dimanche 13 juillet 2014

Le Nœud Gordien, épisode 328 : Six des Seize, 2e partie

Olson descendit une vingtaine de minutes après Van Haecht, encore frissonnant de son coït volontairement interrompu. Ses jeux avec Pénélope ressemblaient à un concours à savoir qui stimulerait davantage l’autre. Pour sa part, il se plaisait à s’exciter sans satisfaction, étirant la tension sexuelle comme la corde d’un arc, jusqu’à n’en plus pouvoir tant son désir l’étourdissait. Il en venait à n’avoir plus d’autre envie que de se laisser aller à ce que les poètes appellent tantôt le grand frisson, tantôt la petite mort.
Des vingt minutes écoulées, dix-huit avaient été dédiées à l’amour; les deux restantes lui avaient suffi pour se rendre présentable. Il n’avait pas eu besoin de se raser : sa barbe ne poussait plus. Il n’avait pas eu à se laver : sa transpiration demeurait inodore. Il n’y avait que son sexe qui était parfumé de celui de Pénélope, mais personne d’autre que lui n’aurait le nez assez fin pour s’en rendre compte.
Van Haecht se trouvait attablé dans la grande aire commune, devant une tasse de thé et un croissant entamé. Il était seul, outre un couple de l’autre côté de la pièce qui mangeait en silence, les yeux rivés sur leur téléphone.
Olson prit le temps de se préparer un café avant de rejoindre Van Haecht.
« C’était long…
— Compte tenu votre réaction », répondit Olson, « j’ai jugé qu’il fallait mieux que je prenne le temps de m’habiller avant de descendre. »
Van Haecht grogna son indignation. « Vous êtes un Maître, je le reconnais, mais je suis votre aîné. Votre conduite est inacceptable. Je ne demande pas obéissance et dévotion, mais le respect qui m’est dû…
— Et vous, vous croyez être respectueux, en retardant tout le monde avec votre peur de l’avion?
— Ce n’est pas de la peur. Je préfère…
— …vous préférez », répéta Olson, moqueur.
Van Haecht lui décrocha une œillade qu’il aurait sans doute voulu venimeuse. Olson, pour sa part, n’en fut guère affecté. L’aîné jugea bon de changer de sujet. « Quand êtes-vous arrivés? Avez-vous eu l’occasion d’en apprendre davantage sur les inquiétudes d’Avramopoulos?
— Je suis arrivé il y a quelques jours. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter à cinq. Vous y auriez été aussi, si vous n’aviez pas préféré être absent…
— Quoi!
— Avramopoulos nous a présenté sa problématique. Une bagatelle : une anathème, possiblement sous l’effet de la metascharfsinn,  tue des adeptes et fait croître le Cercle de La Cité, à la fois en superficie et en concentration, à un point tel que des non-initiés subissent des contrecoups. »
Van Haecht pâlit jusqu’à en devenir livide.
« Dans pareil contexte, vous comprenez que nous n’avions pas le loisir d’accommoder les délais des uns et des autres. S’il avait fallu attendre Eichelberger aussi…
— La situation est plus grave que je ne l’aurais présumé », concéda Van Haecht. « Qui est cette anathème?
— Une certaine Tricane, initiée par Gordon. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Elle n’était pas avec lui durant notre joute à La Plata. »
C’est à ce moment que Catherine Mandeville entra dans la pièce. Elle se rendit jusqu’au buffet, fit couler une tasse d’eau chaude et, après une bonne minute d’hésitation, choisit une pomme parmi les fruits offerts. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle remarqua les deux Maîtres qui s’y trouvaient déjà. Van Haecht se leva pour l’accueillir.
« Catherine! Quel plaisir de vous voir.
— Et vous pareillement, Arthur.
— Mes sincères sympathies pour Madeleine. Vous étiez si proches l’une de l’autre… »
Les yeux de Mandeville s’embuèrent : elle n’avait pas encore fait son deuil de Paicheler. Elle remercia Van Haecht, la gorge nouée.
« C’est une grande perte pour nous tous », continua-t-il. « Sans compter la disparition de notre cher Kuhn... » La conversation s’enlisa dans un silence.
Ce fut au tour de Latour d’arriver au buffet, les mains dans les poches en sifflotant. Il vint saluer Van Haecht à son tour. Les Maîtres discutèrent de tout, mais surtout de rien, jusqu’à ce que Mandeville tapote sa montre en disant : « La réunion commence bientôt. »
Les Maîtres se dirigèrent vers la salle de conférence. Alors qu’ils passaient devant elle, la femme au téléphone leva la tête pour la première fois. Elle ne pouvait pas se douter qu’elle se trouvait en présence d’immortels; elle ne pouvait toutefois ignorer la silhouette harmonieuse d’Olson, ses muscles proportionnés qui jouaient sous un vêtement choisi pour les mettre en valeur, ses traits surréels. Ce coup d’œil, aussi furtif fût-il, fit grand plaisir à Olson.
Il tourna ensuite ses pensées vers la réunion qui allait commencer. Il était bien curieux de savoir quelles pistes ses pairs avaient trouvées pour faire face aux problèmes de La Cité… Et comment ceux-ci allaient réagir en entendant la sienne.

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