Olson descendit une vingtaine de
minutes après Van Haecht, encore frissonnant de son coït volontairement
interrompu. Ses jeux avec Pénélope ressemblaient à un concours à savoir qui
stimulerait davantage l’autre. Pour sa part, il se plaisait à s’exciter sans
satisfaction, étirant la tension sexuelle comme la corde d’un arc, jusqu’à n’en
plus pouvoir tant son désir l’étourdissait. Il en venait à n’avoir plus d’autre
envie que de se laisser aller à ce que les poètes appellent tantôt le grand
frisson, tantôt la petite mort.
Des vingt minutes écoulées, dix-huit
avaient été dédiées à l’amour; les deux restantes lui avaient suffi pour se
rendre présentable. Il n’avait pas eu besoin de se raser : sa barbe ne
poussait plus. Il n’avait pas eu à se laver : sa transpiration demeurait
inodore. Il n’y avait que son sexe qui était parfumé de celui de Pénélope, mais
personne d’autre que lui n’aurait le nez assez fin pour s’en rendre compte.
Van Haecht se trouvait attablé dans
la grande aire commune, devant une tasse de thé et un croissant entamé. Il
était seul, outre un couple de l’autre côté de la pièce qui mangeait en
silence, les yeux rivés sur leur téléphone.
Olson prit le temps de se préparer
un café avant de rejoindre Van Haecht.
« C’était long…
— Compte tenu votre réaction »,
répondit Olson, « j’ai jugé qu’il fallait mieux que je prenne le temps de
m’habiller avant de descendre. »
Van Haecht grogna son indignation.
« Vous êtes un Maître, je le reconnais, mais je suis votre aîné. Votre
conduite est inacceptable. Je ne demande pas obéissance et dévotion, mais le
respect qui m’est dû…
— Et vous, vous croyez être
respectueux, en retardant tout le monde avec votre peur de l’avion?
— Ce n’est pas de la peur. Je
préfère…
— …vous préférez », répéta Olson, moqueur.
Van Haecht lui décrocha une œillade
qu’il aurait sans doute voulu venimeuse. Olson, pour sa part, n’en fut guère
affecté. L’aîné jugea bon de changer de sujet. « Quand êtes-vous arrivés?
Avez-vous eu l’occasion d’en apprendre davantage sur les inquiétudes
d’Avramopoulos?
— Je suis arrivé il y a quelques
jours. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter à cinq. Vous y auriez été aussi,
si vous n’aviez pas préféré être
absent…
— Quoi!
— Avramopoulos nous a présenté sa
problématique. Une bagatelle : une anathème, possiblement sous l’effet de
la metascharfsinn, tue des adeptes et fait croître le Cercle de
La Cité, à la fois en superficie et en concentration, à un point tel que des
non-initiés subissent des contrecoups. »
Van Haecht pâlit jusqu’à en devenir
livide.
« Dans pareil contexte, vous
comprenez que nous n’avions pas le loisir d’accommoder les délais des uns
et des autres. S’il avait fallu attendre Eichelberger aussi…
— La situation est plus grave que je
ne l’aurais présumé », concéda Van Haecht. « Qui est cette anathème?
— Une certaine Tricane, initiée par
Gordon. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Elle n’était pas avec
lui durant notre joute à La Plata. »
C’est à ce moment que Catherine
Mandeville entra dans la pièce. Elle se rendit jusqu’au buffet, fit couler une
tasse d’eau chaude et, après une bonne minute d’hésitation, choisit une pomme
parmi les fruits offerts. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle remarqua les deux
Maîtres qui s’y trouvaient déjà. Van Haecht se leva pour l’accueillir.
« Catherine! Quel plaisir de
vous voir.
— Et vous pareillement, Arthur.
— Mes sincères sympathies pour
Madeleine. Vous étiez si proches l’une de l’autre… »
Les yeux de Mandeville s’embuèrent :
elle n’avait pas encore fait son deuil de Paicheler. Elle remercia Van Haecht,
la gorge nouée.
« C’est une grande perte pour
nous tous », continua-t-il. « Sans compter la disparition de notre
cher Kuhn... » La conversation s’enlisa dans un silence.
Ce fut au tour de Latour d’arriver
au buffet, les mains dans les poches en sifflotant. Il vint saluer Van Haecht à
son tour. Les Maîtres discutèrent de tout, mais surtout de rien, jusqu’à ce que
Mandeville tapote sa montre en disant : « La réunion commence bientôt. »
Les Maîtres se dirigèrent vers la
salle de conférence. Alors qu’ils passaient devant elle, la femme au téléphone leva
la tête pour la première fois. Elle ne pouvait pas se douter qu’elle se
trouvait en présence d’immortels; elle ne pouvait toutefois ignorer la
silhouette harmonieuse d’Olson, ses muscles proportionnés qui jouaient sous un
vêtement choisi pour les mettre en valeur, ses traits surréels. Ce coup d’œil,
aussi furtif fût-il, fit grand plaisir à Olson.
Il tourna ensuite ses pensées vers
la réunion qui allait commencer. Il était bien curieux de savoir quelles pistes
ses pairs avaient trouvées pour faire face aux problèmes de La Cité… Et comment
ceux-ci allaient réagir en entendant la sienne.
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