dimanche 9 août 2015

Le Nœud Gordien, épisode 382 : Pourparlers, 3e partie

« Et puis? », demanda Asjen van Haecht. « T’en es-tu sorti? »
Sa question stupide en fit sourire plusieurs. Son père leva les yeux au ciel. « Je veux dire : comment t’en es-tu sorti? 
— Pendant que Djo me traînait vers la ruelle », continua Tobin, « je n’avais aucune marge de manœuvre. À la distance où y se trouvait, l’attaquer ou me sauver, ça aurait donné le même résultat : une balle dans la tête. Je commençais à me dire que ma deuxième vie allait être encore plus courte que ma première. »
Tobin marqua une pause. Ils étaient tous pendus à ses lèvres. « Et puis?
— Eh bien, mes amis, un miracle est arrivé! Un gars est apparu à côté de nous et a dit à Djo d’arrêter.
— Qui, ça?
— Apparu comment? »
Tobin leva les mains pour faire taire les questions qui fusaient de toute part. « Un certain Martin. À peu près mon âge, barbu, cheveux blancs. C’est l’un de leurs chefs. Et quand je dis apparu, c’est vraiment ça : une seconde il n’était pas là, la seconde d’après il était devant nous.
— Le truc de Hoshmand », dit Avramopoulos comme un maître d’école.
« Le truc de Hoshmand, c’est ce qui fait que personne ne vous remarque tant que vous restez tranquilles, c’est ça? » Il en avait lui-même bénéficié le jour où… Le jour de sa mort. Il toussa pour dissimuler un frisson de malaise. « Non, c’était différent. Il est apparu, bang! Tout d’un coup.
— N’importe quoi », lança Avramopoulos.
« T’étais-tu là? » Il allait ajouter le jeune. Étonnant de penser que l’esprit de ce gamin était déjà vieux il y a cent ans. Jeune ou vieux, Tobin le trouvait désagréable sur toute la ligne. Il était de la pire espèce : poltron et arrogant. Une face à fesser d’dans.
« Laisse-le parler », dit la superbe blonde au deuxième rang. Celle-là, elle tombait dans ses goûts. À voir la façon qu’elle avait de le regarder, il avait l’impression qu’elle n’était pas indifférente, non plus. Avramopoulos allait rétorquer, mais Olson posa une main sur son épaule. Il s’en dégagea d’un mouvement brusque, mais n’ajouta rien.
« Donc, le gars qui est apparu a dit à Djo d’arrêter. Il a dit à tout le monde qui j’étais réellement. Ils m’ont fait entrer dans le Terminus, mais je pouvais voir qu’ils étaient encore méfiants. »
Mitch – Mike – ne l’avait pas quitté des yeux, secoué par cette découverte pour le moins inattendue. Tobin devinait que son neveu ne demandait qu’à croire la révélation de Martin, mais qu’il n’était pas pour autant prêt à abaisser sa garde.
« J’ai pu parler à leurs trois chefs. Il y avait le gars qui était apparu, un autre qui devait être celui que Gauss et Lytvyn ont croisé dans les tunnels, et une fille asiatique qui doit encore se faire demander ses cartes pour acheter de la bière. Ils étaient tous bizarres… Sourire weird. Yeux ronds. J’ai déballé tout ce que vous vouliez leur dire… Les faveurs, la trêve, le respect des cinq principes… Tout ça, là. »
Les Maîtres se tenaient au bout de leur chaise. « Et puis? », demanda le petit Français aux airs d’intellectuel au premier rang.
« Ils ont dit non, les trois en même temps. » Plusieurs membres de l’auditoire laissèrent échapper le souffle qu’ils avaient retenu jusque-là, donnant l’impression d’un affaissement généralisé.
Leur déconfiture amusa Tobin. « Attendez! C’est pas fini! » Si Avramopoulos avait eu de la difficulté à avaler l’apparition soudaine du type, il allait s’étouffer avec celle-là… « Il y avait une poupée qui traînait là… Une vieille poupée d’enfant, avec des yeux en boutons, genre… Eh ben après qu’ils aient dit non, la poupée s’est levée. Debout. » Il marqua une nouvelle pause. Il put s’empêcher d’éclater de rire, mais pas de sourire face à leurs expressions éberluées ou incrédules. « La poupée a marché jusqu’à moi. Elle a tendu les bras vers moi comme un petit bébé. Je ne savais pas trop quoi faire… Je l’ai prise, et elle m’a fait un gros câlin. Vous auriez dû voir la face des gens là-bas… En fait, ils avaient à peu près le même air que vous autres! »
Étrangement, cette fois, personne ne crut bon de remettre sa parole en question. « Je ne sais pas ce que représente cette poupée pour eux, mais ils sont revenus sur leur décision. Ils ont dit qu’ils allaient devoir réfléchir sur votre proposition. Et peut-être ouvrir le dialogue. En attendant, ils ont dit qu’ils allaient tolérer le statu quo, à condition qu’aucun de vous ne pénètre dans le Centre-Sud. 
— C’est déjà un début », dit Mandeville. « Mais comment dialoguer si nous ne pouvons pas les approcher? 
— J’ai dit que vous étiez barrés du quartier. Pas moi... Ils me veulent comme middle man. Je dois retourner les voir après-demain. » Ce fut au tour de Tobin de retenir son souffle. Les réactions furent diverses, pas trop négatives. La plupart semblaient enclins à prendre la balle au bond. « C’est tout? », demanda Olson.
« C’est tout. »
Le concile fut levé sans que la date du prochain ne soit fixée d’avance. Les initiés retournèrent vaquer à leurs activités quotidiennes.
Tobin avait omis de mentionner dans son récit sa rencontre inopinée avec son neveu.
Ou que les trois chefs voyaient dans cette poupée la manifestation de Tricane.
Gordon et Lytvyn étaient bien gentils de l’avoir ramené à la vie, mais ils n’avaient rien fait pour gagner sa loyauté. Et les Seize encore moins. S’ils pensaient qu’il allait se satisfaire du rôle de sous-fifre, ils rêvaient en couleur.
Le middle man n’est pas toujours pile au milieu de la balance. Tobin avait décidé de quel côté glisser…

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