dimanche 12 juin 2011

Le Noeud Gordien, épisode 174: Victoire!

En un instant, tout était fini : Gordon et Avramopoulos s’écroulèrent dans le cercle maintenant déchargé de son pouvoir. Il leur fallut une seconde avant de réaliser où — et qui — ils étaient, en proie à la confusion qui suivait toujours la fin de la Joute. Lorsqu’ils le comprirent, ils échangèrent une étreinte en réprimant leurs sanglots.
C’était le tour de Joute le plus prenant de leur engagement – facilement l’un des plus intenses que Gordon ait vécu à ce jour.
Pour Hoshmand et Espinosa, tout avait été bouclé en quelques secondes, mais de leur point de vue, c’était toute autre chose… Cette fois, ils s’étaient retrouvés mêlés à une intrigue shakespearienne, leur identité effacée derrière des personnalités manichéennes. L’affrontement avait duré quelques semaines, mais chose rare, leurs personnages venaient avec des souvenirs étalés sur plusieurs années; ces souvenirs venaient nourrir leur antagonisme… tout en faisant apparaître leur Joute aussi longue qu’une vie.
Pendant ce temps, « Gordon » et « Avramopoulos » étaient relégués à l’arrière-scène de leur conscience pendant que les personnages en occupaient le centre; le processus s’inversait maintenant, alors que la réalité usuelle reprenait le dessus. Les détails de leur affrontement devenaient plus flous et distants; les émotions intenses et la confusion s’estompaient déjà, comme au réveil après une nuit de rêves fiévreux.
Un détail demeurait toutefois : Gordon sourit en réalisant qu’il venait de gagner son troisième affrontement consécutif.
« Awwwwww nuts », laissa tomber Hoshmand en comprenant qui sortait vainqueur. Il aurait donc à relever le défi de Gordon.
« Qu’est-ce que ce sera? », demanda Avramopoulos en essuyant ses larmes du revers de la main. Gordon fit mine de réfléchir, quoiqu’il ait su depuis longtemps ce qu’il demanderait.
« Je veux le repeuplement du Centre-Sud. » Hoshmand grogna. Il aurait à lutter contre l’effet répulsif du Cercle de Harré qui avait contribué à l’état actuel du quartier.
« Tu avances ton pion? » Avramopoulos répondit par l’affirmative. Il avait nommé Guido Fusco au début du deuxième tour, s’attendant peut-être à ce que Gordon le défie à son tour dans quelque affaire relative au crime organisé. Mais l’influence de Fusco ne se limitait pas au monde interlope; Avramopoulos pouvait se réjouir de son choix.
Gordon s’en réjouissait pareillement : il avait choisi ce défi dans l’espoir que ses adversaires le réussissent.
La Joute jouée, Avramopoulos et Hoshmand quittèrent l’église, laissant à Gordon et Espinosa le soin d’effacer le cercle de Joute.
« Comment penses-tu qu’ils vont s’y prendre? », demanda Gordon pendant qu’ils nettoyaient.
« Je dirais : en passant par les promoteurs immobiliers du Centre, certainement. Fusco a beaucoup d’amis…
— Oui. Et la mairie?
— Ils ne pourront pas aller loin sans appuis officiels. » Espinosa continua d’un ton subtilement différent : « Vu que Lytvyn a mis le grappin sur Mélanie Tremblay, on peut s’attendre à ce qu’elle soit impliquée…
— Ils ignorent que nous le savons; c’est aussi possible qu’ils nous réservent la surprise pour un coup plus important…
— Possible. Dans tous les cas, nous allons le voir venir… »
Ils frottèrent en silence pendant un moment, puis Gordon dit : « L’idée d’utiliser un chaton comme antenne de surveillance est carrément brillante…
— Le procédé a été inventé par Hoshmand, pas moi », répondit Espinosa d’un ton sec.
« Quand même, il a été utilisé à point! Surtout considérant que la préparation d’un procédé semi-permanent focalisé sur un être vivant a dû prendre des semaines, voire des mois… »
Espinosa haussa les épaules en rougissant légèrement. Sa réaction confirmait l’intuition de Gordon: le petit chaton blanc avait été préparé à l’intention de Félicia Lytvyn. Surveiller son étudiant était pratique courante. Mais Félicia avait été sa petite amie… Gordon ne pouvait pas la blâmer d’être passée au camp adverse après qu’elle eût découvert son hypocrisie. Il pouvait toutefois blâmer Espinosa de lui avoir fourni les raisons de le faire.
La maladresse d’Espinosa avait compliqué l’exécution du plan final de Gordon… compliqué, mais pas compromis. L’univers semblait conspirer pour lui fournir les éléments nécessaires à son accomplissement… Il se rapprochait de plus en plus du moment où il pourrait nouer les ficelles qu’il tirait pour compléter l’objectif secret de son Nœud…
Félicia Lytvyn détenait l’une des clés qui rendrait son plan possible. Eleftherios Avramopoulos en détenait peut-être une autre – pour peu que l’hypothèse de Gordon quant à la nature de son processus de jouvence soit correcte. Édouard Gauss pourrait très bien devenir l’amorce qui permettrait à Gordon de lancer la mise en œuvre de son plan…
Il ne lui resterait alors qu’à tirer profit de la vraie nature du composite O. 

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