dimanche 2 août 2015

Le Noeud Gordien, épisode 381 : Pourparlers, 2e partie

La mémoire de Karl Tobin avait souffert. Était-ce un effet de son nouveau corps ou de son temps loin du monde des vivants? Il s’enfonçait dans le Centre-Sud en ayant l’impression d’une première visite, mais certains détails lui semblaient beaucoup trop familiers. Une porte sortie de ses gonds. Une façade à moitié éventrée. Une rangée de graffitis. Le sentiment de déjà-vu ne le quittait pas.
Tobin avait la désagréable intuition de n’être pas revenu entier de l’au-delà. Gordon et la petite Lytvyn pouvaient bien se réjouir, il n’était pas convaincu autant qu’eux de leur succès.
Il avait refusé l’escorte qu’on lui avait proposée, comptant seulement sur l’arme qu’il avait au creux de ses reins pour se protéger. Un autre déjà-vu…
On lui avait dessiné un itinéraire pour se rendre au Terminus par les artères les plus larges et les plus reconnaissables. Cela ne l’avait pas empêché de faire fausse route ici et là, de zigzaguer dans le quartier pourri. Heureusement, la vieille gare avait été le cœur de La Cité durant ses premières années; toutes les rues convergeaient vers la grande place où elle avait été construite, et où le Terminus l’avait finalement remplacée.
Les résidents du quartier à l’extérieur étaient rares; ceux qu’il vit étaient misérables, grelottant sous la pluie, la tête basse. Que faisaient-ils dehors plutôt que sous l’un ou l’autre des édifices abandonnés? Il n’aurait pu le dire. À tout le moins, aucun d’eux ne l’inquiéta durant sa traversée.
Une fois sa destination en vue, il répéta mentalement le message que Gordon et Olson voulaient transmettre aux héritiers de Tricane. Il réalisa toutefois que personne ne lui avait donné d’indications quant aux détails plus pratiques… Devait-il frapper à la grande porte, puis exiger qu’on le conduise à leur grand boss? Et s’ils refusaient?
Bon, au moins la porte est déjà ouverte, nota-t-il en s’approchant. Deux jeunes hommes se tenaient sur le seuil. Des gardiens, peut-être? Si c’était le cas, ils ne semblaient pas trop alertes… L’un d’eux lui donna une autre impression de déjà-vu, celle-là plus puissante que les autres… « Djo? »
Le plus grand des deux garçons leva la tête et scruta Tobin des pieds à la tête. « T’es qui, toi? »
Karl ne s’était pas attendu à croiser un pote de son neveu sur le seuil du Terminus. « Est-ce que Mitch est avec toi?
— Est-ce qu’on se connaît? »
Tobin hésita. Il avait l’intuition qu’il valait mieux réserver son histoire abracadabrante pour son neveu. « J’aimerais parler avec Mitch. Je suis un vieil ami », répondit-il.
Djo haussa le sourcil. « Ça fait des mois que plus personne ne l’appelle comme ça. 
— Ça fait des mois que je ne l’ai pas vu, c’t’affaire… 
— Hep! Vinh! », dit Djo à un adolescent qui traînait non loin. « Va chercher le boss. »
Le boss? Les pourparlers allaient peut-être s’avérer plus faciles qu’il l’avait espéré…
Le cœur de Tobin bondit en apercevant son neveu  au fond de la pièce, une sensation similaire à celle causée par le coup d’œil qu’il avait posé sur son fils. Évidemment, Mitch, pour sa part, n’eut pas de réaction en apercevant son corps d’emprunt.
« Qu’est-ce qu’il y a?
— Y’a ce gars-là qui veut te parler. Il dit que c’est ton ami. »
Karl abaissa son capuchon. Il ouvrit la bouche pour inviter Mitch à discuter en privé, mais l’expression de son neveu devint alarmée. À toute vitesse, celui-ci dégaina son arme – cachée au creux de son dos, comme celle de Karl – en criant : « Pas un geste! Bouge pas ou je tire! » Stupéfié, Karl leva les mains.
« Djo, fouille-le. Fuck, man, t’es supposé garder la porte… »
Djo s’empara de l’arme de Karl. « C’est censé être qui, lui? 
C’est l’un des mafieux qui nous a attaqués
— Ah ben calice. » Djo lui envoya un coup de pied en-arrière du genou qui lui fit perdre l’équilibre. Dans son corps d’origine, Karl aurait résisté à la pression des bras de Djo qui le poussait contre le sol, mais ce corps-ci n’avait ni sa masse, ni ses muscles.
« Mitch! C’est pas ce que tu penses!
— Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec lui, boss?
— J’en ai plein le cul de leur voir la face. Ça va faire, là. Arrange-toi pour régler le problème. Une fois pour toutes. On se comprend? »
Karl sentit le canon de sa propre arme pressée contre sa nuque.
« Come on, Djo! Pas icitte! Va dans une ruelle, par là!
— Mitch! Écoute-moi! », lança Karl. Djo le forçait à se relever « Hostie, c’est moi! Karl! Mitch! »
Son neveu resta de marbre pendant que Djo le poussait hors du Terminus en le maintenant en joue.

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