Mike Tobin se réveilla en sursaut.
Il se sentait faible, très faible, comme s’il habitait désormais un corps au
poids décuplé. Et nauséeux comme un ivrogne grippé.
Première constatation : il
était nu, enveloppé dans un sac de couchage enterré sous une pile de
couvertures malodorantes. Aucun doute là-dessus : il se trouvait au
Terminus. Mais il n’avait pas la moindre idée de comment il s’était endormi là.
Il fut foudroyé par un éclair de
douleur dès qu’il essaya de se redresser. Il tenta de rouler sur le côté, de se
recroqueviller en réponse à l’agonie, mais le second mouvement fut aussi pénible
que le premier. Il serra les dents, les larmes fuyant sur son visage, et
attendit que la souffrance redevienne un simple inconfort.
Il lui fallut plusieurs minutes pour
que la sensation cuisante disparaisse. Plutôt que risquer un nouveau mouvement
brusque, il procéda graduellement… Il referma une main, remua un bras, puis
roula une épaule. La douleur semblait circonscrite à son abdomen; il disposait
au moins de la gouverne de ses membres.
Il tâta son ventre tout doucement.
Ses précautions n’étaient pas vaines : il lui suffit d’effleurer une bosse
de chair durcie qu’il trouva sur son ventre pour deviner que toute pression le
renverrait en enfer. La texture de la bosse lui laissait croire qu’elle était
formée de tissus cicatriciels.
Son esprit demeurait flottant dans
la poisse de l’inconscience prolongée. Il tenta de retrouver le fil de ses
derniers souvenirs, mais rien ne lui apparut, sinon des banalités qui ne lui
apprirent rien.
Il essaya de parler, d’appeler
quelqu’un, mais il ne réussit qu’à produire un grognement sans substance.
Après un long silencieux et immobile
d’une durée indéterminable – il ne pouvait pas affirmer être resté éveillé tout
ce temps –, il entendit le bruissement de pas non loin.
Il râla : « Allo? »
Quelqu’un vint s’asseoir à côté de
lui. Il lui fallut un instant pour que l’image focalise sur le visage plaisant
d’Aizalyasni.
Elle était mignonne, comme toujours
– elle n’avait guère de compétition pour le titre de Miss Terminus –, mais
quelque chose dans son attitude avait changé. Tobin s’était habitué à ses
manières pleines de retenue et à son regard que d’aucuns pouvaient juger
fuyant. Là, elle souriait de toutes ses dents; ses yeux pétillaient d’une énergie
que Tobin n’avait aperçue que rarement… Le plus souvent, lorsque Rem flirtait
avec elle…
Rem.
Tobin venait de trouver un fil d’Ariane pour reconstruire ses derniers
souvenirs… Son retard pour l’oraison. Les remontrances d’un Rem, excédé.
L’incendie. La fusillade… Puis plus rien. Tobin s’activa, soucieux pour son complice,
mais il réussit surtout à générer une nouvelle vague de douleur.
« Rem est vivant… ses blessures
sont pires encore que les tiennes. », dit Aizalyasni, malgré que Tobin
n’ait encore rien demandé. « Nous pensons qu’il va s’en sortir »,
ajouta-t-elle avec une grimace.
Pourquoi
grimace-t-elle?
« Parce que j’étais en train de
tomber en amour avec lui. Mais c’était avant que je le voie en-dedans… »
Ouais.
Pas surprenant alors… Elle grimaça à nouveau. Oups! Je dois faire attention à ce que je pense. La la la la
lère-euh…
Aizalyasni lui sourit, une fois
encore comme s’il s’était exprimé à voix haute. Son regard avait quelque chose
d’intense, trop intense… Avait-elle cligné des yeux, ne serait-ce qu’une fois,
depuis son arrivée?
Au prix de quelques efforts, Tobin
réussit à articuler « Qu’est-ce qui s’est passé?
— Un miracle », répondit la
voix de Timothée. « Un véritable miracle.
Tobin tourna la tête, veillant à ne
pas contracter les muscles de son torse, pour apercevoir Timothée et Martin qui
s’approchaient. Le sourire d’Aizalyasni s’élargit encore.
Timothée s’assit à côté de Tobin, en
face d’Aizalyasni; Martin, quant à lui, s’installa tout près de sa tête, dans
l’axe de son corps. « Nous avons pris notre place », dit Timothée.
« Nous avons trouvé notre
rôle », continua Martin.
« Lorsque Madame agit, elle
risque de se perdre.
— Alors, elle nous a liés l’un à
l’autre...
— Et nous avons agi à sa
place. »
Ils continuèrent à parler chacun
leur tour, en parfaite concordance, les uns finissant les idées commencées par
un autre. Dans son étourdissement, Tobin perdit vite le fil de qui disait quoi.
« Aizalyasni a la puissance
brute.
— Une naturelle…
— Martin a la discipline mentale…
— D’un ancien toxicomane…
— Sous contrôle depuis quinze ans.
— Sans parler de son ancienne
carrière…
— Timothée est têtu comme une mule…
— Et plein d’admiration…
— D’amour pour les deux
autres... »
Aizalyasni et Timothée se caressèrent
la main au-dessus de Tobin. Tim et
Aizalyasni?
« Nous avons réussi à tromper
les assassins.
— Et à vous guérir, Rem et toi.
— Madame dit que c’était notre
destin…
— Que nous sommes maintenant
entiers.
— Nous sommes plus que la somme de
nos parties.
— Nous sommes autre chose que
Madame.
— Nous sommes uniques.
— Du jamais vu.
— Et nous, nous pouvons agir…
— Sans risque de se perdre. »
D’un commun accord, les trois
prirent la même posture que durant les oraisons. Une étincelle apparut entre
les paumes de chacun, sans le moindre délai. La lumière était chatoyante et
douce, différente de celles qu’il avait vues auparavant.
« Qu’est-ce que… »
Tobin n’eut pas le temps de finir sa
question. Il reçut l’imposition de six mains, et la sensation qu’il ressentit
fut d’une intensité telle qu’il perdit à nouveau conscience en moins d’une
seconde.
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