dimanche 20 juin 2010

Le Noeud Gordien, épisode 125 : Révélations, 2e partie


Le jeune homme laissa la menace planer pendant un instant, puis son hilarité reprit le dessus. Édouard eut l’impression fugace que ce rire était plus forcé que les précédents, mais quelques secondes suffirent pour qu’il l’oublie et rejoigne l’autre dans sa jubilation. Une fois qu'il fut calmé, ils reprirent simultanément une gorgée. C’était si bon.
« Alors?
— Quoi, alors?
— Quel est votre domaine
— Avant de te répondre, je peux te poser quelques questions? » Le sourire d’Eleftherios s’était élargi. Il fit signe à Édouard de prendre place sur le lit.
« Seulement si c’est pour répondre aux miennes! » Il s’assit sur un coin du matelas.
« Est-ce que tu apprécies seulement les femmes ou aimes-tu aussi les hommes?
— Heu, sans vouloir t’offenser, les hommes c’est pas vraiment mon truc. » Édouard eut la tentation de se relever.
« D’accord, d’accord. Merci. Est-ce que tu crois en Dieu?
— Non. Enfin, pas le Dieu des religions…
— Quoi alors?
– Un créateur intelligent, une force universelle, passe encore… Certainement pas un barbu en toge assis dans les nuages. Disons que je suis agnostique et ouvert.
— Bien, bien… Réponds sans réfléchir : si tu avais un pouvoir illimité, qu’en ferais-tu?
— J’essaierais de m’arranger pour enrayer la faim, la guerre, les inégalités. Si j’avais un pouvoir vraiment illimité, pas seulement politique, militaire ou financier, je voudrais savoir la réponse aux grandes questions sur l’univers et l’humanité… Pourquoi le monde? Pourquoi la vie? Est-ce que tout a un sens? Que faire sinon?
— Je t’ai dit de répondre sans réfléchir, mais tu y as déjà réfléchi n’est-ce pas?
— Haha. J’avoue… Quand j’étais petit, j’étais fan de super-héros…
— Je ne connais pas trop le domaine, je t’avouerai...
— Peu importe. Tôt ou tard, j’ai dû rêver à tous les superpouvoirs imaginables et à ce que j’en ferais. Ça fait réfléchir… Hey! Maintenant que je le mentionne, tu sais quoi? Je pense que j’ai trouvé.
— Quoi donc?
— Qui vous êtes et ce que vous voulez!
— Ah oui?
— Vous êtes une société secrète de gens avec des superpouvoirs. Je ne sais pas si vous êtes des mutants, des agents du gouvernement, des extra-terrestres en mission… Vous conspirez pour faire avancer votre agenda en demeurant cachés. Gordon travaille pour une autre faction que tu veux exposer sans te mouiller! »
La boisson rendait Édouard euphorique et désinhibé, mais une petite voix lui soufflait comment ce qu’il disait était ridicule. Une part plus large de sa conscience ressentait cependant à quel point le rapprochement était pertinent au point de l’évidence.
Eleftherios reçut la tirade les sourcils haussés et la bouche tombante; l’inévitable rire le reprit sauvagement à un point tel qu’il tomba hors du lit. Il continua à se rouler par terre – littéralement.
« Oh, Édouard! Comme tu m’intéresses! » Son affirmation prenait un double sens en la juxtaposant à sa question sur l’appréciation des hommes!
Encore assis par terre, le jeune homme sortit quelque chose de sa poche qui avait à peu près la forme et la taille d’un paquet de cigarette. Dans la pénombre, Édouard ne pouvait guère en distinguer les détails, mais c’était une sorte de statuette à la surface foncée et lisse; elle représentait peut-être une caricature d’humain, à moins qu’il s’agisse de quelque animal stylisé.
« Qu’est-ce que c’est?
— Ça, c’est un de mes superpouvoirs… Attends, je vais te montrer… »
Il plaça son doigt au milieu du front d’Édouard. Immédiatement, son regard devint vague. « Nous aurons cette discussion à nouveau un beau jour, mais pour l’instant, souviens-toi que tu as rencontré Hoshmand et que votre discussion ne t’a rien appris d’intéressant. Tu es satisfait de l’avoir trouvé, tu n’as plus besoin de le revoir. L’homme sur la photo, lui, est très important. Lorsque je vais retirer mon doigt, tu retourneras à ta voiture, tu iras te coucher. Tu es fatigué, très fatigué. Dès que tu seras dans ton lit, tu oublieras notre conversation jusqu’à ce que je te la rappelle. »
Après qu’Édouard eut quitté, Eleftherios déposa la statuette sur sa table de chevet – elle resterait inerte jusqu'à ce qu’il la recharge. Il remit la tâche au lendemain; il n’avait pas envie d’investir son moment d’ivresse extatique dans un travail fastidieux qui mobiliserait le reste de sa soirée. Il décida plutôt de finir sa bouteille en profitant de son excellente humeur.
Le regard hagard, Édouard marcha jusqu’à sa voiture. Comme un automate, il déverrouilla sa portière et conduisit jusqu’au stationnement de son appartement. Il était fatigué, très fatigué. Alors qu’il se dirigeait vers la porte de son bâtiment, une limousine vint brusquement s’interposer.
Le passager baissa la fenêtre. C’était l’homme de la photo. L’homme sur la photo était très important.
« Montez », dit-il simplement. Et Édouard monta. 

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