dimanche 14 février 2016

Le Nœud Gordien, épisode 407 : Comité d’accueil

Ils revisitèrent le lendemain le site de la conflagration, afin de vérifier si la disparition de Harré n’était que temporaire. La crainte de Gordon s’avéra : l’impression n’était pas revenue.
De retour à la voiture, il s’emmura dans un silence contrarié. Félicia n’insista pas pour engager un dialogue : elle ordonna au conducteur de les ramener à leur hôtel.
Voici ce qu’il faut que tu saches : pour me revoir, tu devras faire l’impensable, et qu’on fasse pour toi deux fois l’impossible. Mes deux cadeaux te montreront le chemin …
Les paroles de Harré jouaient en boucle dans l’esprit de Gordon… Pour me revoir, avait-il dit… Avait-il raté sa chance de retrouver Harré, et avec lui, le chemin du paradis perdu? Félicia revenait avait proposé l’hypothèse que Harré ait en quelque sorte possédé Gordon. Il fallait admettre qu’il considérait cette possibilité moins dérangeante que l’autre – que Harré soit disparu pour de bon.
Sans le spectre de Harré, plus rien ne les retenaient à Zurich. Il restait des billets pour La Cité le jour même, un vol direct qui partait à minuit dix. Lytvyn s’occupa de toutes les formalités.
La première classe de leur avion offrait ces places confortables aux allures de fauteuils, avec assez de dégagement pour étirer les jambes et dormir dans un relatif confort. Félicia roupillait avant même que l’avion ait atteint sa vitesse de croisière, laissant Gordon seul avec ses pensées.
Le brouhaha du service des repas la réveilla quelques heures plus tard. Elle s’étira en baillant avant de se déchausser pour masser la plante de ses pieds. Gordon lui-même commençait à avoir des fourmis dans les jambes.
« Toi, tu ne dors jamais, hein? » Elle bailla de nouveau.
Gordon fit non de la tête.
« C’est peut-être une bonne chose, quand on y pense. Le, hum, passager d’Alice Gauss prenait le volant seulement lorsqu’elle dormait. Et Hill, lui, n’a pas pu le faire avant d’y être… invité. » Elle mima du bout du doigt le tracé du symbole par lequel Hill avait pris le contrôle d’Édouard.
« Tu penses vraiment que c’est la même chose pour moi? Que j’ai… un passager clandestin?
— Pourquoi est-ce si difficile pour toi d’admettre cette possibilité?
— Nous savons que Harré est disparu, mais nous n’avons pas le moindre indice qui supporte ton idée… » En fait, Gordon ne demandait qu’à être convaincu. Échaudé par leur échec apparent, il lui était difficile de se permettre d’espérer à nouveau.
« Dès notre retour, je vais faire sortir Harré comme je l’ai fait avec Hill.
— Ce sera une parfaite occasion de vérifier ton hypothèse », dit Gordon.
« Tu vas bien voir que j’ai raison. Encore une fois. »
Il choisit de prendre son effronterie avec le sourire. « On verra bien. »
La conversation était close. Félicia tourna la tête vers le hublot, le ciel et les nuages. Gordon, de son côté, se laissa tenter à jongler avec les et si… Et si le fantôme de Harré se trouvait bel et bien en lui? Pourquoi se contenter de discuter avec lui? Et s’il trouvait plutôt un moyen d’absorber le savoir et la puissance de Harré, tout en demeurant en selle?
Félicia se rendormit après le repas. Elle n’ouvrit les yeux à nouveau qu’au moment de l’annonce de leur atterrissage imminent.
Même s’il n’avait plus besoin de dormir, Gordon demeurait affecté par cette fatigue toute particulière qui découle des longs vols. Il ne fut pas fâché de toucher terre.
« Il ne pleut pas », remarqua Félicia une fois l’appareil immobilisé. « Sais-tu ce qui s’est passé?
— Non », répondit-il. La pluie torrentielle avait été un effet secondaire du grand rituel qui diffusait le trop-plein d’énergie radiesthésique de La Cité. L’implication était manifeste : soit le rituel avait été altéré, soit on l’avait laissé se dissiper. Il allait devoir tirer cela au clair...
Leur section de l’avion fut la première à sortir. En passant la porte, Gordon tombèrent nez à nez avec un comité d’accueil inattendu. Claude Sutton était campé devant lui, flanqué de quatre agents de police et – horreur! – accompagné d’un petit groupe de journalistes et de photographes.
« Gordon Abraham, vous êtes en état d’arrestation pour production et trafic de substances illégales... » Sutton continua à énumérer ses infractions et ses droits pendant qu’un agent lui passait les menottes sous les yeux d’une Félicia médusée.

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