dimanche 7 février 2016

Le Nœud Gordien, épisode 406 : Conflagration

Il fallut un moment à Gordon pour se remettre du choc qui l’avait hébété. La bouteille d’eau que Félicia lui tendit l’aida beaucoup; le cylindre de plastique dans sa main lui permit de se raccrocher à quelque chose, même si ce quelque chose n’était, lui, arrimé à rien. Chaque gorgée tiède le ramena un peu plus à lui-même.
Pendant ce temps, Félicia gesticulait en parlant à toute vitesse. Gordon la regardait sans vraiment l’écouter, comme si elle n’était qu’une émission de télévision au fond d’une salle d’attente.
Il comprit enfin l’affolement de Félicia lorsque son esprit saisit ce qu’elle lui avait dit une minute plus tôt. Harré n’est plus là.
Il essaya de se lever, mais son corps était plein de courbatures, comme s’il était resté gisant depuis des jours. Félicia l’aida à se hisser debout; il s’appuya sur elle comme un vieillard sur sa canne, reconnaissant de sentir sa présence contre lui, mais piqué d’apparaître si affaibli devant elle.
« Qu’est-ce qui s’est passé? », demanda-t-il d’une voix rauque.
Elle le scruta comme s’il était tombé sur la tête – à tout prendre, elle avait peut-être raison. «  Je viens de te le dire!
— Mes oreilles bourdonnaient… Je n’ai pas pu comprendre.
— Lorsque tu es arrivé au centre du cercle, il y a eu une conflagration… », dit-elle, plus fort que nécessaire : chaque mot fit résonner son crâne comme une cloche.
« Était-ce du feu de Saint-Elme? »
Elle fit non de la tête. « L’impression de Harré est devenue toute lumineuse, puis elle est disparue. Au même moment, il y a eu une onde de choc… Je l’ai ressentie jusqu’en-dehors du cercle. Ça m’a fait l’effet d’une grosse bourrasque, silencieuse mais intense. J’ai été poussée sur quelques pas, mais toi, tu as été carrément projeté par terre.
— Est-ce que… Est-ce que je me suis cogné la tête? », Ce qui restait de sable dans sa bouche laissait croire que oui. Et cette migraine… À tout le moins, ses pensées commençaient à reprendre leur cours normal.
« Peut-être », admit-elle. « Mais le sol est en terre meuble. Tu n’as pas à t’inquiéter pour une commotion cérébrale… »
Commotion ou pas, il se sentait faible, capable de retomber au moindre coup de vent. « Ce qui m’inquiète, c’est surtout Harré… Tu es certaine qu’il est disparu? »
Félicia fit un geste des exaspéré. « Oui, je suis certaine! Vas-tu finir par me faire confiance? »
Son impatience irrita Gordon. « Calme-toi, veux-tu? 
Je suis très calme!
— Nous devons comprendre ce qui s’est produit », dit Gordon, réfléchissant à voix haute. « Je vois deux possibilités : soit l’impression de Harré s’est dissipée… Soit elle s’est animée. Mise en mouvement… »
Félicia le scruta un instant, les bras croisés comme une enfant boudeuse. « Tu oublies la plus évidente », ajouta-t-elle d’un ton sec.
Gordon passa en revue les possibles, mais rien d’autre ne lui vint en tête. « Laquelle?
— La même chose que Batakovic et la petite Alice. La même chose que Hill avec Édouard. Moi, je pense que Harré s’est peut-être invité chez toi. La bonne nouvelle, c’est que si c’est le cas, au moins, tu es en contrôle. Pour le moment.
Gordon se sentit presque défaillir. « Non, ce n’est pas possible…
—Désolée, Gordon. Nous ne pouvons pas prendre ce risque.
— Tu as raison. Nous devons tirer cela au clair. Une fois cette théorie invalidée, nous pourrons nous concentrer sur les autres… »
Toujours les bras croisés, l’expression sévère, Félicia dit : « Je savais tellement que c’était une mauvaise idée… »
Il fallait l’admettre : cette fois, elle avait raison.

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