Il fallut un moment à
Gordon pour se remettre du choc qui l’avait hébété. La bouteille d’eau que
Félicia lui tendit l’aida beaucoup; le cylindre de plastique dans sa main lui
permit de se raccrocher à quelque chose, même si ce quelque chose n’était, lui,
arrimé à rien. Chaque gorgée tiède le ramena un peu plus à lui-même.
Pendant ce temps,
Félicia gesticulait en parlant à toute vitesse. Gordon la regardait sans
vraiment l’écouter, comme si elle n’était qu’une émission de télévision au fond
d’une salle d’attente.
Il comprit enfin l’affolement
de Félicia lorsque son esprit saisit ce qu’elle lui avait dit une minute plus
tôt. Harré n’est plus là.
Il essaya de se lever,
mais son corps était plein de courbatures, comme s’il était resté gisant depuis
des jours. Félicia l’aida à se hisser debout; il s’appuya sur elle comme un
vieillard sur sa canne, reconnaissant de sentir sa présence contre lui, mais
piqué d’apparaître si affaibli devant elle.
« Qu’est-ce qui
s’est passé? », demanda-t-il d’une voix rauque.
Elle le scruta comme
s’il était tombé sur la tête – à tout prendre, elle avait peut-être raison.
« Je viens de te le dire!
— Mes oreilles
bourdonnaient… Je n’ai pas pu comprendre.
— Lorsque tu es arrivé
au centre du cercle, il y a eu une conflagration… », dit-elle, plus fort
que nécessaire : chaque mot fit résonner son crâne comme une cloche.
« Était-ce du feu
de Saint-Elme? »
Elle fit non de la
tête. « L’impression de Harré est devenue toute lumineuse, puis elle est
disparue. Au même moment, il y a eu une onde de choc… Je l’ai ressentie
jusqu’en-dehors du cercle. Ça m’a fait l’effet d’une grosse bourrasque, silencieuse
mais intense. J’ai été poussée sur quelques pas, mais toi, tu as été carrément projeté
par terre.
— Est-ce que… Est-ce
que je me suis cogné la tête? », Ce qui restait de sable dans sa bouche
laissait croire que oui. Et cette migraine… À tout le moins, ses pensées commençaient
à reprendre leur cours normal.
« Peut-être »,
admit-elle. « Mais le sol est en terre meuble. Tu n’as pas à t’inquiéter
pour une commotion cérébrale… »
Commotion ou pas, il
se sentait faible, capable de retomber au moindre coup de vent. « Ce qui m’inquiète,
c’est surtout Harré… Tu es certaine qu’il est disparu? »
Félicia fit un geste
des exaspéré. « Oui, je suis certaine! Vas-tu finir par me faire
confiance? »
Son impatience irrita
Gordon. « Calme-toi, veux-tu?
— Je suis très calme!
— Nous devons
comprendre ce qui s’est produit », dit Gordon, réfléchissant à voix haute.
« Je vois deux possibilités : soit l’impression de Harré s’est
dissipée… Soit elle s’est animée. Mise en mouvement… »
Félicia le scruta un
instant, les bras croisés comme une enfant boudeuse. « Tu oublies la plus
évidente », ajouta-t-elle d’un ton sec.
Gordon passa en revue
les possibles, mais rien d’autre ne lui vint en tête. « Laquelle?
— La même chose que
Batakovic et la petite Alice. La même chose que Hill avec Édouard. Moi, je
pense que Harré s’est peut-être invité chez toi. La bonne nouvelle, c’est que
si c’est le cas, au moins, tu es en contrôle. Pour le moment.
Gordon se sentit presque
défaillir. « Non, ce n’est pas possible…
—Désolée, Gordon. Nous
ne pouvons pas prendre ce risque.
— Tu as raison. Nous
devons tirer cela au clair. Une fois cette théorie invalidée, nous pourrons
nous concentrer sur les autres… »
Toujours les bras
croisés, l’expression sévère, Félicia dit : « Je savais tellement que c’était une mauvaise
idée… »
Il fallait
l’admettre : cette fois, elle avait raison.
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