Félicia regrettait
presque d’avoir ouvert son coffre à jouets devant Édouard. D’un côté, sa
réaction avait été des plus amusantes… Mais il s’imaginait peut-être qu’elle
était une enthousiaste du sadomasochisme. S’il lui était arrivé de tirer
plaisir de ses jeux avec Frank, et si elle aimait parfois planter ses dents et
ses griffes dans la chair mâle, pour elle, tout le bataclan demeurait un jeu,
pas vraiment un fantasme, ni un fétiche, encore moins un mode de vie.
Lorsqu’elle revint dans
la chambre avec une guenille mouillée dans une main et le crayon effaçable dans
l’autre, elle fut soulagée de voir qu’Édouard n’était ni perplexe ni outré,
seulement déterminé.
Elle posa un genou sur
le lit et traça les traits sur son bras d’une main assurée.
« Toujours prêt? »,
demanda-t-elle avant d’inscrire la dernière ligne.
— Oui. »
Un spasme parcourut le
bras d’Édouard lorsqu’elle ajouta la ligne manquante. Ses paupières se mirent à
papillonner, comme s’il venait de vivre le plus gros coup de barre de
l’histoire. Le rythme des battements ralentit progressivement jusqu’à ce
qu’Édouard paraisse endormi. Il exhala longuement avant de tressaillir.
Édouard ouvrit les
yeux et se redressa sur le lit… Son visage était le même; toutefois, il n’était
pas… habité de la même façon. Après
un bref instant d’hésitation, un sourire rogue apparut, une expression que
Félicia n’avait jamais vue chez lui. Il se contenta de la fixer avec aplomb,
comme s’il n’était pas enchaîné, comme s’il se trouvait là pour son bon
plaisir.
Avec tous les procédés
complexes qu’elle avait réalisés au cours des dernières semaines, elle ne s’était
pas attendue à réussir aussi facilement. À vrai dire, elle ne savait pas trop
quoi faire du résultat. « Narcisse Hill?
— Pour vous servir,
mademoiselle…?
— Lytvyn.
— Enchanté,
mademoiselle Lytvyn. Auriez-vous l’amabilité de me détacher?
— Non, monsieur
Hill. » Il continua à sourire, mais son expression se durcit.
« Que me
voulez-vous, mademoiselle?
— Je veux savoir si vous
résidez toujours dans ce corps. Je veux savoir pourquoi je l’ai retrouvé en
Argentine… Je veux savoir ce que vous, vous voulez.
Il éclata de rire.
« Ironique que je me retrouve attaché et soumis à la question…
— Ne changez pas de
sujet…
— …après avoir fait la
même chose à Harré. »
Félicia figea.
« Je vois que
j’ai piqué votre intérêt, mademoiselle Lytvyn. Je sais que les gens du Collège
comme vous êtes sensibles aux échanges de faveurs… Si vous me libérez, peut-être
pourrai-je vous enseigner autant que Harré a pu m’apprendre… »
Hill ignorait la
fusion entre le Collège et les Seize… Félicia n’avait aucune envie de le
corriger. Son cœur s’était emporté à l’idée d’étudier avec un élève de Harré. En
même temps, elle savait trop bien qu’elle ne pouvait pas faire confiance à un
homme qui s’était enfui avec le corps d’Édouard après avoir prétexté un échange
de faveurs…
Hill profita de ce
moment d’hésitation pour fermer les yeux et inspirer profondément. Comprenant
trop bien ce qu’il s’apprêtait à faire, avec la rapidité d’un cobra, Félicia
lui décocha un coup de poing dans les couilles.
Hill se recroquevilla
en gémissant. Félicia ne pouvait pas permettre que Hill se mette en état d’acuité
et découvrir dans le feu de l’action les trucs dont il disposait assurément.
C’était trop risqué d’entreprendre
un interrogatoire seule. Alors que Hill était encore prostré, elle lui agrippa
le bras et frotta le symbole. Son corps ramollit comme une poupée de chiffon.
Édouard émit un grognement
plaintif. « Qu’est-ce qui s’est passé? Je ne me sens pas bien…
— Hill s’apprêtait à
me faire un coup bas. J’ai simplement frappé en premier... »
Elle se sentait
coupable. Mais elle savait qu’elle avait bien agi…
Édouard se redressa
sur le lit. « Tu peux me détacher, maintenant?
— Non.
— Pardon? »
Elle ne put pas garder
son sérieux longtemps en voyant son expression catastrophée. Elle devinait qu’il
craignait qu’elle aille chercher d’autres jouets dans son coffre…
Félicia éclata de rire
et entreprit de le détacher.
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