dimanche 19 juillet 2015

Le Nœud Gordien, épisode 379 : Aux fers

Il était presque midi lorsqu’Édouard et Félicia arrivèrent chez elle. La pluie torrentielle était en voie de devenir une simple facette du quotidien, comme la neige en hiver ou la noirceur la nuit. Il ne se souciait plus de ses cheveux ruisselants ou de ses vêtements détrempés : il avait l’habitude.
Ils s’étaient arrêtés en chemin pour acheter deux barquettes de sushi qu’ils attaquèrent à la minute de leur arrivée. « En faisant le test ici, dit Félicia sans préambule, on saura tout de suite si on a perdu Hill. Pouah, je m’attendais à mieux, côté riz… Qu’est-ce qui te fait sourire? »
Pour sa part, Édouard n’avait rien à redire à propos de la bouffe. Ce qui le faisait sourire, c’était de reconnaître chez Félicia le même élan passionné que lorsqu’il se penchait sur un dossier qui attisait sa curiosité. « Rien… Continue… Alors, tu comptes procéder comment?
— Je vais réinscrire le symbole sur ton bras, et voir ce qui se passe.
Voir ce qui se passe? Très scientifique comme approche…
— Si ça ne fonctionne pas, je vais me tourner vers le symbole au grenier…  
— Et si ça marche, et que Hill reprend le dessus sur moi?
— Le symbole sera fait avec un marqueur effaçable. Il suffira de…
— Félicia… Tu crois qu’il se laissera faire?
— Je sais me défendre… » Édouard n’était pas convaincu. Félicia le comprit; elle ajouta : « Tu as raison. Nous allons mettre toutes les chances de notre côté. » Elle trempa un sushi dans la sauce et le porta à sa bouche.
Édouard changea de sujet. « Est-ce que j’ai bien compris, tout-à-l’heure? Avramopoulos a référé à Hill comme ce damné Disciple
— Oui, répondit-elle. C’était peut-être une référence à un groupe de praticiens qui se faisait appeler les Disciples de Khuzaymah. À ma connaissance, ils ont été tués jusqu’au dernier…
— Est-ce que Hill était l’un d’eux?
— Je ne sais pas… Je ne vois pas pourquoi il l’aurait appelé comme ça sinon… 
— Tu crois qu’ils se sont connus, à l’époque?
— Peut-être… Je n’y avais pas pensé… Il faudrait l’interroger…
 — Hill ou Avramopoulos?
— Les deux! Bon, moi, je n’ai plus faim. » Elle se leva sans égard pour Édouard qui, lui, n’avait pas fini. Il la suivit à l’étage, barquette à la main, en mangeant avec les doigts.
Félicia se rendit dans la chambre des maîtres et alla tirer un coffre de son garde-robe. Il était verrouillé par un petit cadenas à combinaison, du genre capable d’empêcher un fouineur, mais qui ne résisterait pas longtemps face à un cambrioleur outillé. Édouard supposa qu’il s’agissait d’accessoires qui allaient être utiles pour le procédé…
Avec une lenteur délibérée, Félicia en sortit une jupette d’écolière et des souliers-plateforme à talons (très) hauts, entièrement transparents. Édouard était déjà étonné, mais elle extirpa ensuite du coffre des objets plus inusités : une longueur de corde mauve, une cagoule en cuir, un bâillon en forme de boule, une série de sangles cloutées…
Édouard avait eu hâte de se retrouver dans une chambre avec Félicia. Il n’en était plus certain. Il avala son dernier sushi difficilement. « Qu’est-ce que c’est que tout cela?
— C’est mon coffre à jouets… Ça fait un petit bout que je ne l’ai pas ouvert... » Elle sortit une sorte de fouet composé de dizaines de lanières et un gigantesque phallus de plastique qu’elle déposa à côté du coffre. Elle semblait prendre un malin plaisir à voir la réaction d’Édouard à chaque nouvel objet… De la perplexité à la frayeur. « Ah! Voilà ce que je cherchais. »
Elle sortit une masse de chaînes qu’elle entreprit de démêler. Il s’agissait de menottes doubles reliées entre elles, donc capables d’attacher deux personnes ensemble… Ou d’immobiliser une seule en l’enchaînant aux quatre membres. Elle se retourna vers lui avec un sourire machiavélique. « Donne-moi tes poignets…
— Euh, Félicia…
— Si tu veux que je te détache, tu n’as qu’à dire ce safeword. Disons… Ya ne rozmovlyayu dobre ukrayinsʹkoyu. » Elle éclata de rire devant l’expression catastrophée d’Édouard. « Ben non! C’est là pour restreindre Hill, espèce de nono! »
Édouard ressentit une vague de soulagement, temporaire toutefois. Le fait qu’il s’apprêtait à réinviter aux commandes celui qui avait usurpé son corps n’était plus une abstraction, mais une réalité… L’exploration de la raison d’être de ce coffre d’Ali Baba était un mystère qui allait devoir attendre un autre jour.
Il tendit les poignets. « Je suis prêt. »
Elle l’embrassa puis lui passa les menottes.
« Félicia… Vu que je serai… Absent, s’il se manifeste… Pourrait-on enregistrer l’opération? Je veux savoir… »
Elle hésita un instant. « D’accord, mais on l’efface tout de suite après.
— Entendu », dit-il, sans avoir l’intention de le faire, quoique lui mentir ne lui plaisait pas… « Prends mon téléphone. »
Elle le positionna sur une commode de manière à pouvoir filmer le lit. « Maintenant, le symbole… Je vais chercher mon crayon-marqueur. Ne bouge pas! »
Il haussa le sourcil. Aux fers comme un bagnard, il n’aurait pas pu courir bien loin…

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