Pendant un instant, Martin eut
l’impression fugace que sa main était restée imprimée sur la joue de Madame.
Elle ouvrit les yeux, furieuse; l’air autour d’elle ondula comme un désert sous
le soleil. « Je vous ai dit de ne me déranger sous aucun prétexte!
« Pardon! Pardon! », dit
Martin, les mains en l’air. « C’est une urgence! Y’a le feu! Et des
tireurs!
— Aucun. Prétexte. » À chaque
mot qu’elle prononça, l’atmosphère frémit de nouveau. La gorge de Martin se
serra. Il comptait parmi les fidèles de la première heure… Les nouveaux venus
en doutaient, croyaient qu’il s’agissait
d’un mythe ou d’une exagération, mais Martin avait senti la terre trembler
lorsque Madame avait fait face aux trois mystérieux intrus qui s’étaient
attaqués à elle. Si Madame dirigeait sa rage vers lui… Il aurait raison de craindre
pour sa vie.
Heureusement, quelque chose changea
dans son expression, comme si elle se réveillait d’un épisode de somnambulisme.
Elle frotta son visage à deux mains. « Qu’est-ce… Qu’est-ce qui se
passe? » Le contraste avec la furie que Martin avait réveillée ne pouvait
être plus complet.
« Vous autres! », dit
Martin aux quelques fidèles qui s’étaient aventurés dans la pièce, « Allez
rejoindre les autres dans l’entrée. Et restez calme! » Il attendit que
Madame se ressaisisse pendant que les intrus sortaient. « Y’a le
feu », répéta-t-il, « et au moins un tireur devant la porte. »
Cette fois, Madame bondit sur ses
pieds. « Quoi! » Elle avait maintes fois prouvé qu’elle connaissait
le futur, mais ses visions devaient comporter des angles morts : Martin ne
l’avait jamais vue aussi surprise. « Il faut évacuer! Amène les fidèles
par le trou…
— Impossible », répondit Timothée.
« C’est là que toute la fumée se ramasse. Le tirant d’air…
— Je comprends », coupa Madame.
« Aizalyasni? » La jeune femme leva la tête. Elle avait les yeux
bouffis et le visage luisant de larmes et de morve. Madame lui tendit la main.
« Aizalyasni, j’ai besoin de toi. Peux-tu m’aider? »
Elle s’essuya le nez sur la manche
de son manteau et fit oui de la tête. Madame l’aida à se relever. « Peux-tu
t’occuper du feu?
— J’ai peur », dit-elle.
« Les balles…
— Tu as déjà surmonté ta peur. Tu
t’en es servi pour nous protéger, tous… »
Aizalyasni ravala une série de
sanglot. Martin devinait que, malgré les miracles qu’elle avait accomplis par
le passé, cette fois-ci, il ne fallait s’attendre à rien de sa part.
Madame ferma les yeux et se
concentra un instant. « Ils sont deux. Devant le Terminus. Rem et Mike
sont gravement blessés.
— Les chaînes nous empêchent de
sortir par les côtés… et le feu nous bloque l’arrière.
— Ils veulent nous faire sortir;
nous n’allons pas jouer leur jeu. Aizalyasni, donne ton arme à Timothée. »
La fille figea un instant, puis elle fouilla dans les poches intérieures de son
manteau. Elle en tira un Beretta M9 et le tendit à Tim qui le prit, les
sourcils froncés, interrogeant Madame du regard.
« Je craignais que nous en
arrivions là… Je ne l’ai pas vu venir, et maintenant, il est trop tard :
je dois agir. Timothée, tu vas t’occuper de moi. Si jamais je perds le contrôle,
je veux que tu me tues. Vise ma tête.
— Hein!? »
Martin sentit les premières volutes
de fumée assaillir ses narines. L’odeur était forte, écœurante. Il devinait
qu’il suffirait d’une vraie bouffée pour étouffer quiconque la respirait.
« Le feu se propage…
— C’est de cela dont je dois m’occuper
en priorité », dit Madame en se dirigeant vers la salle du trou, laissant
Timothée derrière, catastrophé, l’arme à la main.
« La tuer? Vraiment? »,
demanda-t-il à Martin.
« Obéis. Elle sait ce qu’elle
fait. » Il espérait de tout cœur que ce soit vrai.
Avant qu’ils ne l’aient rejointe
dans la salle du trou, elle avait fini : ils trouvèrent un incendie
éteint, les quelques volutes de fumée restantes vite aspirées par le courant
d’air.
« Hourra! », s’exclama
Timothée, soulagé.
« Nous n’avons
pas encore vaincu », dit Madame. « Ils sont toujours là. Nous sommes
toujours menacés. » Ses paroles eurent l’effet d’une douche froide :
Timothée ravala son enthousiasme. « Venez avec moi. »
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