dimanche 21 février 2010

Le Noeud Gordien épisode 108: L'argent...

Épisode 108 : L’argent…
Karl Tobin était enfoncé dans le fauteuil le plus confortable qui lui avait été donné d’essayer à ce jour. Les boiseries sombres dégageaient une impression de luxe, un luxe d’autant plus class qu’il n’avait rien de criard. Une grande fenêtre laissait filtrer à la fois la brillance des étoiles et celle, beaucoup plus intense, des lumières de la ville en contrebas.
Gordon lui demanda : « Voulez-vous boire quelque chose? 
— Je prendrais un Jack Daniel’s.
— Je suis peu friand de bourbon. Est-ce qu’un scotch conviendrait?
Whatever. »
Gordon lui prépara un verre. Il n’avait pas mis de glace. Karl en prit une rasade; l’alcool était doux comme de l’eau parfumée dans sa bouche mais elle ne réchauffait pas moins sa gorge et son ventre. C’était bon, mais il préférait généralement quelque chose avec plus de punch.
Gordon leva son verre. « Je vous souhaite la bienvenue parmi nous, Karl ». Ce dernier répondit d’un mouvement circonspect. Gordon ne parut pas remarquer son air renfrogné. L’homme qui avait officié l’initiation de Karl était élégant, articulé, tout l’opposé de Tricane. Il s’assit sur un fauteuil de cuir orienté à 45 degrés de celui de Tobin.
« Dites-moi, Karl, quels sont vos objectifs dans la vie? » Après un haussement d’épaules, Tobin répondit candidement : « Faire de l’argent et rester loin de la marde ». Une seconde de réflexion, puis il pointa sa jambe morte. « Pouvoir courir comme avant, aller où je veux. 
— Est-ce tout?
— C’est pas mal ça », répondit Karl. « Et toi? C’est quoi ton but? » Gordon échappa un petit rire doux. « Éviter la marde, comme vous dites, est un but que nous partageons. Mais si vous permettez que j’explore des éléments de votre réponse… J’aimerais savoir ce que l’argent vous amène, au juste…
— Le pouvoir, le luxe, la sécurité.
— Très bien. Imaginons que vous ayez autant d’argent que vous souhaitez. Sans limite. Qu’en feriez-vous?
— Je ne sais pas… Je commencerais par me faire des réserves. » La réponse était sincère. La fortune est quelque chose qui va et qui vient; même dans cette situation imaginaire, protéger ses acquis s’imposait comme un réflexe. « Et après? Pensez-y… Amenez la réflexion au plus loin que vous le pouvez. Demandez-vous toujours : et après? »
Mentalement, Karl se voyait au volant de voitures sport, à la barre d’un yacht, descendant de son jet privé… et après? Une grosse maison. Non, un manoir. Un château. En Europe. Il ouvrirait des succursales de sa quincaillerie dans toutes les villes du continent. Il pourrait s’en servir pour étendre ses opérations criminelles partout dans le monde. Et après? Pourquoi étendre ses opérations – légitimes ou criminelles – s’il possédait déjà autant d’argent qu’il le souhaitait? S’il n’avait plus besoin d’accumuler des ressources, il ne lui restait qu’à s’en servir pour… Quoi, au juste?
 « Alors? », demanda Gordon.
« Ma première pensée va à la sécurité, ensuite au luxe… Finalement, pouvoir, j’imagine.
— C’est parfaitement cohérent avec ce que vous disiez tout à l’heure. Mais je vois à votre expression que quelque chose demeure confus…
— Ouais. En fait, c’est qu’à date, dans ma tête, argent égale pouvoir. Le pouvoir sert à aller chercher de l’argent et l’argent à aller chercher du pouvoir. Ça tourne en rond. Lorsque tu m’as demandé ce que je ferais si j’avais tout l’argent que je veux, tout de suite, je suis revenu à ça.
— Et pourquoi cette logique ne fonctionne-t-elle pas?
— Parce que si je me sers de l’argent, pour du pouvoir, pour de l’argent… si j’ai tout l’argent que je veux en partant, c’est un non-sens.
— Nous arrivons là où je voulais vous conduire, Karl. Nous sommes conditionnés à faire équivaloir argent et pouvoir à un point tel que nous ne pensons plus aux questions les plus importantes…
— Quoi?
— Au fond… Qu’est-ce que le pouvoir, véritablement? » Gordon prit une lampée de scotch. « Le vrai pouvoir, au-delà de l’argent. Ça, c’est intéressant ».  Tobin prit une gorgée à son tour. Il était impatient d’entendre la suite.

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