Ils revisitèrent le
lendemain le site de la conflagration, afin de vérifier si la disparition de
Harré n’était que temporaire. La crainte de Gordon s’avéra : l’impression
n’était pas revenue.
De retour à la
voiture, il s’emmura dans un silence contrarié. Félicia n’insista pas pour
engager un dialogue : elle ordonna au conducteur de les ramener à leur
hôtel.
Voici ce qu’il faut
que tu saches : pour me revoir, tu devras faire l’impensable, et qu’on
fasse pour toi deux fois l’impossible. Mes deux cadeaux te montreront le chemin
…
Les paroles de Harré
jouaient en boucle dans l’esprit de Gordon… Pour
me revoir, avait-il dit… Avait-il raté sa chance de retrouver Harré, et
avec lui, le chemin du paradis perdu? Félicia revenait avait proposé l’hypothèse
que Harré ait en quelque sorte possédé Gordon. Il fallait admettre qu’il
considérait cette possibilité moins dérangeante que l’autre – que Harré soit
disparu pour de bon.
Sans le spectre de
Harré, plus rien ne les retenaient à Zurich. Il restait des billets pour La
Cité le jour même, un vol direct qui partait à minuit dix. Lytvyn s’occupa de
toutes les formalités.
La première classe de
leur avion offrait ces places confortables aux allures de fauteuils, avec assez
de dégagement pour étirer les jambes et dormir dans un relatif confort. Félicia
roupillait avant même que l’avion ait atteint sa vitesse de croisière, laissant
Gordon seul avec ses pensées.
Le brouhaha du service
des repas la réveilla quelques heures plus tard. Elle s’étira en baillant avant
de se déchausser pour masser la plante de ses pieds. Gordon lui-même commençait
à avoir des fourmis dans les jambes.
« Toi, tu ne dors
jamais, hein? » Elle bailla de nouveau.
Gordon fit non de la
tête.
« C’est peut-être
une bonne chose, quand on y pense. Le, hum, passager d’Alice Gauss prenait le
volant seulement lorsqu’elle dormait. Et Hill, lui, n’a pas pu le faire avant d’y
être… invité. » Elle mima du bout du doigt le tracé du symbole par lequel
Hill avait pris le contrôle d’Édouard.
« Tu penses
vraiment que c’est la même chose pour moi? Que j’ai… un passager clandestin?
— Pourquoi est-ce si
difficile pour toi d’admettre cette possibilité?
— Nous savons que
Harré est disparu, mais nous n’avons pas le moindre indice qui supporte ton
idée… » En fait, Gordon ne demandait qu’à être convaincu. Échaudé par leur
échec apparent, il lui était difficile de se permettre d’espérer à nouveau.
« Dès notre
retour, je vais faire sortir Harré comme je l’ai fait avec Hill.
— Ce sera une parfaite
occasion de vérifier ton hypothèse », dit Gordon.
« Tu vas bien
voir que j’ai raison. Encore une fois. »
Il choisit de prendre son
effronterie avec le sourire. « On verra bien. »
La conversation était
close. Félicia tourna la tête vers le hublot, le ciel et les nuages. Gordon, de
son côté, se laissa tenter à jongler avec les et si… Et si le fantôme de Harré se trouvait bel et bien en lui? Pourquoi
se contenter de discuter avec lui? Et s’il trouvait plutôt un moyen d’absorber
le savoir et la puissance de Harré, tout en demeurant en selle?
Félicia se rendormit
après le repas. Elle n’ouvrit les yeux à nouveau qu’au moment de l’annonce de
leur atterrissage imminent.
Même s’il n’avait plus
besoin de dormir, Gordon demeurait affecté par cette fatigue toute particulière
qui découle des longs vols. Il ne fut pas fâché de toucher terre.
« Il ne pleut pas »,
remarqua Félicia une fois l’appareil immobilisé. « Sais-tu ce qui s’est
passé?
— Non »,
répondit-il. La pluie torrentielle avait été un effet secondaire du grand
rituel qui diffusait le trop-plein d’énergie radiesthésique de La Cité. L’implication
était manifeste : soit le rituel avait été altéré, soit on l’avait laissé
se dissiper. Il allait devoir tirer cela au clair...
Leur section de l’avion
fut la première à sortir. En passant la porte, Gordon tombèrent nez à nez avec
un comité d’accueil inattendu. Claude Sutton était campé devant lui, flanqué de
quatre agents de police et – horreur! – accompagné d’un petit groupe de
journalistes et de photographes.
« Gordon Abraham,
vous êtes en état d’arrestation pour production et trafic de substances
illégales... » Sutton continua à énumérer ses infractions et ses droits pendant
qu’un agent lui passait les menottes sous les yeux d’une Félicia médusée.
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