Les lumières des
gyrophares tapissaient les façades du quartier qu’on devinait paisible
d’ordinaire. La météo annonçait du beau temps pour la journée, mais
l’atmosphère était saturée d’un crachin dense qui ne mouillait pas moins qu’une
vraie pluie. Le soleil n’était pas encore levé; aux alentours, des voisins en
robe de chambre lorgnaient la scène à travers les rideaux de leur maison.
Quelques-uns, plus hardis, s’étaient rassemblés à quelques pas du périmètre de
sécurité tracé par les habituels rubans jaunes.
C’est sur cette scène
que Claude Sutton et le lieutenant Caron débarquèrent. Un agent vint les
accueillir à la sortie de leur voiture. Caron en vint aux faits en un
mot : « Alors?
— L’appel a eu lieu un
peu avant quatre heures du matin. Des voisins ont rapporté des coups de
feu. » Le policier, un jeunot, était nerveux. Claude ne pouvait pas dire
si c’était parce qu’il s’adressait à un directeur d’unité – une rareté sur le terrain – ou au sévère lieutenant Caron.
« On parle de
combien de tirs?
— Une vraie fusillade,
répondit-il. La porte a été forcée, comme vous pouvez voir. »
Forcée? Détruite aurait été plus juste. Des éclats de bois
recouvraient un demi-cercle de plus de deux mètres de l’autre côté du seuil.
Surpris, Caron demanda : « Coudonc, est-ce qu’y ont pris une grenade?
Un bazooka? »
L’agent haussa les
épaules. « Les gars du laboratoire disent qu’il va falloir attendre leur
analyse.
— Bref, ils ne savent
pas, rétorqua le lieutenant. On peut entrer? »
L’agent hésita, craignant
peut-être que la question soit une mise à l’épreuve. « Heu, oui? Si vous
voulez. Je… Oui. Suivez-moi. »
Un premier cadavre
gisait sous une toile, encore couché dans un fauteuil aligné avec l’entrée
béante de la maison. Le fusil qui se trouvait juste en-dessous de sa main
ouverte laissait croire qu’il montait la garde au moment de la frappe. Trois
autres individus avaient été abattus dans le couloir qui menait aux chambres.
Ceux-là étaient en train d’être examinés par l’équipe médicolégale. Deux
d’entre eux étaient enlacés, peut-être portés par un élan de fraternité face à la
mort. Des trous de balle constellaient les murs du passage.
« A-t-on
identifié les victimes?
— Pas formellement.
Mais c’est des gars de Fusco. Inner
circle. »
Ils ne pouvaient pas
aller plus loin sans être dans les jambes des enquêteurs. « La pièce au
fond est fortifiée, grille, cadenas, tout le tralala. Les suspects n’ont pas dû
avoir le temps de la forcer : on a récupéré quatre paquets d’un kilo de
poudre blanche à côté d’un coffre-fort.
— De la coke?
— Les gars pensent que
c’est plutôt de l’héroïne », dit l’agent sur le ton de la confidence.
Quatre kilos… Une
fortune. On pouvait tuer pour moins que ça. « Un instant, dit Sutton. À côté du coffre-fort?
— Ouais. C’est
bizarre, hein? »
Comment expliquer que
des briques valant plusieurs centaines de milliers de dollars soient déposées
là… À moins que le coffre-fort en soit
déjà plein?
Un coup d’œil à Caron
lui donna l’impression qu’il pensait la même chose.
« Est-ce que ça serait
les fameuses noix de coco? », souffla Caron à l’oreille de Sutton. Des
mafiosi sous écoute y avaient souvent fait allusion au cours des dernières
semaines. Les forces policières n’avaient toutefois pas recueilli assez d’information
pour être en mesure de contrer ce complot.
L’héroïne avait dû
être planquée là dans le plus grand secret, pour être écoulée graduellement…
Cette frappe indiquait, par conséquent, que quelqu’un avait laissé filtrer
l’information à un tiers parti. Mais qui? Il n’en avait pas la moindre idée, et
cela le perturbait.
C’était la deuxième
frappe consécutive contre le clan Fusco, après celle contre Abel Laganà et ses
hommes. Sutton aurait été naïf de croire que la paix durerait longtemps dans La
Cité… Une hypothèse plausible était que l’ex-clan Lytyvn ait maille à partir
avec le parrain de la Petite-Méditerranée.
Ou, plus inquiétant,
qu’une nouvelle force cherchait à se tailler une place sur l’échiquier de La
Cité.
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