dimanche 12 mai 2013

Le Noeud Gordien, épisode 269 : Commando, 2e partie

Accompagné de Maude, Nicolas se dirigeait vers le Centre-Sud à pied. Ils portaient des vêtements d’occasion achetés pour leur expédition, la plupart informes et élimés, juste ce qu’il fallait pour passer inaperçu. Ils avaient pour seul accessoire un sac à poignée chacun, dans lequel CitéMédia avait installé une caméra cachée capable de saisir discrètement des images, pour peu qu’ils sachent la pointer dans la bonne direction.
Jean Vallée avait jugé leur idée excellente et l’avait acceptée au prix de quelques conditions; les caméras cachées en étaient une. « Que je ne vous voie pas montrer les belles affaires qu’on peut vous voler… Je ne veux pas apprendre que vous traînez là-bas une fois la nuit tombée », avait-il statué. « Ça n’est pas une expédition à la Gauss. Il n’est pas question que vous alliez vivre là. Et je me sentirais mieux si vous gardiez avec vous une bombonne de poivre de Cayenne, au cas où… Et surtout : restez ensemble! »
Ils se rendirent jusqu’au Centre en transports en commun, un peu embarrassés d’apparaître si mal fringués dans un lieu public, puis ils mirent le cap plein sud. Maude lui demanda alors : « Qu’est-ce que Vallée voulait dire par une expédition à la Gauss? Tu as travaillé avec lui, n’est-ce pas? »
Nicolas était enchanté qu’elle vienne briser le silence – mais surtout, le distraire du trac qui lui nouait le bas-ventre. « Édouard a un petit côté Sherlock Holmes en ce qui a trait au déguisement. Chaque fois qu’il a cherché à approcher un groupe ou à infiltrer un milieu, il passe des jours entiers à vivre la vie de son personnage…
— Par exemple, qu’est-ce qu’il aurait fait à notre place?
— Le connaissant, il aurait arrêté de manger, de se raser et de se laver au moins une semaine à l’avance.
De manger?
— Pas complètement… Peut-être pendant deux jours, après quoi il serait allé quêter de l’argent, fouiller dans des poubelles ou quelque chose du genre… 
— Et ça marchait?
— Tu as vu les résultats…
— Dommage qu’on l’ait perdu, celui-là.
— Je pense que c’est une phase. Il va faire un retour un de ces quatre. Je le connais assez pour savoir que tôt ou tard, quelque chose va piquer son intérêt, il va vouloir creuser le dossier… J’espère que ça va être plus tôt que tard. Plus sa sabbatique sera longue, plus la côte sera difficile à remonter à son retour… »
Nicolas pouvait déjà noter que l’ambiance environnante n’était plus exactement la même que dans le Centre. Derrière eux, ils pouvaient toujours entendre le grondement des voitures réverbéré à travers les gratte-ciel et celui, plus lointain, des autoroutes. Devant, au contraire, c’était le silence. Il y avait bien des gens ici et là, mais seulement une fraction de ce que l’on trouvait sur les rues qu’ils venaient de quitter. « Et nous ne sommes même pas encore dans le Centre-Sud comme tel », fit-il remarquer. « La prochaine intersection, c’est St-Martin. » Maude déglutit avec effort. Nico devinait qu’elle avait la gorge encore plus serrée que lui.
« On peut laisser faire », proposa-t-il. « C’est quand même seulement pour des capsules web… »
Maude prit une profonde inspiration. « Non. On y va. Il y a des enfants qui vivent là-bas, tous les jours.
— Ça va bien aller », dit Nico en touchant la bombonne à travers son jeans.
« Ça va bien aller », répéta-t-elle, peut-être pour s’en convaincre.
Un attroupement flânait devant ce qui devait être le centre communautaire de Cité Solidaire. Ils s’en approchèrent sans dire un mot, la main de Nico crispée autour des poignées de son sac.

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