« Je ne me suis jamais senti si
bien de toute ma vie!
— C’était inquiétant de te savoir
dans le coma… Je me demandais tellement ce que j’aurais pu faire pour toi…
— Tu n’aurais rien pu faire. J’ai
été malchanceux de me retrouver comme ça et chanceux de m’en sortir, c’est
tout.
— Qu’est-ce qui s’est passé, au
juste? Est-ce que ça a rapport avec… nos affaires?
— Oui.
— Je le savais! Mais entre, entre!
— Est-ce que Claude va venir?
— Il m’a dit qu’il serait peut-être
en retard.
— Excellent. Je vais l’attendre
avant de vous raconter tout ça. Comment ça va, toi?
— Ça va, ça va…
— Tu travailles encore tes
exercices?
— J’essaie d’en faire une heure par
jour, mais ça n’est pas facile… C’est long et plate.
— Tu essaieras vingt heures par jour
pendant quelques semaines, tu vas voir!
— Je ne sais pas comment tu fais.
— Je ne pourrais pas le faire
volontairement. C’est étrange comme sensation… Même si, souvent, je suis
fatigué, c’est comme si je ne pouvais pas ne pas vouloir, tu comprends?
— Je pense que oui. » Alexandre
frissonna, comme s’il avait croqué un citron. « Je n’aurais pas voulu être
à ta place! »
On frappa à la porte. C’était
Claude, la mine joviale. « On dirait que ça va mieux que la dernière fois »,
dit-il en serrant la main d’Édouard.
« C’était si pire que ça?
— Tu ne t’es pas regardé dans le
miroir? »
Édouard s’esclaffa. « Même en
me regardant, je n’avais pas le temps de penser à des choses triviales comme
mon apparence…
— …ton alimentation », ajouta
Claude.
— Ou ta santé mentale »,
conclut Alex.
« Là, c’est sous contrôle,
c’est ce qui compte.
— J’ai vu ta corneille dehors… Je
pense qu’elle veut entrer. »
Effectivement, dès qu’Édouard tira
le rideau, Ozzy alla se poser au bas de la fenêtre. « Je peux?
— Si elle chie quelque part, c’est
toi qui nettoies », répondit Alexandre.
« Donc, tu voulais nous
parler? », dit Claude en s’asseyant à table.
« Oui, oui. J’ai eu une semaine
très intéressante… Pour commencer, comme je disais à Alex avant que tu arrives,
mon coma a été provoqué par une sorte de maladie magique que Gordon a appelé un
contrecoup. Si j’ai bien compris, certaines zones sont saturées d’énergie
dangereuse pour les initiés – assez dangereuse pour me faire tomber dans le
coma. C’est pour ça que les médecins n’ont rien pu faire pour moi, pas même
comprendre la nature de mon problème. Mais Gordon m’a réanimé avec une
préparation d’herbes…
— Une potion magique? », dit Claude,
railleur. Malgré ses bonnes raisons de penser qu’on ait manipulé son esprit, il
continuait à préférer y voir quelque chose de l’ordre de l’hypnose plutôt que du
surnaturel.
Édouard choisit de ne pas s’engager
dans cette discussion. « J’ai revu Gordon plus tôt cette semaine. Il m’a libéré
de ma compulsion, mais aussi du blocage qui m’empêche de parler aux
non-initiés… »
Alexandre ouvrit un énorme sac de
crottes au fromage avant d’en fourrer une pleine poignée dans sa bouche. Lorsqu’il
leur en offrit, ses invités déclinèrent d’un mouvement de la main. Ozzy parut
plus intéressé : il alla se poser sur le comptoir, juste à côté d’Alex, le
bec droit en direction du sac. « Je peux? » Édouard acquiesça. Il
tendit à l’oiseau une friandise qu’il boulotta d’un seul coup.
« Pour la compulsion, il m’a
donné un remède que je dois prendre de temps en temps. Pour le blocage, c’est
plus intéressant… J’ai tout vu… La première chose qu’il a faite, c’est tracer
plein de symboles sur des tableaux effaçables qu’il avait avec lui… Je les ai
reconnus, c’étaient les mêmes que lorsque j’ai été initié… À un moment donné,
Gordon est allé chercher de l’eau; j’ai tout juste eu le temps de prendre une
photo. »
Il leur tendit son téléphone. Malgré
le mauvais éclairage, on pouvait clairement voir le tableau couvert de formes
géométriques et de caractères bouclés qui ne ressemblait à rien que Claude ou
Alex ne connussent.
« En étudiant la photo par
la suite », continua Édouard, « j’ai réalisé que j’avais déjà vu cette
écriture. Je suis allé fouiller dans mes boîtes entreposées et j’ai retrouvé
ça… » Il sortit de sa serviette un livre noir à couverture rigide. La
jaquette affichait l’image d’une tête de toutes les couleurs, dans un style
vieillot qui aurait pu passer pour futuriste vingt ou trente ans auparavant. Le
titre était en grande lettres dorées.
« Les mystères de
l’inexpliqué? », dit Alexandre en le prenant.
« Regardez à la page soixante-quatre… »
Pendant qu’ils fouillaient, Édouard ajouta : « Quand j’étais
adolescent, j’étais passionné par le surnaturel. J’ai reçu cette collection
quand j’avais quinze ou seize ans. Si je me souviens bien, c’était mon cadeau
de fête ET de Noël cette année-là… Je ne me doutais pas que je serais
personnellement mêlé à l’un de ces mystères! »
Alexandre et Claude avancèrent tous
les deux la tête vers la page avec une expression de surprise et d’incrédulité.
« C’est la même écriture!
— Exactement la même. Dans un
livre vieux de six cent ans…
— Quel est ce livre?
— C’est le manuscrit de Voynich, considéré
comme un traité d’alchimie, d’astrologie et d’herboristerie. Je dis considéré parce que personne ne l’a
déchiffré à ce jour.
— Et eux, Gordon, Avramopoulos…
— …seraient les descendants
spirituels de l’auteur du manuscrit. Comment expliquer qu’ils soient les seuls
au monde à écrire un langage que les plus grands érudits n’ont jamais vu
ailleurs? »
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