Le lobby de l’hôtel était
heureusement assez tranquille jusqu’à ce que l’explosion retentisse. La
détonation prit tout le monde par surprise; l’onde de choc était assez forte pour
que les lustres de cristal du lobby se balancent en tintant comme de vulgaires
chariots remplis de vaisselle. La grande toile représentant Narcisse Hill
auprès de sa jeune épouse n’était plus à l’équerre.
« C’était proche », dit
Andrew alors que les clients et les chasseurs des alentours se regardaient
benoitement, cherchant à comprendre, ou à tout le moins quelqu’un qui
comprenne. Andrew était d’une autre trempe que ces gens-là : il passa
immédiatement à l’action.
Il remarqua qu’un petit attroupement
de l’autre côté de la rue pointait quelque chose en hauteur. Andrew agrippa son
walkie-talkie et courut à sa rencontre. « Concierge à sécurité. On a un update? » Il ne s’attendait pas à
une réponse précise, seulement à établir le contact. « On checke ça », répondit une voix sans
qu’Andrew sache quel agent lui avait répondu.
Un mouvement traversa le groupe
avant qu’Andrew ne l’ait rejoint : la masse informe s’écarta en prenant la
forme d’un croissant de lune. Une seconde plus tard, il comprit pourquoi :
une chaise tomba devant eux et éclata en morceaux en percutant le sol. Les
lèvres d’Andrew firent What the fuck?
sans qu’un son n’en sorte.
Il était facile de voir d’où la
chaise était tombée. L’explosion avait bel et bien eu lieu dans son hôtel. Shit shit shit. « Sécurité, ici
conciergerie. On a un neuf-un-un majeur dans les quarante quelque, façade ouest.
Foyer d’incendie confirmé. Va falloir évacuer. » Andrew vit deux policiers
à vélo arriver sur les lieux. Excellent : ils pourraient s’occuper de
gérer le trafic et s’assurer que personne ne soit blessé. Il remarqua que le
sol était dénué de débris de verre. Il n’eut toutefois pas le temps de se
pencher sur cette étrangeté : il devait aller prêter main forte à la
sécurité pour l’évacuation.
Sécurité…
C’était un bien grand mot. Depuis une dizaine d’années, la chaîne hôtelière
confiait la responsabilité à une firme de sous-contractants, ce qui leur
permettait d’ajuster finement leurs effectifs aux besoins circonstanciels de
l’hôtel. Aucun VIP ou VVIP ne résidait présentement au Hilltown; ils n’étaient
donc que quatre au total.
L’alarme de feu sonnait
lorsqu’Andrew retourna dans le lobby. Une autre étrangeté : la chaleur et
la fumée auraient dû en principe l’activer automatiquement.
Shit
shit shit. Aucun grand hôtel ne voulait être associé à une explosion ou –
pire encore – peut-être un attentat. Une baisse d’achalandage causerait bien
des maux de têtes du côté de l’exécutif, mais pour Andrew, cela signifiait ni
plus ni moins qu’une baisse drastique de ses revenus, dont la majeure partie
provenait de billets glissés au creux de sa paume plutôt que de son salaire
déclaré. Et en plus, il fallait que ça
tombe sur moi.
Shit
Shit Shit, disait-il encore en gravissant quatre à quatre les escaliers de
service. Les employés – la plupart des femmes du service ménager – descendaient
en sens inverse au pas de la promenade, papotant comme si rien n’était. Ils
avaient dû entendre l’explosion, d’autant plus qu’ils se trouvaient en hauteur,
mais à les voir, ils semblaient croire à un simple exercice comme en avril
dernier.
Son walkie-talkie crépita. « L’incendie
est au quarante-quatrième. », dit une voix différente de son interlocuteur
précédent, peut-être Fortin. « J’arrive bientôt. L’évacuation va bien.
J’ai croisé du monde du quarante-septième qui descendait, la voie est libre.
Pas de suspect en vue. » Andrew entendit ensuite : « Qu’est-ce que
c’est ça? », suivi d’un moment
de silence. Bien que son ascension rapide l’ait rendu haletant, Andrew retint
son souffle jusqu’à ce que la voix continue d’une voix dubitative :
« Le feu est… bleu? Je ne comprends pas, les gicleurs ne sont pas
partis… Je prends l’extincteur, over. »
Malgré tous ses efforts, Andrew
n’était qu’au vingt-troisième. Il pouvait entendre dans sa tête la voix grinçante
de sa sœur jumelle, joggeuse invétérée, lui dire comme elle lui avait dit mille
fois déjà : « T’es pas en forme! Tu devrais faire plus de sport! Tu
vas finir par avoir une bedaine comme papa! » Jusqu’à présent, son inactivité
ne lui avait pas valu trop de graisse abdominale, mais maintenant qu’ils
étaient sollicités, ses muscles lui faisaient de plus en plus mal. Ses jambes
lui apparaissaient coulées dans le plomb, un peu plus lourdes et moins
flexibles à chaque étage. Il se permit de souffler durant une bonne minute
pendant laquelle il imagina sa sœur lui répéter encore et encore : « T’es
pas en forme! Tu devrais faire plus de sport! Je te l’avais dit! »
Il se remit à monter avec une
vigueur renouvelée quoiqu’à un rythme plus lent, se promettant de faire plus
d’exercice dans l’avenir, ignorant que cette fois du moins, sa sédentarité – et
la minute qu’elle lui avait coûtée – venait de lui sauver la vie.
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