Aizalyasni ouvrit une fois de plus les
yeux sur les murs délabrés d’une des sections à l’arrière du Terminus, là où
les fidèles n’étaient pas admis en temps normal. Ses couvertures la
réchauffaient tout de même assez bien, mais le nuage de vapeur qui se
condensait à chaque souffle exhalé signalait que le mercure continuait sa chute
entamée ces derniers jours.
Elle se redressa et lissa ses
cheveux autant qu’elle le put avec ses doigts. « Tu as bien dormi? »
Aizalyasni sursauta : elle avait cru être seule, mais Madame sortit de l’ombre,
une tasse à la main, puis s’avança vers elle en clopinant.
« Ça va, ça va »,
répondit-elle, toujours intimidé par cette femme, et encore plus par l’attention
qu’elle recevait désormais de sa part. Sa voix était encore graveleuse, usée
par toutes les régurgitations des derniers jours.
« Des nausées? »
Elle fit non de la tête. Pour la
première fois en dix jours, elle ressentait seulement un vague haut-le-cœur sans
commune mesure avec les jours précédents. Si elle évitait les mouvements
brusques et les odeurs trop fortes, elle avait confiance qu’elle pourrait s’en
sortir sans se rendre malade. Il était temps!
Madame lui tendit son infect breuvage;
elle le but d’une traite, sans hésiter. Elle tira ses couvertes tout contre elle.
Sa brève exposition à l’air ambiant avait drainé d’un coup toute la chaleur qu’elle
avait conservée toute la nuit. Elle lui redonna la tasse vide avec un sourire
faible.
« Tu veux discuter de quelque
chose avec moi. » Une fois de plus, Madame visait dans le mille, comme si
elle avait lu ses pensées. C’était une bonne chose qu’elle aborde le sujet :
Aizalyasni doutait qu’elle eut trouvé le courage de le faire elle-même.
« Je suis reconnaissante de ce
que vous avez fait pour me guérir…
— Mais…?
— Cela fait plus d’une semaine que
je suis absente de mon travail. Je ne me fais pas d’illusion : ils ne voudront
plus de moi. Je…
— Ah! C’est l’argent qui te
préoccupe? Tiens », dit Madame en fouillant dans les replis de ses vêtements.
Elle en sortit un rouleau de billets tenus en place par un élastique; elle ne continua
pas moins sa recherche jusqu’à ce qu’elle en trouve un autre. Elle les tendit à
Aizalyasni avec un sourire. « Tiens : celui-là est pour toi. Tu peux
envoyer l’autre à ta mère.
— Non! Non! », dit Nini,
catastrophée. « Je voulais dire que je devais une explication à mon employeur.
Si je veux me trouver un nouvel emploi, je…
— Je veux que tu gardes cet argent.
Tu as mieux à faire que travailler pour des misères… »
Aizalyasni regarda les liasses qu’elle
avait entre les mains. Elle n’avait pas tenu autant d’argent depuis qu’elle
avait tourné la page sur la prostitution. Elle ne savait que faire : d’une
part, elle voulait honorer le cadeau de Madame… D’autre part, l’accepter lui
faisait perdre la face : cela revenait à reconnaître qu’elle avait voulu
qu’on lui donne de l’argent en premier lieu.
Madame perçut peut-être son conflit
intérieur. Elle lui caressa la joue avec un sourire. Sa main était rude et calleuse,
mais le mouvement tendre. « Allez! Toutes les princesses ont besoin d’une fée
marraine.
— Merci. Je dois quand même aller en
ville… », dit-elle, hésitante : elle craignait que Madame ne le lui
refuse.
« Très bien. Je veux que tu
comprennes que tu es précieuse pour moi, mais tu es libre d’aller et venir à ta
guise.
— Je comprends… » Aizalyasni se
releva prudemment. « Je vais y aller, alors. Je serai de retour pour l’oraison
de ce soir. » Le moment de l’oraison était devenu précieux, vital à ses yeux. Les sensations
agréables qu’elle ressentait durant les séances de groupe s’étaient décuplées
depuis qu’elle était passée à l’arrière-scène, sous l’œil attentif de Madame…
Presque chaque fois, elle réussissait à faire apparaître une étincelle entre
ses paumes, tandis que Timothée ne réussissait qu’une fois sur cinq. Mike
Tobin, celui qu’elle appelait le chef,
n’avait pour sa part jamais réussi.
Aizalyasni était déterminée à
découvrir les mystères de cette puissance inouïe qu’elle portait en elle. Elle
était retournée aux études dans l’espoir d’améliorer sa situation. Le destin
avait voulu qu’elle trouve un autre genre d’école… Et elle avait la ferme
intention de savoir quel genre de diplôme elle pourrait décrocher au final.
« Fais bien attention », dit Madame
pendant qu’Aizalyasni s’éloignait. « Regarde des deux côtés avant de
traverser la rue. »
La jeune femme lui sourit avant de passer
du côté de la salle commune du Terminus.
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