Alexandre se pointa
avec une dizaine de minutes de retard. Il courait sous la pluie, tête basse, le
capuchon remonté. Il fit un signe à Édouard dès qu’il l’aperçut à son entrée
dans le restaurant. Il avait choisi un box en coin, avec une banquette pour
deux des côtés de la table – idéal pour les conversations discrètes.
« Hey!
— Hey. »
Édouard était en
alerte, à la recherche de quelque chose qui soit capable de justifier
l’inquiétude qu’il avait pressentie. Un détail attira son attention, mais
Alexandre prit la parole avant qu’il ne puisse le mentionner. « As-tu eu
des nouvelles de la Fondation? », demanda-t-il en se glissant sur la
banquette capitonnée.
— Non… Hey, Alex, as-tu
eu un lift pour venir ici?
— Un lift? » La
question semblait venir de nulle part, mais elle l’embarrassa clairement.
« Un taxi,
peut-être?
— Pourquoi tu demandes
ça? », dit-il avec un rire nerveux.
« Ton manteau n’est
pas tout mouillé… Vu que tu n’as pas de voiture, je me demandais… »
Une serveuse arriva,
toute pimpante. « Allô! », dit-elle à Alexandre. « Est-ce que je
vous sers quelque chose?
— Je vais prendre un
café.
— Quelque chose à
manger?
— Ouais. Euh… Des
gaufres? Avec du sirop.
— De la crème fouettée
avec ça?
— Je ne peux pas dire
non! »
Elle lui fit un
sourire adorable en remplissant sa tasse, puis elle continua sa tournée.
Alexandre huma son café. « Comment ça se fait que je n’étais jamais venu
dans ce resto avant que tu me le fasses connaître?
— Bien essayé…
— Quoi?
— Tu esquives mes
questions... Alex, qu’est-ce qui se passe? »
Son neveu soupira et
frotta ses paumes contre le coin de table en un geste à moitié nerveux, à
moitié distrait. Il semblait chercher ses mots. Après un long moment, il fit
une grimace en haussant les épaules. Il prit son téléphone et tapa un court
message, trois ou quatre caractères.
« Alex… Dis
quelque chose… »
À défaut de répondre à
sa demande, il tourna la tête vers la vitrine. Interloqué, Édouard suivit son
regard. Une silhouette familière trottait sous la pluie, arrivant par le même
chemin qu’Alex quelques minutes auparavant…
Oh non.
Il se leva comme s’il
avait reçu un coup de fouet.
De vieilles blessures
furent ravivées en un clin d’œil, et avec elles toutes ces douleurs enfouies
dans la poussière du temps, mais jamais guéries…
Philippe, son frère,
entra dans le restaurant, les lunettes embuées, le front dégoulinant.
« Alex… »,
dit Édouard d’un ton geignard dans lequel il reconnaissait l’adolescent qu’il
n’était plus depuis longtemps. « Pourquoi? » Tristesse, colère,
sentiment de trahison, de vulnérabilité… Il débordait d’émotions, toutes
désagréables.
« Assis-toi »,
dit Philippe. « Il est temps qu’on se parle. »
Si une sortie s’était
trouvée derrière lui, Édouard aurait battu en retraite. Mais le box qu’il avait
lui-même choisi l’acculait au pied du mur. Le visage déformé par une moue
désabusée, il se laissa tomber sur son siège.
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