prête.
— Qu’est-ce que je dois faire?
— Pose les deux mains sur la
flèche… Merci. Allons-y. Narcisse Hill. Narcisse Hill. M’entends-tu,
Narcisse? »
Édouard était aux prises avec un
double sentiment… D’une part, il ressentait la même excitation que lorsqu’il
avait tenté le coup, encore adolescent; d’autre part, il était effrayé à l’idée
d’invoquer l’entité qui avait brièvement possédé sa fille… « Narcisse
Hill. Es-tu là? Narcisse Hill », scandait Félicia en boucle.
Édouard sursauta lorsque la flèche
qu’ils tenaient à quatre mains darda soudainement vers le Oui de la planche. « Qui est là? », demanda Félicia avec
un aplomb impressionnant. La flèche se mit à dériver vers le H, puis le I et le
L. La flèche frémit ensuite, comme pour signaler le second L.
« Narcisse Hill… Es-tu
mort? »
Édouard trouva la question pour le
moins étrange. La flèche se dirigea très lentement vers le haut du plateau, à
mi-chemin entre le Oui et le Non. « Peut-être?
— Chut », dit Félicia.
« Tu connais Harré », continua-t-elle. C’était plus une affirmation
qu’une question, mais la flèche glissa néanmoins vers le Oui. « Quel est son prénom? »
La flèche dériva vers le R à une
vitesse d’escargot. Le visage de Félicia était si tendu qu’Édouard doutait
qu’elle respirât. La flèche se dirigea ensuite vers le O, puis s’arrêta au M.
Félicia ne posa pas d’autre question, attendant peut-être que la présence
continue à épeler. Elle avait mentionné ce Harré lorsque Hill s’était exprimé
pour la première fois à travers Alice… Elle l’avait qualifié de meurtrier.
Édouard se demandait si ROM correspondait bel et bien à la réponse attendue.
Elle demanda ensuite : « Quel est ton rapport avec Harré? »
La flèche se remit en mouvement à
l’instant où elle finit sa phrase. Cette fois, elle alla sur P, puis E avant de
s’arrêter sur N. La réponse la confondit. « PEN?
— Peut-être qu’il veut une plume?
— Attendons… » Ils laissèrent
les minutes passer, mais la flèche demeura immobile. « Hill, préférerais-tu
écrire? » La flèche ne bougea pas plus. « J’ai une idée », dit
Félicia. Elle remonta une manche et trempa son pinceau dans l’encre. Elle traça
quelques caractères au niveau de son coude et un autre sur sa main. Celui-là,
Édouard le reconnut : c’était le même qu’elle avait peint sur la joue
d’Alice lorsqu’elle tentait de contacter Frank. Félicia déplaça le plateau de
Ouija pour positionner son bras à sa place, au centre du Cercle, stylo en main.
Instantanément, la main de Félicia se
mit à écrire à toute vitesse. En trois minutes la moitié du cercle était noirci
de lettres serrées et stylisées. « Va chercher d’autres cartons dans la
chambre des maîtres, vite! », s’écria-t-elle lorsque les écritures
dépassèrent les trois quarts du cercle sans que le débit n’ait ralenti.
Édouard obéit sans hésiter. Une
séance spirite et de l’écriture
automatique? À ce rythme, il allait avoir personnellement expérimenté la
totalité de son encyclopédie Les mystères
de l’inexpliqué avant la fin de l’année…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire