Jean Vallée avait jugé leur idée
excellente et l’avait acceptée au prix de quelques conditions; les caméras
cachées en étaient une. « Que je ne vous voie pas montrer les belles
affaires qu’on peut vous voler… Je ne veux pas apprendre que vous traînez
là-bas une fois la nuit tombée », avait-il statué. « Ça n’est pas une
expédition à la Gauss. Il n’est pas question que vous alliez vivre là. Et je me
sentirais mieux si vous gardiez avec vous une bombonne de poivre de Cayenne, au
cas où… Et surtout : restez ensemble! »
Ils se rendirent jusqu’au Centre en
transports en commun, un peu embarrassés d’apparaître si mal fringués dans un
lieu public, puis ils mirent le cap plein sud. Maude lui demanda alors :
« Qu’est-ce que Vallée voulait dire par une expédition à la Gauss? Tu as travaillé avec lui, n’est-ce pas? »
Nicolas était enchanté qu’elle
vienne briser le silence – mais surtout, le distraire du trac qui lui nouait
le bas-ventre. « Édouard a un petit côté Sherlock Holmes en ce qui a trait
au déguisement. Chaque fois qu’il a cherché à approcher un groupe ou à
infiltrer un milieu, il passe des jours entiers à vivre la vie de son
personnage…
— Par exemple, qu’est-ce qu’il
aurait fait à notre place?
— Le connaissant, il aurait arrêté
de manger, de se raser et de se laver au
moins une semaine à l’avance.
— De manger?
— Pas complètement… Peut-être
pendant deux jours, après quoi il serait allé quêter de l’argent, fouiller dans
des poubelles ou quelque chose du genre…
— Et ça marchait?
— Tu as vu les résultats…
— Dommage qu’on l’ait perdu,
celui-là.
— Je pense que c’est une phase. Il
va faire un retour un de ces quatre. Je le connais assez pour savoir que tôt ou
tard, quelque chose va piquer son intérêt, il va vouloir creuser le dossier…
J’espère que ça va être plus tôt que tard. Plus sa sabbatique sera longue, plus
la côte sera difficile à remonter à son retour… »
Nicolas pouvait déjà noter que l’ambiance
environnante n’était plus exactement la même que dans le Centre. Derrière eux,
ils pouvaient toujours entendre le grondement des voitures réverbéré à travers
les gratte-ciel et celui, plus lointain, des autoroutes. Devant, au contraire,
c’était le silence. Il y avait bien des gens ici et là, mais seulement une
fraction de ce que l’on trouvait sur les rues qu’ils venaient de quitter.
« Et nous ne sommes même pas encore dans le Centre-Sud comme tel »,
fit-il remarquer. « La prochaine intersection, c’est St-Martin. »
Maude déglutit avec effort. Nico devinait qu’elle avait la gorge encore plus
serrée que lui.
« On peut laisser faire »,
proposa-t-il. « C’est quand même seulement pour des capsules web… »
Maude prit une profonde inspiration.
« Non. On y va. Il y a des enfants qui vivent là-bas, tous les jours.
— Ça va bien aller », dit Nico
en touchant la bombonne à travers son jeans.
« Ça va bien aller »,
répéta-t-elle, peut-être pour s’en convaincre.
Un attroupement flânait devant ce qui
devait être le centre communautaire de Cité Solidaire. Ils s’en approchèrent
sans dire un mot, la main de Nico crispée autour des poignées de son sac.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire