dimanche 30 janvier 2011

Le Noeud Gordien, épisode 155 : Infiltration, 2e partie

Édouard gravit les marches d’un large escalier dont le tapis rouge et moelleux offrait un avant-goût du chic salon privé. En haut, un portier aux allures de videur lui montra le chemin en inclinant la tête poliment. La dernière barrière était franchie : Édouard entra au salon privé du Den.
Son ventre papillonnait d’un mélange d’excitation et d’appréhension. Au cours des dernières semaines, il avait jonglé avec toutes les possibilités d’approche qu’il avait pu inventer. Il était prêt à mettre sa préparation à l’épreuve.
Édouard avait anticipé qu’un salon privé aurait une ambiance feutrée, il découvrit plutôt une atmosphère festive et des fêtards survoltés. Un coin entier était bloqué par une chaînette dorée, sans doute dans l’attente de gens assez importants pour qu’on leur réserve la meilleure place. Les tables étaient presque toutes occupées; on jouait du coude pour avancer à travers l’assistance dansante, chantante et riante. Le salon privé était plus vaste qu’Édouard ne l’avait imaginé. Il comptait sur l’effet de surprise rattaché à sa présence ce soir; il lui fallait donc trouver Aleksi avant qu’Aleksi ne le…
« Édouard Gauss, au Den! C’est un honneur! »
Édouard sursauta. Un homme au teint basané, le visage radieux, venait de lui mettre une main sur l’épaule. « Est-ce qu’on se connaît? », demanda-t-il, perplexe.
« Je suis Eric Henriquez, pour vous servir! M. Gauss, vous étiez la seule personne capable de me faire allumer la télévision! Je m’ennuie de vous, vous n’avez pas idée! » Henriquez fit une moue caricaturale. « Vous n’êtes pas en train d’enquêter sur mon humble établissement, j’espère?
— Le Den est à vous?
— C’est mon bébé », enchaîna-t-il sans dissimuler sa fierté.
« Excusez-moi, je n’ai pas entendu votre nom, avec la musique…
— C’est Henriquez, mais appelez-moi Eric!
— Seulement si vous m’appelez Édouard », répondit-il tout sourire en lui tendant la main. Henriquez la prit, visiblement ravi. Une seconde plus tard, son regard se déplaçait vers l’entrée : quelque chose demandait son attention.
« Tu es toujours le bienvenu en haut », dit Henriquez avec une tape amicale dans le dos d’Édouard. « Si tu as besoin de quelque chose, tu viens me voir, ok? N’importe quoi », ajouta-t-il avec un regard intense, comme pour souligner le sérieux de son offre. Dire qu’Édouard avait fait le pied de grue une demi-heure au froid!
Alors qu’il se rendait au bar qui trônait au centre de la section principale, il aperçut Alexandre dans son uniforme en train de transporter une caisse de spiritueux jusqu’à l’îlot. Ils échangèrent un bref regard entendu, après quoi Alex lui fit un signe de tête à peine perceptible. Édouard comprit qu’il lui signalait l’endroit où il trouverait Aleksi.
Il se commanda une pleine bouteille de rhum brun en demandant deux verres. Ainsi armé, il partit en direction de son objectif.
Son pouls s’accéléra lorsqu’il vit Aleksi Korhonen assis de travers, une jambe sur la banquette. Il avait le regard vague et le sourire un peu niais de l’homme aviné perdu dans ses pensées. Il caressait distraitement une bouteille de rouge bue aux deux tiers.
Édouard s’approcha prudemment sans qu’Aleksi ne relève sa présente. Il put ainsi mettre à profit l’entrée en matière qu’il avait imaginée encore et encore.
Il déposa la bouteille et les deux verres sur la table pour attirer l’attention d’Aleksi; ce dernier haussa les sourcils de surprise dès qu’il reconnut Édouard.
Il s’assit sans attendre d’invitation. « Je ne savais pas si tu aimes le rhum », dit-il comme à un vieil ami. « Je t’en verse un verre, Eleftherios? »
Il aperçut avec satisfaction une pointe d’affolement dans le regard du jeune homme. Il avait réussi à le bousculer. Il s’agissait maintenant de capitaliser sur son avantage. Les dés étaient jetés : Édouard ne pouvait plus commettre d’erreur. 

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