dimanche 26 mai 2013

Le Noeud Gordien, épisode 271 : Commandos, 4e partie

Maude n’était pas plus ferrée que Nico pour gérer la possibilité d’une violence réelle. Son premier réflexe fut de s’éloigner pour chercher un policier au plus vite; elle zigzagua autour de gens qui, pour la plupart, se fichaient de l’altercation.
Ça n’est qu’une fois rendue plusieurs mètres plus loin qu’elle réalisa qu’elle ne trouverait aucune force de l’ordre à proximité. Cette réalisation lui fit encore plus peur que l’homme qui menaçait Nico. Par automatisme plus que par réflexion, elle se mit à marcher dans la direction d’où ils étaient arrivés en se disant que cette expédition était la pire idée de l’histoire.
Je ne peux pas laisser Nico comme ça. Quelle honte! Mais que pouvait-elle faire de plus? Le poivre de Cayenne offrait une mesure de dernier recours – il était illégal pour un civil de s’en servir comme arme, même pour sa défense –, mais pouvait-elle permettre à la situation de s’envenimer, attendre que Nico reçoive en coup de poing… ou un coup de couteau?
« C’est d’même que la fin du monde commence », dit une voix chevrotante à l’oreille de Maude. Elle sursauta en étouffant un cri de surprise. « Autant en profiter. » Avant qu’elle n’ait eu le temps de se ressaisir, l’homme qui avait surgi derrière elle lui saisit les hanches et la tira jusqu’à lui. Il se frotta contre elle en lui empoignant les seins à deux mains.
Elle se débattit de tout son corps en enfilant une série de coups de coude à l’aveuglette. Quelques-uns firent mouche : l’étreinte se desserra. Dès qu’elle le put, elle se retourna en brandissant la bombonne de poivre au nez de l’agresseur.
Rien ne se produisit.
Au comble de la panique, elle s’enfuit à toute vitesse vers le centre communautaire. Comme pour Nico, personne n’avait donné l’impression de vouloir intervenir. Personne n’avait même cillé.
Elle ne s’arrêta qu’une fois adossée au centre communautaire. Elle tenta de reprendre son souffle en balayant la foule du regard, toujours en état d’alerte. Le tripoteur n’était nulle part en vue. Pourquoi la bombonne l’avait-elle trahie? Encore heureuse qu’elle n’ait pas été confrontée à une situation de vie ou de mort… Elle l’avait échappé belle.
Un son étrange se fit entendre, une sorte de claquement accompagné d’un grésillement. Le bruit avait quelque chose qui évoquait l’électricité, mais Maude ne put identifier sa source exacte. Simultanément, un homme qui se tenait de l’autre côté de la rue fut pris de convulsions; il se mit à trembler si fort qu’il perdit pied en quelques secondes pour se retrouver couché contre l’asphalte à frétiller comme un ver.
Son état s’intensifia seconde après seconde. Pourquoi personne ne va l’aider? Cette question donna lieu à une autre, plus troublante… Et pourquoi je ne vais pas l’aider, moi?
Elle avait maintes fois entendu parler de ces histoires horribles où un drame se déroulait devant de nombreux témoins sans que personne n’intervienne; comme tout le monde, elle croyait que pour elle, ce serait différent, qu’elle serait capable d’agir là où d’autres resteraient bêtement figés sur place. Elle se trompait : malgré sa lucidité, malgré sa honte, elle n’osa pas faire les premiers pas.
En balayant la scène du regard, elle aperçut Nico qui s’approchait, la panique dans les yeux. Elle accourut à sa rencontre et l’étreignit sans ménagement.
« Est-ce que tu vas bien? », demandèrent-ils ensemble, avant de répondre : « Moi, ça va » à l’unisson. Ils éclatèrent de rire, un rire d’autant plus intense qu’il était galvanisé par la nervosité.
« C’est quoi le problème avec ce gars-là? », demanda-t-il en pointant le malade au moment même où il se mettait à vomir abondamment. Maude nota bien malgré elle qu’il ne s’agissait pas d’une simple régurgitation : il dégueulait des masses d’écume jaune mêlée de stries rouges, peut-être du sang. Les spasmes reprirent vite le dessus; le type recommença à se tortiller, les yeux révulsés, ses membres s’agitant dans toutes les directions…
« On dirait une sorte d’attaque…
— C’est dégueulasse », dit Nico, le nez plissé.
Maude allait dire nous devons faire quelque chose lorsque quelqu’un prit enfin l’initiative.
Elle soupira, les yeux embués de larmes. Il lui avait fallu à peine un quart d’heure dans le Centre-Sud pour avoir vu le pire de l’humanité… Et le pire d’elle-même. Elle se sentait coupable d’avoir abandonné Nico, elle avait honte de ne pas avoir bondi pour aider ce pauvre homme… Avoir été ciblée par un violeur potentiel ne devait pas, en principe, ajouter à son sentiment, mais Maude se sentait comme si un nid d’araignée lui était tombé dessus. Elle aurait voulu brûler ses vêtements et rester une heure ou deux sous la douche. Quinze minutes dans le Centre-Sud et elle était déjà à bout.
Durant sa préparation en vue de leur mission commando, Nico et elle s’étaient souvent retournés vers l’idée que des gens vivaient ici à l’année longue, question de se donner du courage. Maintenant, la pensée lui paraissait d’abord désespérante.
Elle remarqua que Nico avait dirigé sa caméra cachée vers le bon samaritain. Ils ne repartiraient peut-être pas les mains vides après tout…
Les mains vides…
« Christ! », cracha Maude sans desserrer les dents, pour que Nico seul l’entende. « Ma caméra! Où est-ce que je l’ai laissée? »

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