Geneviève écouta avec une
fascination croissante le récit des derniers dix-huit mois d’Édouard, pendant
que son… familier voletait ici et là dans le petit appartement.
Édouard raconta comment il avait
déduit l’absence de certains de ses souvenirs, comment il avait passé des
semaines en filature – pendant qu’il était lui-même surveillé par un mystérieux
M. Hoshmand –, comment un bluff parfaitement exécuté lui avait permis de se
faire accepter par l’une des gros bonnets de la cabale qu’il voulait infiltrer…
Il raconta ces moments improbables avec tant de précision et d’aplomb que Geneviève
cessa assez vite de douter pour reporter son jugement à plus tard.
Les épisodes continuèrent de
s’enchaîner : son initiation dans un souterrain maquillé en catacombes, sa
séquestration qui avait tant inquiété Geneviève, puis l’enchantement – faute d’un meilleur terme – qu’on lui avait jeté, le
contraignant au désir charnel… Cet enchantement qui avait donné lieu à leurs
retrouvailles torrides et au tout premier orgasme non chimique de Geneviève.
Elle fut piquée de découvrir que
c’était un désir irrésistible qui l’avait poussé dans ses bras, mais elle ne
dit rien. Édouard bafouilla lorsqu’il décrivit la fin de l’enchantement, pour
enchaîner en disant qu’il avait demandé lui-même d’être assujetti à une
nouvelle compulsion, celle-ci l’obligeant à étudier la magie comme un forcené.
Elle découvrit par la suite la
véritable raison de son hospitalisation… Selon lui, il s’agissait d’une sorte
d’overdose de magie. Il s’était trouvé dans une zone où les énergies mystiques
étaient si concentrées qu’elles devenaient dangereuses… Il laissa tomber au
passage que c’était par ailleurs la raison de l’explosion qui défrayait la
manchette. Mais le plus surprenant restait à venir…
Geneviève avait déjà appris de son
amie Marianne qu’elle avait vendu leur maison sur la rue Hill à la fille du
pire criminel que La Cité ait connu… Édouard lui apprit qu’elle était également
sorcière. Geneviève avait ressenti une animosité envers elle à la fois intense et
instinctive; son sentiment lui apparaissait désormais justifié. Elle incarnait
plus que quiconque l’expression face à
fesser dedans.
« C’est elle qui m’a appris la
cause du mal d’Alice. »
Cette Félicia avait bel et bien tenté
de lui parler, elle s’était toujours butée contre une porte fermée. Geneviève
entendit cette révélation la gorge serrée, la main sur la bouche, les larmes
aux yeux. Aurait-elle pu aider Alice, lui éviter tous ces mois de malaise?
« C’est elle qui l’a
guérie », ajouta Édouard.
Geneviève arriva à une conclusion
aussi ferme qu’irrationnelle. C’est de sa
faute à elle. Elle l’a guérie parce
qu’elle la rendue malade.
Édouard enchaîna avec la suite des
choses. « Bref, c’est pour cela que je suis venu te voir ce soir. Si je
révèle qu’une poignée d’individus gardent secrète l’existence de la magie
depuis des siècles, je ne peux pas prévoir comment ils vont réagir… Il y aura
peut-être des représailles. »
Geneviève ne l’écoutait plus à
moitié. Elle bouillait de l’intérieur. « Pourquoi ne pas m’en avoir parlé
avant?
— Le fait est que… tu sais comment
j’ai tendance à être absorbé par mes dossiers. Celui-là me prend tout ce que
j’ai depuis plus d’un an. C’est comme si la bonne occasion ne s’était jamais
présentée.
— C’est ça, hein… Tu ne me dis
jamais rien. Mais ça ne t’empêche pas de me sauter dessus comme un chien en
chaleur, par exemple!
— Geneviève…
— En plus, moi je me torturais depuis
des mois pour comprendre ce qui ne va
pas avec ma puce… Toi tu le savais, et tu me laissais imaginer le pire, à me
demander qui a bien pu l’agresser pour qu’elle devienne comme ça… Tu ne penses
pas que ça aurait été pertinent de me le dire? Je la conduis chez la psy à toutes
les semaines comme une imbécile, je lui pose des questions sans cesse pour
qu’elle s’ouvre et me dise pourquoi elle ne va pas… Et toi… Toi, tu le savais
pendant tout ce temps!
— Moins fort! Tu vas réveiller les
filles.
— Ah, et là, soudainement, tes
filles sont importantes!
— Geneviève…
— Je dois me lever tôt, demain. Il
est presque deux heures du matin. Va-t-en, s’il te plaît. »
Édouard la fixa sans rien dire
pendant un moment, puis il se leva, piteux. Il prit son manteau et alla enfiler
ses bottes pendant qu’elle le fusillait du regard. Sa corneille alla se poser
sur son épaule lorsqu’il franchit le seuil.
Elle cracha : « Je ne veux
plus te voir »… Après qu’elle eut claqué la porte.
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