Les attentions de
Daniel la faisaient frémir comme toujours. Il savait jouer de son corps comme
d’un instrument, au diapason de ses désirs. Mais aujourd’hui, elle percevait
une fausse note dans leur harmonie habituelle.
Lorsqu’ils étaient au
lit, leurs ébats prenaient souvent des allures de méditation. Ils se
retrouvaient dans un certain état mental, ils cultivaient la détente du corps,
la respiration profonde, mais plutôt que vider leur esprit, ils le focalisaient
l’un sur l’autre à l’exclusion de tout le reste. Ils s’offraient sans réserve,
et en ressortaient enrichis.
Ce matin cependant,
Pénélope détectait une distraction de son côté. Elle devinait qu’une pensée
secrète amusait Daniel. Dans un premier temps, elle ne dit rien, espérant que
l’impression passe, et que la pureté de leur connexion revienne. Après quelque
temps, elle cessa d’espérer : son irritation avait crû jusqu'à la
distraire à son tour.
« Je me demande à
quoi tu penses », lança-t-elle.
« À rien de
spécial », répondit-il, sourire en coin, sans ralentir.
Pénélope se dégagea
doucement de son étreinte. « C’est triste que j’aie à te poser la
question.
— Je ne comprends pas.
Je ne te cache rien, pourtant.
— Je te connais,
Daniel Olson. Tu as quelque chose derrière la tête. »
Olson rumina l’affirmation
quelques instants, avant de dire : « J’avoue.
— Alors? À quoi pensais-tu?
— À quoi tous les
hommes pensent? », dit-il en reprenant ses caresses.
Elle le repoussa. Une
autre nouveauté. « Je suis sérieuse! »
Il devint grave à son
tour. Il s’assit au bord du lit et soupira. « Tout ce temps, tous ces
efforts pour nous rendre parfaits… Je crois de plus en plus que nous faisons
fausse route. »
Surprise, Pénélope
demanda : « Comment peux-tu dire cela, après toutes nos réussites?
— Nos réussites? Je
les trouve bien peu ambitieuses. Nous avons modelé notre chair pour incarner
nos idéaux. Nous sommes plus forts, plus agiles, plus endurants qu’à peu près
n’importe qui… Nous nous sommes débarrassés de nos poils et nos odeurs
embarrassantes… Mais encore?
— N’est-ce pas assez?
— Il y a tant de contraintes
que nous nous imposons… Qui nous privent peut-être d’un potentiel encore
difficile à imaginer.
— Ce que tu dis, c’est
que tu en as marre d’être juste un humain, c’est ça?
— Ce que je dis, c’est
qu’il est peut-être temps de redéfinir ce qu’est être humain.
— C’est à cela que tu
réfléchissais, pendant que nous faisions l’amour?
— J’imaginais me voir
à travers tes yeux, être toi pendant que je te pénètre… Je pensais que, si
seulement tu acceptais…
— Non. Je ne changerai
pas d’idée. »
— Nous sommes déjà si formidables
ensemble… Imagine si nous devenions une seule et même entité, homme et femme,
yin et yang à la fois…
— Daniel, je t’aime
comme je n’ai jamais aimé personne. Mais je ne veux pas devenir toi. Je ne veux
pas cesser d’être moi, non plus. »
Olson se leva
brusquement, et se mit à faire les cent pas dans la chambre, les deux mains sur
le front, comme s’il venait d’apprendre une nouvelle accablante.
« Tu me fais
confiance, d’habitude.
— La différence, c’est
que d’habitude, tes plans ne sont pas stupides. »
Il serra les poings en
poussa un grognement animal. Pénélope s’était habituée à ses manières pondérées,
délibérées, la version masculine de la grâce. Maintenant, il était plus
impulsif, imprévisible, prompt à des sautes d’humeur ou des lubies soudaines.
Cette idée qu’ils devraient fondre leur esprit comme la trinité était celle qui
revenait le plus souvent. Son passage au Terminus l’avait changé plus
profondément qu’elle voulait encore l’admettre.
Il continua de
gesticuler, fébrile comme un homme ayant bu vingt cafés. Elle le laissa
s’agiter jusqu’à ce qu’il ait retrouvé une mesure de calme. « Je vais y
aller, dit-il finalement. Ma leçon avec Tobin commence bientôt. Nous
reparlerons de tout cela plus tard.
— Je ne changerai pas
d’idée », répéta-t-elle.
Il la fixa un instant.
Pénélope devinait qu’une réplique lui brûlait les lèvres, une réplique
blessante, assassine. Il eut toutefois la sagesse de la garder pour lui.
« Tobin progresse vite, c’est impressionnant, dit-il plutôt en se
rhabillant.
— C’est bien »
dit-elle, heureuse qu’il change le sujet, triste qu’ils soient incapables de
résoudre leur différend. Elle trouvait louable que Daniel se soit offert pour
poursuivre la formation du revenant, après que Gordon ait déclaré être trop
occupé… Tobin avait changé, lui aussi. Lorsqu’elle avait fait sa connaissance,
il avait les sourcils toujours froncés, la mâchoire crispée. Ses tensions lui
donnaient un air d’animal dangereux, toujours sur ses gardes, prêt à bondir à
la moindre provocation. Maintenant? Il était habité de la sérénité de celui qui
n’a rien à craindre. Son instinct lui disait qu’il y avait anguille sous roche…
Y avait-il un lien entre sa transformation et celle de Daniel? Est-ce que leurs
expéditions au cœur de la zone radiesthésique étaient en cause?
Elle aurait aimé
pouvoir en discuter avec Daniel, mais partager ses inquiétudes dans ce contexte
aurait jeté de l’huile sur le feu.
Daniel sortit sans lui
dire au revoir. Elle ne s’était pas sentie aussi seule depuis des années.
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