Il était presque midi
lorsqu’Édouard et Félicia arrivèrent chez elle. La pluie torrentielle était en
voie de devenir une simple facette du quotidien, comme la neige en hiver ou la
noirceur la nuit. Il ne se souciait plus de ses cheveux ruisselants ou de ses
vêtements détrempés : il avait l’habitude.
Ils s’étaient arrêtés en
chemin pour acheter deux barquettes de sushi qu’ils attaquèrent à la minute de
leur arrivée. « En faisant le test ici, dit Félicia sans préambule, on
saura tout de suite si on a perdu Hill. Pouah, je m’attendais à mieux, côté
riz… Qu’est-ce qui te fait sourire? »
Pour sa part, Édouard n’avait
rien à redire à propos de la bouffe. Ce qui le faisait sourire, c’était de
reconnaître chez Félicia le même élan passionné que lorsqu’il se penchait sur
un dossier qui attisait sa curiosité. « Rien… Continue… Alors, tu
comptes procéder comment?
— Je vais
réinscrire le symbole sur ton bras, et voir ce qui se passe.
— Voir ce qui se passe? Très scientifique comme approche…
— Si ça ne fonctionne
pas, je vais me tourner vers le symbole au grenier…
— Et si ça marche, et
que Hill reprend le dessus sur moi?
— Le symbole sera fait
avec un marqueur effaçable. Il suffira de…
— Félicia… Tu crois
qu’il se laissera faire?
— Je sais me défendre… »
Édouard n’était pas convaincu. Félicia le comprit; elle ajouta : « Tu
as raison. Nous allons mettre toutes les chances de notre côté. » Elle
trempa un sushi dans la sauce et le porta à sa bouche.
Édouard changea de
sujet. « Est-ce que j’ai bien compris, tout-à-l’heure? Avramopoulos a
référé à Hill comme ce damné Disciple…
— Oui, répondit-elle.
C’était peut-être une référence à un groupe de praticiens qui se faisait
appeler les Disciples de Khuzaymah. À ma connaissance, ils ont été tués
jusqu’au dernier…
— Est-ce que Hill
était l’un d’eux?
— Je ne sais pas… Je
ne vois pas pourquoi il l’aurait appelé comme ça sinon…
— Tu crois qu’ils se
sont connus, à l’époque?
— Peut-être… Je n’y
avais pas pensé… Il faudrait l’interroger…
— Hill ou Avramopoulos?
— Les deux! Bon, moi,
je n’ai plus faim. » Elle se leva sans égard pour Édouard qui, lui,
n’avait pas fini. Il la suivit à l’étage, barquette à la main, en mangeant avec
les doigts.
Félicia se rendit dans
la chambre des maîtres et alla tirer un coffre de son garde-robe. Il était
verrouillé par un petit cadenas à combinaison, du genre capable d’empêcher un
fouineur, mais qui ne résisterait pas longtemps face à un cambrioleur outillé.
Édouard supposa qu’il s’agissait d’accessoires qui allaient être utiles pour le
procédé…
Avec une lenteur délibérée,
Félicia en sortit une jupette d’écolière et des souliers-plateforme à talons
(très) hauts, entièrement transparents. Édouard était déjà étonné, mais elle
extirpa ensuite du coffre des objets plus inusités : une longueur de corde
mauve, une cagoule en cuir, un bâillon en forme de boule, une série de sangles
cloutées…
Édouard avait eu hâte
de se retrouver dans une chambre avec Félicia. Il n’en était plus certain. Il
avala son dernier sushi difficilement. « Qu’est-ce que c’est que tout
cela?
— C’est mon coffre à
jouets… Ça fait un petit bout que je ne l’ai pas ouvert... » Elle sortit
une sorte de fouet composé de dizaines de lanières et un gigantesque phallus de
plastique qu’elle déposa à côté du coffre. Elle semblait prendre un malin
plaisir à voir la réaction d’Édouard à chaque nouvel objet… De la perplexité à
la frayeur. « Ah! Voilà ce que je cherchais. »
Elle sortit une masse
de chaînes qu’elle entreprit de démêler. Il s’agissait de menottes doubles
reliées entre elles, donc capables d’attacher deux personnes ensemble… Ou d’immobiliser
une seule en l’enchaînant aux quatre membres. Elle se retourna vers lui avec un
sourire machiavélique. « Donne-moi tes poignets…
— Euh, Félicia…
— Si tu veux que je te
détache, tu n’as qu’à dire ce safeword.
Disons… Ya ne rozmovlyayu dobre
ukrayinsʹkoyu. » Elle éclata de rire devant l’expression catastrophée
d’Édouard. « Ben non! C’est là pour restreindre Hill, espèce de
nono! »
Édouard ressentit une
vague de soulagement, temporaire toutefois. Le fait qu’il s’apprêtait à
réinviter aux commandes celui qui avait usurpé son corps n’était plus une
abstraction, mais une réalité… L’exploration de la raison d’être de ce coffre
d’Ali Baba était un mystère qui allait devoir attendre un autre jour.
Il tendit les
poignets. « Je suis prêt. »
Elle l’embrassa puis
lui passa les menottes.
« Félicia… Vu que
je serai… Absent, s’il se manifeste…
Pourrait-on enregistrer l’opération? Je veux savoir… »
Elle hésita un
instant. « D’accord, mais on l’efface tout de suite après.
— Entendu »,
dit-il, sans avoir l’intention de le faire, quoique lui mentir ne lui plaisait
pas… « Prends mon téléphone. »
Elle le positionna sur
une commode de manière à pouvoir filmer le lit. « Maintenant, le symbole…
Je vais chercher mon crayon-marqueur. Ne bouge pas! »
Il haussa le sourcil. Aux
fers comme un bagnard, il n’aurait pas pu courir bien loin…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire